Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du mercredi 24 juillet 2019 à 16h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Je suis ravie de vous retrouver tous en ce moment particulier que constitue la fin de la session – ordinaire et extraordinaire. Au cours de cette période, nous avons travaillé ensemble à diverses reprises. L'audition d'aujourd'hui est un peu l'occasion pour moi, d'ailleurs, de vous remercier pour le travail que nous avons mené et continuons de faire sur différents dossiers. Nos échanges ont pris des formes diverses, qu'il s'agisse de soutien, de contradiction, d'inflexion ou de refus. Nous avons tous à gagner au dialogue, car il nous enrichit nécessairement les uns et les autres. C'est, je crois, l'une des marques de fabrique de votre commission que d'offrir un tel espace de dialogue.

Comme vous m'y avez invitée, madame la présidente, je souhaiterais aborder devant vous deux points : d'une part, la mise en oeuvre de la loi de programmation pour la justice et, d'autre part, le programme des mois à venir – je m'arrêterai au mois de décembre, car l'année 2020 est encore fort loin.

La loi de programmation pour la justice, d'abord, a été promulguée le 23 mars dernier. Le travail sur ce texte, notamment celui que nous avons fait avec vos rapporteurs, Laëtitia Avia et Didier Paris, est considérable ; je les remercie et les salue. La loi du 23 mars 2019 modifie assez profondément notre paysage judiciaire, puisqu'elle va permettre la fusion des tribunaux de grande instance (TGI) et des tribunaux d'instance, avec la création des tribunaux judiciaires. En outre, de nouvelles structures sont apparues – je pense au parquet national antiterroriste, mais aussi à l'expérimentation des cours criminelles départementales.

La loi va simplifier la procédure pénale et la procédure civile, et changer en profondeur la politique des peines. Je ne reviendrai pas en détail sur l'ensemble des apports de ce texte – je ne tiens pas à rouvrir ici et maintenant des débats qui nous ont déjà occupés à différentes reprises et très longuement –, mais je voudrais à nouveau saluer le travail qui a été accompli par le Parlement pour enrichir le texte, mais aussi, dans certains cas, modifier les termes qui avaient été choisis, lorsque le débat a montré la nécessité de le faire. J'ai l'habitude de dire – et je le pense – qu'on est plus intelligent quand on travaille ensemble, à plusieurs.

Nous sommes entrés dans le temps de l'application, ce qui est particulièrement important : au fond, une loi est la condition nécessaire d'une modification des pratiques ou des structures, mais elle n'est en aucun cas la condition suffisante. Les services de la chancellerie se sont énormément mobilisés, dès le vote du texte, et ce au prix d'un effort sans précédent que je veux saluer ici devant mes directeurs. J'ai eu l'occasion de communiquer à vos rapporteurs les éléments de cette mise en application ; je les tiens à la disposition de l'ensemble des parlementaires qui souhaiteraient en disposer.

Nous avons déjà pris près d'un quart des décrets d'application que nous devions adopter cette année, et le Conseil d'État travaillera à plein régime cet été pour examiner un certain nombre de mesures d'application nécessaires ; mais, au-delà des décrets d'application, je suis surtout attachée à la mise en oeuvre concrète des dispositions de la loi.

La direction des affaires criminelles et des grâces a mis en place, pour sa part, des outils extrêmement pratiques pour accompagner les juridictions dans la mise en oeuvre de la simplification de la procédure pénale. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de constater sur le terrain que les parquets et les services d'enquête s'étaient déjà saisis des nombreuses dispositions qui doivent leur permettre d'être plus efficaces.

Le procureur national antiterroriste, Jean-François Ricard, a été installé dès le 1er juillet, et la juridiction d'indemnisation des victimes d'actes terroristes a déjà commencé son travail : les premiers dossiers seront audiencés à la rentrée.

Nous avons mis en place également les outils pour développer le travail d'intérêt général – avec notamment une plateforme numérique – et la libération sous contrainte. L'Agence du travail d'intérêt général et du travail en détention a développé, je vous le disais à l'instant, une plateforme permettant de visualiser les postes qui sont proposés à proximité, ce qui est évidemment très important pour les juges, puisque cela concrétise la peine qu'ils voudraient voir appliquer.

Par ailleurs, nous avons mis en place un accompagnement particulier sur dix sites, afin que les juges et les personnels de l'administration pénitentiaire travaillent ensemble pour s'approprier pleinement le dispositif de régulation carcérale que nous souhaitons développer de manière concrète.

Les premiers présidents et les procureurs généraux mettent d'ores et déjà en oeuvre la fusion des TGI et des tribunaux d'instance, qui va donner naissance, le 1er janvier 2020, aux tribunaux judiciaires. Ils ont, par ailleurs, commencé à travailler sur les projets d'organisation territoriale, pour examiner l'une des possibilités dont nous avons beaucoup discuté au moment de l'examen du projet de loi, à savoir développer des contentieux spécialisés, qui seront traités dans les tribunaux de proximité, et mettre en place ces spécialisations dans les départements qui comprennent plusieurs tribunaux judiciaires.

Nous travaillons également à la mise en oeuvre de la programmation numérique, prévue par la loi de réforme de la justice. Le portail du justiciable, qui permet de prendre connaissance en ligne de l'état d'avancement de la procédure, a été mis en service il y a environ un mois. Nous avons commencé, par ailleurs, à expérimenter la procédure pénale numérique au mois de juin dans deux juridictions pilotes : Amiens et Blois. Le décret sur la mise en oeuvre de l'open data des décisions de justice fait l'objet d'une très vaste concertation avec l'ensemble des parties prenantes ; il sera publié dans quelques semaines.

Nous veillons, enfin, à mettre en oeuvre la programmation budgétaire qui a été prévue dans la loi du 23 mars. Je ne peux évidemment pas commenter en amont les décisions qui vous seront présentées au moment de l'examen du budget, c'est-à-dire à la fin du mois de septembre, mais je puis vous assurer que je suis tout particulièrement le programme immobilier de la justice, notamment en ce qui concerne l'immobilier pénitentiaire, qui doit nous permettre de construire 15 000 places de prison supplémentaires à l'horizon 2027, comme je m'y étais engagée au moment de l'adoption du projet de loi. Comme pour tout programme immobilier de cette ampleur, nous allons évidemment enregistrer quelques décalages pour un nombre limité de chantiers dont la livraison sera légèrement retardée, compte tenu de l'avancée réelle des travaux. C'est le cas pour un certain nombre de bâtiments pénitentiaires pour lesquels nous devons prendre davantage de temps – je pense, par exemple, aux Baumettes 3, à Marseille, projet pour lequel nous devons évidemment consulter les habitants, mais aussi tirer toutes les conséquences de la construction des Baumettes 2, lors de laquelle nous avons rencontré un certain nombre de difficultés. D'autres projets, pour lesquels une livraison d'ici à la fin de l'exercice 2022 était espérée, pourront être également repoussés de quelques mois en raison de la difficulté d'identifier du foncier. En effet, vous le savez, quand il s'agit d'installer notamment des structures d'accompagnement vers la sortie, nous nous heurtons, dans certains cas, à l'opposition d'élus ou de parties de la population. Toutefois, ces difficultés ponctuelles ne remettent absolument pas en cause notre objectif : la très grande majorité des places qui ont été annoncées pour la première vague, c'est-à-dire 2022, seront effectivement livrées, tandis qu'à la même date la totalité des opérations nécessaires à la réalisation des 15 000 places de prison supplémentaires sera lancée. Dans la lignée des rapports de votre commission, auxquels vous faisiez référence, madame la présidente, nous travaillons à la diversification du parc immobilier, avec le développement d'établissements qui, d'une part, comportent des niveaux de sécurité différenciés et, d'autre part, sont adaptés aux différentes étapes du parcours de peine.

Vous l'aurez compris, mesdames et messieurs les députés, après le temps législatif, nous sommes pleinement impliqués dans le temps de la mise en oeuvre. C'est sans doute le processus le plus délicat. Mon ambition est en effet de produire non pas des textes – car cela, somme toute, est assez simple –, mais des résultats concrets, qui modifient la situation. À cette fin, et pour que vous puissiez mieux suivre les évolutions que nous allons accomplir, j'ai souhaité que soient construits plusieurs indicateurs qui permettront de mesurer les effets concrets de la réforme de la justice et d'en corriger éventuellement les aspects qui ne correspondraient pas pleinement à nos ambitions. Comme vous le savez, le Gouvernement souhaite que ces indicateurs soient partagés avec les parlementaires, lesquels doivent s'assurer de la bonne exécution de la loi. Nous avons eu l'occasion d'échanger au sujet de ces indicateurs avec les rapporteurs. Je souhaite qu'ils fassent l'objet d'un suivi régulier et que vous soyez régulièrement destinataires des conclusions de ce suivi.

Ces indicateurs porteront bien évidemment sur la nouvelle politique des peines, pour que nous nous assurions que la réforme souhaitée par le législateur répond aux objectifs. Nous suivrons ainsi attentivement la part des détenus condamnés à des peines d'emprisonnement de moins de six mois, pour lesquels, vous le savez, la loi a prévu des dispositions différentes ; le nombre de prises en charge dans le cadre du travail d'intérêt général ; les délais de mise à exécution des peines d'emprisonnement ferme ; le pourcentage de personnes qui travaillent en établissement ; enfin, le taux d'occupation des établissements pénitentiaires. Nous travaillerons également à l'élaboration d'un indicateur de suivi de la récidive concernant les principales mesures de la réforme, ce qui me semble particulièrement important.

Si un certain nombre des indicateurs que je viens d'énumérer concernent les peines, d'autres évalueront également le travail que nous souhaitons accomplir dans le domaine de la justice du quotidien. Il s'agira, là encore, de mesurer les effets de la loi sur l'ensemble des justiciables. Nous observerons ainsi le délai moyen de jugement des affaires ; le taux d'usagers accédant à leur dossier en ligne ; le nombre de plaintes en ligne ; la satisfaction des usagers ; la part de la population se trouvant à moins de trente minutes d'un lieu d'accès au droit – ce dernier indicateur devrait logiquement s'améliorer avec le développement de l'accès au droit, dans le cadre de la création des maisons « France service », annoncée par le Président de la République lors de sa conférence de presse du 25 avril.

Voilà donc ce que signifie pour nous l'adoption de la loi de programmation pour la justice : ce n'est absolument pas la fin ou la suspension des réformes, c'est au contraire un début. Beaucoup reste à faire dans ce domaine. J'aurai donc l'occasion de venir à nouveau devant vous pour étudier l'évolution des résultats de ce texte.

Au-delà de la mise en oeuvre de la loi de réforme de la justice, bien d'autres chantiers sont en cours ou vont être ouverts. Le premier d'entre eux – vous y avez également fait allusion, madame la présidente – est celui de la réforme de la justice pénale des mineurs. J'ai eu l'occasion d'y travailler avec les représentants de la commission, que vous avez citées. Ils sont issus de quasiment tous les groupes,…

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