Intervention de Olivier Huet

Réunion du jeudi 11 juillet 2019 à 9h00
Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Olivier Huet, président du Directoire :

Je vais commencer par présenter Stéphane de Prunelé, qui est Secrétaire général de notre association l'ACDLec (Association des Centres Distributeurs E. Leclerc), et Sébastien Chellet, qui travaille avec moi au sein du Directoire du Galec et qui en est le Directeur général.

Pour ma part, je suis Olivier Huet, adhérent au centre E. Leclerc de Châteaudun en Eure-et-Loir, dans un magasin familial, que j'ai repris en 2004. Au sein de la coopérative nationale, je préside depuis un an le Directoire et pour encore 3 ans, eu égard au mandat de 4 ans que nous nous fixons dans l'enseigne.

Chaque enseigne a ses propres aspérités, son identité et une promesse consommateur différente, que ce soit sur l'offre, sur les formats de magasins, sur les prix ou sur la présence dans les territoires. Notre métier est avant tout un métier de vendeur, avec l'obsession d'avoir une offre qui réponde au mieux à la demande des clients, de nos consommateurs.

Notre Mouvement a été fondé en 1949. C'est une fédération de commerçants indépendants implantés dans les régions, souvent depuis plusieurs générations. Nous sommes très attachés à nos valeurs, à l'entrepreneuriat, au parrainage, à la participation de nos salariés au bénéfice de nos entreprises, à la promotion sociale, au modèle coopératif, et à la défense du pouvoir d'achat des consommateurs.

Nous sommes très attachés aussi à maintenir une offre large dans des territoires qui sont souvent oubliés, comme les petites villes qui sont désertées par les grands groupes, mais aussi par les administrations et les services publics, comme c'est le cas de l'hôpital ou de la maternité à Châteaudun.

Notre organisation est très légère afin d'être compétitive. Nous sommes organisés sous la forme d'une association qui regroupe les adhérents qui sont les patrons des centres E. Leclerc, et d'une coopérative – le Galec – qui regroupe les entreprises. Notre association concède le droit d'utilisation des marques E. Leclerc, et définit les règles d'adhésion. Les adhérents ont avec l'enseigne une relation contractuelle d'un an, renouvelable tacitement.

À ce jour, nous avons 592 personnes physiques qui exploitent 792 magasins à dominante alimentaire, 690 drives et 1 973 concepts spécialisés. Le Galec est la coopérative nationale dont le rôle est de référencer et de mettre en oeuvre une politique commerciale, marketing, et du digital. Cependant, le Galec n'effectue pas d'achats-reventes, en vertu du mandat coopératif. L'intégralité des conditions négociées, quel que soit le lieu, sont destinées aux magasins qui sont fiscalisés selon les règles françaises. Les magasins participent aux charges de fonctionnement de la coopérative par le biais d'un appel à cotisation qui est destiné à couvrir les charges de la coopérative.

Ainsi, dans notre organisation, les magasins sont les seuls centres de profit de l'enseigne. Ils appartiennent intégralement aux adhérents qui participent bénévolement et très activement au travail collectif, 3 jours par semaine, forts de leur expérience de terrain. Cela explique en partie notre performance et le faible niveau de nos coûts de structure, qui sont mieux maîtrisés que chez nos concurrents.

Les centres E. Leclerc emploient près de 130 000 salariés en France, dont 90 % de CDI, et presque autant de temps plein. Nous embauchons à tous les niveaux de compétences, avec ou sans diplôme. Nous formons chaque année 66 000 salariés et 1 200 apprentis. Nous recrutons bien évidemment majoritairement une population située à proximité de nos entreprises et de nos magasins. Toutefois, notre équation est fragile, car nous assumons une fonction d'amortisseur de prix de vente des consommateurs sur de nombreux produits agricoles soumis à des variations de cours. Je pense par exemple aux fruits et légumes d'été ou à la viande. Cette fonction d'amortisseur est essentielle à la stabilité du pouvoir d'achat de nos concitoyens.

Nous avons en effet une attention très particulière sur les prix de vente, qui garantit l'accessibilité des produits aux clients au plus grand nombre et qui garantit aussi notre compétitivité. Car notre modèle économique est celui d'un centimier. Il est basé sur une marge très faible et sur une très bonne maîtrise de nos charges, qui conduit nos magasins à un bénéfice net moyen compris entre 1,5 et 2 %.

En outre, nous investissons dans nos magasins et nos entrepôts régionaux pour garder des magasins qui soient attractifs et lutter contre une concurrence, notamment une concurrence digitale de plus en plus vive. Les grands groupes industriels se concentrent à l'échelon international. Ils occupent encore aujourd'hui une grande partie de nos assortiments, même si seulement 37 % des Français ont confiance dans ces grandes marques.

Nous travaillons aussi à préserver le rapport qualité-prix de l'offre de ces multinationales pour les consommateurs, car notre métier a changé. Il ne se traduit plus aujourd'hui par une simple négociation de prix, mais il s'organise autour de la revente, du marketing, des offres, des assortiments, de la sécurité et de la qualité des produits, ainsi que de la gestion des canaux de vente. Tout cela dans une concurrence exacerbée, face à des compétiteurs qui opèrent à l'échelle de la planète et qui bénéficient de régimes fiscaux avantageux, souvent favorisés par des États qui regardent avec bienveillance leurs entreprises nationales inonder le monde de leurs produits.

C'est pour cette raison que les commerçants cherchent à s'allier afin de résister dans cette compétition mondiale extrêmement difficile et exigeante, et faire face aux défis par rapport aux géants que nous avons en face de nous, autant dans le numérique que dans le physique.

Cependant, notre rôle vis-à-vis des filières agricoles et des PME est capital, car elles sont une partie essentielle du tissu économique du pays. Nous leur offrons des débouchés parfois depuis plus de 30 ans. Il en va de même pour des centaines de producteurs avec qui nous avons mis en place une démarche d'achat directe – les « alliances locales » – car eux aussi vivent des mutations profondes et subissent notamment la suppression de la PAC (politique agricole commune).

Le coeur de notre assortiment est composé de produits frais, avec beaucoup de stands traditionnels. Dans une immense majorité, nous fabriquons notre pain. Nous fabriquons nos pâtisseries et une partie des préparations charcutières, qu'elles soient froides ou chaudes.

Beaucoup de collègues ont en plus investi dans des poissonneries traditionnelles, des caves d'affinage pour les fromages ou encore des caves de maturation pour les viandes bovines. Pour la boucherie, justement, nous sommes approvisionnés en carcasses qui sont découpées par nos bouchers au sein de nos magasins. Nous nous approvisionnons dans notre abattoir de Bretagne ou directement chez des éleveurs locaux, avec qui nous avons des accords de filière.

Quelques mots sur la loi EGAlim, pour vous dire que nous avons été dès le début signataires de la Charte, avant même la parution de la loi. Nous attirons néanmoins votre attention sur ses limites. Les garanties et les mécanismes de ruissellement ne sont pas réunis et la limitation de la promotion est un frein au développement pour beaucoup de PME. Nous n'avons d'ailleurs pas répondu en ce début d'année aux promotions hors cadre de certains de nos concurrents. Le résultat est que cela nous a coûté en compétitivité et cela a été sanctionné immédiatement par les consommateurs dans la fréquentation de nos points de vente.

Cela doit faire réfléchir à l'attention sur le prix qu'ont les clients, lorsque l'on sait que les Français considèrent que l'augmentation de leur pouvoir d'achat et la réduction des inégalités sont prioritaires pour eux. 58 % avouent avoir une marge de manoeuvre très limitée lorsqu'ils font leurs courses et 15 % sont à l'euro près.

Je conclurai en vous disant que dans ce contexte, chacun doit repenser son organisation et son modèle économique. Nous subissons la même pression concurrentielle que nos fournisseurs, nos agriculteurs et nous devons nous aussi nous organiser, investir et faire des choix. Nous comprenons donc les craintes de chacun, mais nous ne pouvons pas être les boucs émissaires de toute une profession. Le rapport de force n'est pas toujours aussi simple qu'on le pense. Le consommateur a ses préférences. Le marketing des grandes marques nous contraint et l'essentiel de notre chiffre d'affaires est réalisé avec une poignée de fournisseurs.

Alors oui, il est indispensable d'assurer la pérennité de nos filières agricoles et le bien-être des producteurs et des PME. Nous sommes une alternative face à la concurrence mondialisée et nous souhaitons continuer à assurer des débouchés à nos entreprises.

Pour autant, nous n'oublions pas nos clients et leurs difficultés de pouvoir d'achat.

Pour finir, je souhaite vous dire la tête haute, la fierté que j'éprouve concernant le travail des salariés de mon enseigne et la fierté que j'éprouve à faire mon métier.

Comme vous, nous sommes attachés à la réussite de notre pays, mais nous ne sommes pas dupes des enjeux qui se jouent derrière certaines postures. Nous sommes ancrés dans nos territoires. Nous ne sommes pas de passage. Nous investissons en France parce que nous croyons au commerce en France et que nous pensons pouvoir relever les défis d'une concurrence nouvelle qui bouscule le secteur. Les adhérents E. Leclerc sont proches de leurs entreprises, ils sont très attachés à leurs salariés et sont très attachés à leurs clients.

C'est vrai que nous pouvons faire des erreurs, mais dans un contexte extrêmement changeant et ultra-mondialisé, nous résistons et nous faisons notre métier le mieux possible.

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