Intervention de Richard Girardot

Réunion du mercredi 29 mai 2019 à 10h30
Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Richard Girardot, président de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA) :

L'ANIA regroupe un peu plus de 17 000 entreprises, qui représentent 176 milliards de chiffre d'affaires et dont l'activité est à 80 % française.

Je vous ai remis une version papier de ma présentation. Dans la partie « Pourquoi les EGA ?», je suis revenu sur l'un des objectifs de la présente commission : stopper la destruction de valeur. Je reprends en particulier les deux points soulevés par le président de la République lors du discours qu'il a tenu à Rungis.

Je rends ensuite hommage au ministre, M. Travert, et à la Charte signée en novembre 2017. Notons tout d'abord que 30 % des signataires de ladite Charte ont aujourd'hui changé de fonction. D'autre part, cette Charte n'a pas été suivie d'acceptation et de valorisation par les différentes parties.

Pour moi, la loi ÉGAlim était une opportunité et la création de cette commission est une chance industrielle. Ne comptez donc pas sur moi pour tirer sur cette loi : elle nous a permis de travailler pendant six mois à 860 personnes sur les différents sujets relatifs à l'alimentation en France, avec toute la chaîne de valeur. À titre personnel, je compte également beaucoup sur cette commission. J'ai souhaité faire un peu de pédagogie pour expliquer la complexité de la distribution française. Je n'entre pas dans le détail de ma présentation, je répondrai à vos questions.

Rappelons simplement qu'il s'agit d'un système dans lequel on négocie à cinq niveaux de prix, auxquels se sont récemment ajoutées les pénalités logistiques.

Ensuite, j'ai voulu rappeler que tout cela intervient sous une forme de pression et même de chantage au déréférencement des entreprises. Ma présentation cite deux exemples. Les PME vivent parfois avec des menaces de déréférencement assez fortes. Le déréférencement total est extrêmement rare, mais il existe des déréférencements partiels, temporaires ou touchant une partie de la gamme des produits d'un industriel, de façon définitive ou ponctuelle, le temps de la négociation. Il existe aussi ce que nous appelons des « déréférencements sournois, sans véritable argumentation, dont l'industriel n'est pas prévenu et qu'il découvre en cours de négociation.

La page 9 de ma présentation présente l'exemple de la société des pains Harry's France. Celle-ci a sécurisé sa source d'approvisionnement — en passant des accords avec les céréaliers —, elle a garanti des rémunérations supérieures aux producteurs et réduit sa composition en la « nettoyant » de certains composants afin de la prendre plus accessible et plus respectueuse du consommateur. Tout cela a représenté un investissement de 3 millions d'euros par an. La grande distribution n'en a pas du tout tenu compte, considérant que ce produit « restait du pain de mie ». In fine, Harry's n'a pas subi de déflation, mais il n'est pas parvenu à augmenter ses tarifs.

Les pages 10 et suivantes montrent que les mauvaises pratiques persistent dans les négociations 2019, contre l'esprit des États généraux de l'alimentation (EGA). Elles présentent les « Commandements de l'acheteur Carrefour », et des échanges de mails entre un industriel adhérant à l'ANIA et la centrale d'Intermarché, relatifs à un renouvellement de marque de distributeur (MDD). Dans l'exemple que je cite, il apparaît qu'en dépit de la Charte sur laquelle nous nous sommes tous engagés, la demande de cette centrale, en 2019, ne correspondait plus à une crème française, mais à une crème européenne !

Nous avons mis en place un observatoire des négociations. Sur les 17 000 entreprises de l'ANIA, 2 000 à 2 500 négocient tous les ans des conditions commerciales avec la grande distribution. Nous avons reçu de la part de ces dernières près de 680 remontées, que nous avons traitées individuellement, mais sans avoir accès à l'information.

La page 13 de ma présentation passe rapidement en revue les six dernières années, au cours desquelles le problème s'est accéléré. La déflation a coûté 5,5 milliards d'euros aux industriels. Cela représente pour eux 5,5 milliards d'euros de pertes. Ce sont 8 points de marge qui ont ainsi été perdus en trois ans…

La France décroche, en termes de compétitivité, de 14,5 points par rapport aux chiffres de ses différents partenaires et concurrents que sont principalement l'Allemagne pour les volumes et l'Italie pour l'image et la qualité. Au niveau international, c'est l'Italie qui représente le vrai concurrent de la France.

Vous voyez ensuite, en page 17, la disproportion du rapport de force. Il existe en France quatre centrales pour 17 253 entreprises, dont un « coeur » de 2 500 qui négocient régulièrement avec la grande distribution, et 500 000 exploitations agricoles.

La page 18 montre l'évolution de la distribution entre hier et aujourd'hui. Je distingue trois phases. La première est celle de la révolte de la distribution dans les années 1960-1970, pendant lesquelles les industriels menaient objectivement la danse ; on comptait alors de nombreux grossistes et la distribution restait très éclatée sur le territoire français. La deuxième phase est celle de la conquête, marquée par des regroupements croissants d'enseignes de supermarchés au fil des années. La troisième phase, dans les années 2000, est celle de l'ouverture sur le monde, avec l'arrivée des hard discounters allemands puis du e-business – Amazon, Alibaba, Zooplus…

Nous sommes passés d'un cycle dans lequel l'industriel dirigeait la manoeuvre à un cycle où c'est la distribution qui mène le débat, une période néanmoins marquée par des accidents dans la grande distribution, comme le montre l'actualité récente.

La page 19 montre que les distributeurs indépendants ont gagné la guerre des prix contre les distributeurs intégrés. Il est assez compliqué de suivre leurs mouvements rapides, mais par exemple, un groupe comme Carrefour World Trade (CWT) réalise deux fois le chiffre d'affaires d'un groupe comme Nestlé ! La presse fait souvent état de « monstres » industriels : c'est faux. Aujourd'hui, les ETI et les PME dominent largement le tissu économique national.

La page 20 vise à provoquer vos questions. Elle montre qu'entre « mariages » et « divorces opportunistes » entre distributeurs, le rapport de force est disproportionné et la complexité est savamment entretenue. Les alliances entre enseignes sont extrêmement mouvantes, au niveau français comme au niveau européen. S'y ajoute l'aspect humain, avec des passages fréquents d'acheteurs d'une centrale à une autre.

Nos propositions, très concrètes, concernent la proportionnalité et la réciprocité. Elles sont présentées en pages 21 et suivantes : rétablir le tarif comme référent de base et le reconnecter à la réalité ; mettre fin aux pénalités logistiques disproportionnées ; lutter contre le « racket » des super centrales et des alliances entre distributeurs ; rétablir la « peur du gendarme », c'est-à-dire de vous ! ; mettre fin à l'impunité avec des contrôles et des sanctions dissuasives ; mettre en place un suivi précis positif vis-à-vis des clients et de l'amont, conformément à l'objectif exprimé par le Président de la République.

Ces propositions impliquent un effort de réciprocité de la part de toutes les parties. De la même manière qu'un industriel doit justifier une hausse de ses tarifs, les distributeurs doivent justifier leurs refus des tarifs. Cette règle, qui constitue le premier point de conflit entre industriels et distributeurs, doit s'appliquer. Si ce problème n'est pas réglé, il n'y aura pas de ruissellement vers l'amont.

Nous devons nous retrouver autour de la table et nous imposer la confiance. Pouvez-vous nous aider à le faire ? Le ministère de l'industrie, de l'économie et des finances est-il capable d'imposer cette confiance ? Le ministère de l'agriculture et de l'alimentation peut-il imposer cette confiance pour l'amont ? C'est indispensable, à l'orée des négociations 2020.

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