Intervention de Bernard Doroszczuk

Réunion du mercredi 17 juillet 2019 à 17h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Bernard Doroszczuk, président de l'Autorité de sûreté nucléaire :

– Les éléments présentés par M. Ursat correspondent, dans les grandes lignes, à la chronologie de la découverte des anomalies et de leur traitement. Je reviendrai, en revanche, sur les propos tenus par M. Braidy s'agissant de la conformité des soudures par rapport aux exigences.

Les anomalies présentes sur les traversées de l'enceinte de Flamanville ne sont pas récentes : elles ont été découvertes par EDF et par Framatome en juillet 2015, mais l'ASN n'en a été informée qu'en janvier 2017. Le niveau de qualité des soudures ne résulte pas de la réglementation applicable aux équipements sous pression, mais d'une proposition faite par EDF et par Framatome dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation de création de l'EPR. Les niveaux d'exigence retenus pour la construction des traversées de l'enceinte avaient été atteints lors de la construction du dernier réacteur du palier N4 à Civaux, comme sur des réacteurs construits à l'étranger, notamment en Chine et en Grande-Bretagne. Malheureusement, ils n'ont été ni formulés ni transmis au fabricant et aux sous-traitants, les entreprises Fives-Nordon et Ponticelli Frères, chargées de réaliser les soudures. Aussi, dès la fabrication en usine, les tronçons de traversées d'enceinte ne répondaient pas au niveau de qualité requis par l'exploitant.

Après avoir été informés par EDF, nous avons immédiatement été mobilisés pour évaluer l'ampleur de l'écart par rapport au référentiel d'exclusion de rupture. Dès le mois de février 2017, une inspection sur le site de Flamanville, où des opérations de soudage se poursuivaient, était lancée sur le circuit vapeur secondaire, dont la construction et l'assemblage avaient démarré en avril 2016. Nous avons alors constaté que les exigences de qualité liées au référentiel d'exclusion de rupture n'avaient pas non plus été communiquées aux entreprises qui réalisaient les travaux sur le site. Au total, 66 soudures étaient soumises auxdites exigences, soit 8 sur les traversées de l'enceinte et 58 à l'extérieur. Il s'agissait donc d'une défaillance globale sur l'ensemble du circuit vapeur secondaire.

Nous avons ensuite engagé un dialogue technique avec EDF et Framatome, avec l'appui de l'IRSN, pour réfléchir au moyen de traiter les écarts constatés. À deux reprises, en février puis en octobre 2018, nous avons écrit que la stratégie présentée par EDF, consistant à justifier le maintien en l'état des huit soudures de traversée, paraissait peu réaliste et qu'il convenait qu'EDF les répare et lance les opérations d'approvisionnement et de qualification nécessaires. Néanmoins, en décembre 2018, EDF a fait le choix de présenter une telle stratégie, laquelle a fait l'objet d'une instruction approfondie par la direction des équipements sous pression de l'ASN, avec l'appui de l'IRSN.

Précédemment, les informations dont nous disposions étaient essentiellement liées à des écarts identifiés sur certaines caractéristiques mécaniques des soudures visées par les exigences de haute qualité. Le débat portait donc sur l'acceptabilité des soudures n'ayant pas atteint le niveau de qualité exigé. Mais, pour pouvoir instruire le dossier devant le groupe permanent d'experts sur les équipements sous pression, nous avons demandé à EDF de nous fournir des éléments complémentaires, notamment une cartographie des conditions de réalisation des huit soudures incriminées. Il est alors apparu que nous nous trouvions face à une défaillance industrielle générale de la chaîne de conception, de fabrication et de contrôle des soudures, de nombreuses anomalies et écarts par rapport aux exigences ayant été relevés. Les coupons témoins indiquaient que ni les modes opératoires, ni les matériaux ne convenaient, ce qui interrogeait sur la possibilité d'engager une démarche de justification. En conséquence, le groupe permanent d'experts, réuni les 9 et 10 avril 2019, a conclu qu'EDF ne pouvait pas postuler que les soudures ne présentaient pas de risque de rupture et, sur ce fondement, justifier l'absence de réparation. EDF a alors envisagé une seconde stratégie pour être autorisée à mettre le réacteur en service en l'état, moyennant des justifications et la réalisation de réparations trois ou quatre ans après le démarrage de l'installation. Nous avons examiné la proposition et rendu, le 19 juin, un avis signifiant qu'elle ne nous paraissait pas réaliste et qu'il convenait de privilégier une réparation avant la mise en service du réacteur.

Je tire trois enseignements des constats effectués sur les soudures de traversée de l'enceinte et du circuit vapeur principal, comme sur d'autres composants de l'EPR. D'abord, l'expérience et la compétence industrielles se sont affaiblies dans le secteur du nucléaire et il convient de les renforcer, afin de garantir la qualité des installations nécessaire à la confiance dans le nucléaire. Il apparaît, ensuite, que la filière nucléaire française a fait le choix d'une logique de justification technique a posteriori lorsqu'elle est confrontée à des écarts sur des équipements, plutôt que de les réparer. Elle parie sur le futur, alors que, dans certains cas, la correction immédiate des écarts aurait été plus simple. Un industriel me disait récemment que 80 % des écarts industriels pouvaient être corrigés pour éviter des logiques de justification coûteuses et incertaines, la justification devant être réservée aux cas les plus complexes. Le bon sens industriel, hélas, a été écarté dans le dossier qui nous préoccupe… Enfin, l'ASN doit en tirer un enseignement en termes de contrôle : les opérations d'inspection sont priorisées sur les équipements les plus importants - chaudière nucléaire, cuve, générateur de vapeur, circuit primaire principal et certaines parties du circuit secondaire. Entre 2005 et 2016, nous avons réalisé 64 inspections chez les fabricants chargés de la construction de l'EPR, dont cinq ont concerné le soudage mais aucune l'enceinte. Il nous faut réfléchir à mieux identifier et contrôler les cas d'exclusion de rupture qui ressortissent non à la réglementation mais au décret d'autorisation de création de l'EPR et d'un choix volontaire de l'exploitant.

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