Intervention de Jean-Paul Delevoye

Réunion du mercredi 24 juillet 2019 à 15h00
Commission des affaires sociales

Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites :

Madame Blandine Brocard, vous avez évoqué le rapport de la Cour des comptes ; il est évident que ce n'est pas sur cette base que nous fondons nos décisions, mais il n'en est pas moins vrai que la fin des catégories actives doit aussi avoir pour but la diminution des contributions budgétaires destinées à financer ces périodes de départ anticipé. Vous parlez de 5 milliards d'euros – dont 600 millions pour la RATP et 3,5 milliards pour la SNCF. Certaines contributions sont liées à la compensation démographique, d'autres à des avantages spécifiques. Il convient toutefois de maintenir ces entreprises dans la capacité de concurrence qui est la leur. C'est pourquoi nous réfléchissons, dans le cadre d'un contrat État-entreprise, aux moyens d'accompagner la diminution du nombre de celles et ceux qui sont en catégorie active.

Je puis assurer à Gilles Lurton, que nous conserverons l'ENIM : nous avons clairement indiqué que les marins sont tellement éloignés du système universel qu'ils doivent faire l'objet de conditions particulières. Dans ce régime, la pénibilité par exemple est directement liée aux jours passés en mer ; nous devons donc travailler à ce sujet avec les responsables.

Quant aux inquiétudes des avocats et des médecins, elles tiennent à des raisons diamétralement opposées. Les médecins craignent que dans la mesure où leurs cotisations vont baisser, leurs droits diminueront d'autant. Ce n'est absolument pas le cas ; nous étudions précisément les conditions de complémentarité. De leur côté, les avocats, dont le taux de cotisation est de 14 %, estiment qu'il est impossible de passer à un taux de 28 %. Nous partageons cette analyse ; c'est pourquoi nous proposons une solution importante mais complexe de modification de l'assiette de la cotisation versée aux deux organismes de gestion. Nous travaillons avec leurs responsables aux moyens de faire face à ce défi.

Laurent Pietraszewski a évoqué un sujet qui est au coeur de nos préoccupations : la transition entre l'emploi et la retraite. Nous souhaitons établir un bilan très précis de la retraite progressive, de la retraite partielle et du cumul emploi-retraite ; tous sujets qui rejoignent la problématique de l'emploi des seniors, sur lequel nous devons avoir un vrai débat. Il faut en effet montrer que l'expérience constitue une vraie richesse, et que la formation à l'intention des gens de 55 ans ne représente pas une dépense à fonds perdu.

La question posée par Mme Catherine Fabre conduit à s'interroger sur des assouplissements compatibles avec un système à points. Pour l'instant, la réponse est négative, mais le débat peut éventuellement être ouvert.

Belkhir Belhaddad a évoqué le projet de création d'un fonds de réserve destiné à assurer la pérennité du système universel de retraite. Je connais la qualité de la gestion des fonds de réserve, nous souhaitons en définir le périmètre, ce qui dépend du conseil d'administration, car il s'agit d'une gestion différente. La vocation de ces fonds de réserve doit être de fluidifier les chocs démographiques et économiques ou la garantie des droits du passé.

Avec le sens de la synthèse qui le caractérise, Bernard Perrut a posé cinq questions en 30 secondes... Je découvre que le bouchon lyonnais ne lui est pas étranger, et qu'il sait pousser le bouchon un peu loin... ! Cela étant, nous engagerons la discussion avec les partenaires sociaux afin de voir quels seront les moyens disponibles en 2025 ; mais pour l'instant, mais je ne suis pas en mesure de répondre. En revanche, je ne partage pas votre point de vue, monsieur Perrut, au sujet de la réversion ; je considère au contraire que ce que nous proposons peut apporter une grande satisfaction pour les ressortissants des treize régimes devant passer dans le système universel. En ce qui concerne les 85 % du SMIC, je ne vais pas vous décevoir, connaissant depuis un certain nombre d'années la cohérence de votre pensée : dans le système actuel, on ne peut bénéficier du minimum contributif qu'à condition d'avoir rempli la totalité de sa durée de cotisation ; pour les autres, le minimum contributif se déclenche à l'âge de 67 ans. Si je décline la même cohérence que celle du système actuel, ce sera à 64 ans, et non plus à 67 ans, que le bénéfice du minimum contributif sera ouvert, ce qui à l'évidence constitue une amélioration. En tout état de cause, j'ai trop d'amitié pour vous pour me satisfaire de vous répondre en 30 secondes ; j'espère que nous aurons l'occasion de nous revoir afin d'approfondir notre discussion.

Martine Wonner, je connais, et je partage, votre sensibilité au handicap psychique, dont le spectre va du mal-être jusqu'aux difficultés liées à la pénibilité au travail. Vous posez une vraie question mais je suis, pour l'instant, dans l'incapacité d'y répondre. En tout état de cause, il me paraît pertinent de profiter de ce débat pour réfléchir à ce problème, notamment sous l'angle de l'accompagnement – je pense en particulier aux nombreux parents dont les enfants sont fragiles.

Marc Delatte, la valeur du point, nous l'avons fixée ; l'indexation est arrêtée, il est évident que, dans le cadre de la gouvernance, toute une série de paramètres permettront des adaptations – mais nous aurons l'occasion d'y revenir.

Patrick Hetzel, j'ai trop de respect pour votre sens des mathématiques pour ne pas souscrire à vos équations. Mais je perçois bien votre habileté, qui consiste à me suggérer, sous le couvert d'une question innocente, une solution qui l'est beaucoup moins, notamment par le fait qu'elle ferait exploser le budget ! Vous affirmez que les familles nombreuses seront perdantes. Or, je le rappelle, dans le système actuel, la majoration est de 20 % pour les personnes ayant élevé trois enfants, et nulle pour ceux qui n'en ont élevé qu'un alors que, demain, elle sera de 20 % pour ceux qui ont élevé quatre enfants et de 25 % pour ceux qui en ont élevé cinq. Je suis donc en quelque sorte votre ambassadeur par anticipation, puisque les familles nombreuses seront plus avantagées dans le système que je propose. Et surtout, à la différence d'aujourd'hui, les familles monoparentales bénéficieront de droits dès le premier enfant. Qui plus est, je connais trop votre attachement à la défense de la femme pour croire que vous acceptez le privilège dont jouissent les hommes dans le système actuel, qui augmente leur pension au détriment des femmes. Or, dans le cas d'une famille de trois enfants dont le dernier a moins de trois ans, le taux d'activité des hommes reste de 70 % alors que celui des femmes tombe à 30 %. Ce système, qui a du reste été dénoncé sur tous les bancs, a ainsi tendance à pénaliser les femmes. C'est pourquoi, dans le souci de corriger les préjudices de carrière, nous préconisons un dispositif dans lequel, si les familles de trois enfants sont effectivement perdantes, beaucoup de femmes sont gagnantes – mais on peut ne pas partager ce point de vue.

Delphine Bagarry, vous avez raison, le système est si complexe qu'il est difficile à saisir. L'important, c'est de comprendre que notre proposition de fixer l'âge d'équilibre à 64 ans nous paraît concilier les exigences de justice sociale et de consolidation budgétaire. Ce n'est ni une réforme de droite, qui est souvent comptable, ni une réforme de gauche, qui consiste souvent à accorder des majorations ; c'est une réforme juste, en ce qu'elle concilie ces deux démarches. Les personnes souhaitant partir à 62 ans ne seront donc pas stigmatisées. N'oublions pas que le système actuel prévoit déjà une décote à 62 ans, décote qui, si vous devez partir à 65 ans, peut atteindre plus de 20 %. Demain, elle sera limitée à 10 % ; le futur dispositif est donc plus avantageux. On débat du futur système en ignorant le système actuel. Je prendrai donc tout le temps nécessaire pour établir des comparaisons et souligner à quel point nous avons le souci de réduire l'écart en faveur des travailleurs aux carrières heurtées, des femmes... Fixer un âge pivot à 64 ans me semble la solution la plus juste, mais si nous pouvons l'améliorer ensemble, j'en serai ravi.

Dominique Da Silva, beaucoup des éléments que vous évoquez relèveront du dialogue social, mais il est des principes auxquels on ne peut pas déroger. Dans un régime universel, si l'on estime nécessaire de fixer un seuil de pénibilité lié au travail de nuit, s'applique le principe : à professions identiques, critères identiques, solution identique.

Monsieur Brahim Hammouche, je regrette qu'on vous ait contraint à abréger votre conclusion, car je la trouvais sympathique. Je reconnais là la cruauté de la présidente... ! Plus sérieusement, l'espérance de vie sera l'un des facteurs au coeur de l'équilibre du système. Par ailleurs, nous n'avons pas prévu de rachat de points pour l'instant : nous maintenons le dispositif actuel – mais c'est un sujet dont nous pourrons discuter.

Sylvain Maillard, vous m'avez interrogé sur les périodes de service militaire. À cet égard, je rappelle que nous garantissons le maintien de 100 % des droits acquis au moment où l'on basculera de l'ancien système vers le nouveau. Dans le système actuel, beaucoup de bonifications consistent à majorer le nombre de trimestres cotisés mais n'augmentent pas la pension – c'est déjà un peu compliqué – et nombre de dispositifs confèrent des droits inutiles. Le service militaire relève de la première catégorie : c'est un octroi de durée, non une augmentation de la pension. Quoi qu'il en soit, dès lors que nous garantissons la totalité des droits acquis, celles et ceux qui ont accompli un service militaire verront celui-ci intégré dans le calcul de leurs droits acquis. Pour l'avenir, puisque chaque revenu donnera des points, il n'y a aucun problème dans ce domaine, y compris pour le service civique des jeunes, qui peuvent améliorer ainsi leur situation.

Monique Iborra, nous sommes parfaitement en phase avec votre demande. Au-delà de l'âge d'équilibre, qui est de 64 ans, la personne qui souhaite cumuler un emploi et sa retraite pourra acquérir des droits pour augmenter sa pension. Bien entendu, nous estimons que cela n'est valable qu'une fois. Il faudra que nous étudiions cela de façon approfondie avec les parlementaires mais, si une personne décide de retravailler à 65 ans puis s'arrête au bout de six mois et liquide une seconde fois sa carrière, elle ne pourra pas recommencer à 67 ans. Toujours est-il que beaucoup de personnes travaillant au noir pourraient ainsi avoir intérêt à ce que leur emploi soit déclaré – je pense notamment à celles qui exercent des emplois à domicile, puisque beaucoup de retraités s'occupent de cette manière. Il s'agit d'une question intéressante, que nous devrons étudier – je pense, à cet égard, au rapport de Charlotte Lecocq.

Annie Vidal a évoqué les proches aidants. Dans le prolongement du rapport commandé par Mme Agnès Buzyn sur le sujet, nous étudierons la manière dont, si des revenus sont accordés aux aidants, on peut leur permettre d'acquérir des points dans ce cadre.

Monsieur Thierry Michels, en ce qui concerne les personnes handicapées, le dispositif reste le même : la possibilité de partir à 59 ou 55 ans sera maintenue. Cependant, elles doivent actuellement, pour ce faire, remplir une double condition liée à la durée cotisée et à la durée globale. Demain, le départ anticipé ne sera plus soumis qu'à une condition. Nous améliorons ainsi la situation des personnes handicapées en simplifiant les choses. Elles pourront partir à taux plein à compter de 55 ans.

Madame Monique Limon, nous ne créons pas de cotisation déplafonnée ; elle existe déjà, de même que les surcotisations que j'évoquais tout à l'heure à propos des régimes complémentaires. Nous maintenons donc le dispositif actuel et nous affichons très clairement notre volonté que celui-ci soit également payé par celles et ceux dont les revenus excèdent 120 000 euros. Une affectation est-elle prévue pour cette cotisation ? Non, mais son produit alimentera les dispositifs de solidarité de l'ensemble du système, dont le Fonds de solidarité vieillesse.

Madame Fadila Khattabi, votre question sur la soutenabilité est tout à fait pertinente. Nous respectons les trajectoires financières prônées par le Gouvernement. Le Premier ministre a en effet exigé que le système universel accompagne les courbes du COR et ne dégrade pas les trajectoires financières. Nous sommes parfaitement en phase avec cet objectif – nous vous communiquerons tous les éléments. Sur l'équilibre en 2025, la réponse vous sera apportée dans le cadre du dialogue qui doit s'ouvrir.

Madame Catherine Fabre, nous avons soutenu la proposition du Premier ministre de réfléchir au travail des seniors. Je souhaite que, sur le plan culturel, la France prenne conscience que celui-ci est une richesse, que le travail plurigénérationnel est plus dynamique que le travail monogénérationnel et que lorsqu'on investit sur une personne de 55 ans, le retour sur investissement est positif. C'est la raison pour laquelle nous devrons réfléchir de manière très précise, comme le souhaite également Laurent Pietraszewski, à la question du travail des seniors et du basculement vers la retraite.

Mme Christine Cloarec m'a interrogé sur l'accessibilité en ligne et la mise en place de plateformes ; nous n'avons pas vocation à créer des outils supplémentaires, mais nous pourrons, le cas échéant, améliorer la performance de ceux qui existent. Au demeurant, nous avons le souci de développer la qualité des services fournis aux personnes âgées et aux futurs retraités, en mettant notamment à leur disposition des simulateurs pour qu'ils puissent avoir connaissance des éléments nécessaires pour déclencher leur départ à la retraite. Puisque tout sera numérisé, nous offrirons, grâce à un redéploiement des moyens, à celles et ceux qui n'auraient pas accès à la numérisation – soit parce qu'ils y sont réfractaires, soit parce que la fracture numérique les en empêche – un accompagnement personnalisé qui leur permettra d'accéder aux meilleurs services. En outre, des rendez-vous seront proposés aux cotisants, à 35 ans et 45 ans, pour les informer sur leur future retraite.

Enfin, Charlotte Lecocq, vous avez mis l'accent sur un problème douloureux. La situation des agriculteurs actuellement à la retraite est souvent la conséquence de leurs propres choix. Ainsi, j'ai reçu récemment une agricultrice qui reconnaissait que son mari n'avait pas voulu cotiser. C'est souvent le cas également d'un certain nombre d'artisans et de commerçants, qui estimaient que la cotisation était superflue et réduisait d'autant leurs bénéfices ; ce faisant, ils ont souvent laissé leur veuve dans une situation de grande précarité. Il existe actuellement un dispositif de solidarité, l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), mais les agriculteurs l'utilisent peu. Il faut que nous sachions pourquoi, dès lors que le Gouvernement a exclu du champ de la récupération sur succession l'outil de travail pour ne garder que l'habitation. Néanmoins, très souvent, l'agriculteur ne souhaite pas recourir à cette allocation, pour des raisons d'héritage ou d'histoire familiale. Dans le régime universel que nous créons, si nous réglons le problème du stock grâce à une solidarité nouvelle, il conviendrait de l'étendre aux artisans et aux commerçants. Or c'est budgétairement impossible. C'est pourquoi je vous invite à réfléchir avec les professions agricoles à l'amélioration et à la modernisation de l'ASPA. Le monde agricole, et je m'en réjouis, bénéficie d'une solidarité forte : 85 % des retraites des agriculteurs sont financées par l'impôt – il faut souligner que la solidarité nationale joue lorsqu'interviennent des retournements démographiques. Quoi qu'il en soit, il me paraît important que les agriculteurs puissent bénéficier d'un outil existant, qui peut être étendu aux artisans et commerçants. Cependant – je l'ai dit avec mon langage un peu franc, et je m'en excuse –, si je suis déterminé à faire en sorte que les personnes qui sont dans une situation précaire bénéficient au maximum de la solidarité, il me paraît normal de la refuser à celles qui demandent à en bénéficier au motif qu'elles n'ont pas de retraite mais qui possèdent par ailleurs trois ou quatre appartements. Les choses là-dessus doivent être très claires. Il faut savoir être exigeant.

Vous avez abordé une seconde question, qui a été évoquée par le Président de la République. Les agriculteurs souhaitaient que le minimum contributif passe à 85 % du SMIC. Je salue d'ailleurs le sens des responsabilités des représentants agricoles, notamment ceux de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, avec lesquels nous avons discuté. Nous allons abaisser le minimum de 1 600 heures SMIC à 600 heures, de sorte que, pour beaucoup d'agriculteurs, les cotisations minimales pour garantir le minimum contributif diminueront, et nous allons augmenter celui-ci à la hauteur de leurs exigences, soit 85 %. Il faut qu'avec mes équipes, le ministre de l'agriculture et le Premier ministre, nous travaillions, comme l'a souhaité le Président de la République, à la mise en application la plus rapide possible de cette augmentation du minimum contributif, qui concernerait notamment beaucoup d'artisans, de commerçants et d'agriculteurs.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.