Intervention de Jean-Pierre Door

Séance en hémicycle du mardi 24 octobre 2017 à 15h00
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Door :

Madame la présidente, madame la ministre des solidarités et de la santé, monsieur le ministre de l'action et des comptes publics, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs, chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 est le premier du quinquennat de M. Macron. La loi de financement de la sécurité sociale votée tous les ans par le Parlement a pour objet de fixer les objectifs de dépenses sociales et de santé dans le champ de la sécurité sociale en fonction des prévisions de recettes. Ces objectifs de dépenses traduisent les grandes priorités de votre gouvernement, s'agissant d'un budget supérieur au budget de l'État : 496 milliards d'euros de recettes pour 498 milliards de dépenses prévues pour 2018.

Vous avez l'objectif d'atteindre l'équilibre des comptes en 2020 et de supprimer de nouveaux déséquilibres, ce que l'on ne peut que soutenir ; nous l'avions d'ailleurs proposé pendant la campagne présidentielle. Toutefois, comme le dénonce la Cour des comptes, en l'absence de véritables réformes structurelles, la réduction des déficits se fait de plus en plus par des artifices comptables qui rendent de plus en plus insincère la présentation du budget, et par une augmentation des recettes qui est un véritable matraquage fiscal. Cela, nous l'avions déjà dénoncé fermement l'an passé lors de la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale de Mme Touraine. Celui de cette année ne déroge pas à la règle.

Mme Touraine, ministre de la santé du gouvernement précédent, déclarait le 22 septembre 2016 dans Les Échos : « L'histoire de ce quinquennat, c'est la fin des déficits sociaux, grâce à des réformes de structure pour mieux répondre aux besoins des Français, et ce sont des droits sociaux nouveaux ». « Nous aurons sauvé la Sécu », disait-elle, « En 2017, le "trou de la Sécu" aura disparu ». Comme vous le voyez, on est loin du compte ! Prenez garde, madame la ministre, monsieur le ministre, à vos engagements possiblement optimistes, qui dépendront de nombreux facteurs que vous ne connaissez pas, que nous ne connaissons pas encore.

Le dernier rapport de la commission des comptes de la Sécurité sociale, publié il y a quelques jours, est nettement moins optimiste. La Cour des comptes confirme également que, même si le déficit se réduit – plutôt à hauteur de 4,4 milliards d'euros – , il conserve toujours une importante composante structurelle qui ne pourra être résolue par une politique de coups de rabot, comme celle menée au cours des dernières années. Or, je vous l'ai dit, le PLFSS pour 2018 est en cela très semblable à ceux qui l'ont précédé : il s'apparente même à un « copier-coller ».

Je m'adresserai à vous, madame la ministre. Je ne doute pas de vos compétences mais, si nous partageons certaines de vos décisions, ce n'est pas le cas pour d'autres, qui nous paraissent trop dogmatiques. C'est la raison même de cette motion de rejet préalable que j'ai l'honneur de défendre au nom du groupe Les Républicains.

Depuis 2012, le choix avait été fait de privilégier la hausse des recettes par rapport aux économies, pourtant indispensables, sur les dépenses. L'amélioration des comptes de ces années socialistes a donc été obtenue au prix d'un matraquage fiscal sans précédent, qui avait touché les ménages et les entreprises pour plus de 50 milliards d'euros en impôts, taxes et cotisations diverses. Ce sont les assurés, les allocataires, les retraités, les cotisants et les industries de santé qui ont réalisé la plus grande partie de l'effort de redressement des comptes.

En plus de l'augmentation des recettes par le matraquage fiscal, les socialistes étaient devenus maîtres dans l'art de la prestidigitation, en sortant de leur chapeau des recettes exceptionnelles qui venaient artificiellement boucher les trous. Si la Cour des comptes précise que, contrairement aux années précédentes, « la réduction du déficit [en 2016] a été obtenue sans mesure d'augmentation nette des recettes », elle est intervenue, « comme c'est le cas depuis 2014 », grâce à « des recettes exceptionnelles, non reconductibles, [qui] tiennent une place importante dans la réduction du déficit ».

Pour 2016, par exemple, le déficit avait été minoré par un produit exceptionnel de CSG de 740 millions d'euros, opération dépourvue de base juridique, et qui n'aurait donc pas dû se traduire par une inscription en recettes. Pour 2018, la hausse de la CSG n'est compensée que partiellement, si bien qu'elle fera de nouveaux perdants, en particulier chez les retraités.

Monsieur le ministre de l'action et des comptes publics, c'est là un tour de passe-passe qui vous permettra d'afficher un beau chiffre de déficit, puisque l'augmentation de 1,7 % de la CSG sera affectée à la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS. En effet, elle sera prélevée dès le 1er janvier prochain, alors que la mesure de compensation, qui verra baisser la seconde tranche de cotisation de 0,75 %, n'interviendra qu'à partir du 1er octobre 2018. Ainsi, l'État engrangera a priori, en 2018, un peu plus de 3 milliards d'euros de recettes non affectées, qu'il laissera dans les comptes de la CNAMTS. Vous l'avez compris, cela conduit, in fine, à un déficit optimisé de 0,8 milliard d'euros ! Pendant neuf mois, les salariés vont donc « surpayer » votre réforme.

J'en viens aux dépenses et, en priorité, à la branche maladie, puisque c'est sur elle que se concentrent des déficits. Rappelons d'abord que la dette sociale, tous déficits cumulés au fil des lois de financement de la Sécurité sociale, atteint encore les sommets, pour s'établir à 140 milliards d'euros aux dires mêmes de la CADES, la Caisse d'amortissement de la dette sociale. Le taux d'ONDAM, fixé à 2,1 % en 2017, est annoncé à 2,3 % pour 2018. Pourtant, la Cour des comptes avait appelé le Gouvernement à ne surtout pas relâcher les efforts sur cet objectif.

Certes, en toute logique, 400 millions d'euros sont ciblés au titre des hausses accordées aux médecins, dont le tarif de consultation passe de 23 à 25 euros. Nous approuvons cette mesure dont vous avez hérité, ainsi que les 700 millions d'euros consentis au titre de la revalorisation du point d'indice des fonctionnaires hospitaliers, point qui était gelé depuis 2010. Encore une fois, nous sommes favorables à ces gestes, qui correspondent cependant à un héritage que vous assurez.

En revanche, les économies annoncées nous inquiètent, à commencer par celle de 1,4 milliard d'euros sur l'industrie pharmaceutique, que vous « rongez jusqu'à l'os » : prenez garde de ne pas la faire disparaître de notre territoire ! Autre économie, celle de 1,1 milliard d'euros sur le bon usage des soins, c'est-à-dire sur le corps médical et sur l'hôpital. Oui, nous ne le répéterons jamais assez, le respect de l'ONDAM devient de plus en plus difficile en l'absence de réforme structurelle.

La branche vieillesse a été excédentaire en 2017, M. le président Woerth l'a rappelé tout à l'heure. C'est une bonne nouvelle, qui confirme que les réformes des retraites successives, réalisées au cours de ces dernières années, portent leurs fruits. Je pense en particulier au report de l'âge légal de la retraite à soixante-deux ans : cette réforme a permis de relever la barre, alors que le parti socialiste, à l'époque, l'avait contestée. Ces bons chiffres restent toutefois relatifs, car le FSV reste déficitaire, à hauteur de plus de 3 milliards d'euros en 2017 et de 2,8 milliards d'euros en 2018. Il n'y a donc guère de progrès en la matière.

S'agissant de la branche famille, dont nous reparlerons ultérieurement, elle est annoncée à l'équilibre en 2017. Cet équilibre a été obtenu par des économies importantes faites sur le dos des familles moyennes tout au long des cinq dernières années, à travers différentes coupes d'une ampleur choquante et sans précédent : baisses successives du plafond du quotient familial, de 2 336 euros en 2012 à 1 500 euros en 2014 ; baisse, jusqu'à 50 %, de la prestation d'accueil du jeune enfant ; baisse du complément de libre choix d'activité ; mise sous conditions de ressources, enfin, et modulation des allocations familiales.

Même si l'on doit rester prudent sur les causes du phénomène, le taux de fécondité, rappelons-le, a quand même diminué, madame la ministre, tombant à moins de deux enfants par femme depuis 2014 : c'est là un signe négatif. Les annonces de certains parlementaires du groupe La République en marche, qui souhaitent revenir sur l'universalité des allocations familiales, sont très inquiétantes et irresponsables à cet égard. Éric Woerth l'a rappelé, il ne saurait être question de s'engager dans cette voie : ce serait un coup de poignard dans le pacte social républicain.

Vous l'avez compris, madame la ministre, les finances de notre système de santé ne nous conviennent pas en l'état. Mais, je l'ai aussi précisé en préambule, certaines dispositions vont dans le bon sens. Nous vous suivrons ainsi sur celles qui touchent à la prévention, à l'organisation territoriale de la médecine de ville, au développement de la chirurgie ambulatoire, à l'arrêt des expérimentations en matière de télémédecine pour passer à son plein déploiement – encore faut-il passer des paroles aux actes – , à la lutte contre les déserts médicaux et, bien entendu, à l'extension de la vaccination. Nous vous soutiendrons aussi dans la lutte contre les fraudes et abus de toute sorte, dont vous parliez récemment dans le Journal du dimanche. Je dirai de la fraude qu'elle représente, non 30 %, mais 10 milliards d'euros par an, avec les actes médicaux ou chirurgicaux inutiles et redondants. C'est là une évidence, que rappelait même la Fédération hospitalière de France. Ces chiffres ont été vérifiés, nous les avions déjà évoqués l'an dernier.

Je vous ai aussi entendue répondre favorablement à celles et ceux qui refusent le tiers payant généralisé : c'est là, vous le savez, l'un des combats du groupe Les Républicains. Nous souhaitons rendre la disposition facultative, afin de diminuer les contraintes administratives imposées au corps médical. Votre déclaration nous satisfait donc, pour peu qu'elle se traduise en actes.

J'en viens, madame la ministre, monsieur le ministre, aux points centraux qui justifient la présente motion de rejet préalable, je veux parler des articles 7 et 11 du projet de loi. Nous les considérons comme des coups de force du Gouvernement en matière de protection sociale, contraires à l'esprit et à la lettre de notre Constitution.

L'article 7, d'abord, annonce la suppression des cotisations sociales en contrepartie d'une hausse de la CSG. Cet article est un cavalier social, et ce pour deux raisons essentielles.

En premier lieu, il contrevient à la loi du 31 janvier 2007, dite « loi Larcher », relative à la modernisation du dialogue social, aux termes de laquelle le Gouvernement doit procéder, préalablement à toute réforme législative dans le domaine de l'emploi, à une concertation avec les partenaires sociaux sur la base d'un document d'orientation qui expose le diagnostic, l'objectif et les modalités de la réforme envisagée. Or les dispositions de l'article 7 se veulent le volet financier d'une future réforme de l'assurance chômage pour laquelle le Gouvernement n'a engagé, à ce jour, aucune procédure conforme, de sorte que l'on ne sait encore rien de ses intentions réelles. Même les partenaires sociaux, après avoir rencontré le Président de la République et le Premier ministre, ignorent toujours les tenants et les aboutissants de cette réforme. La loi prévoit une procédure, qui doit être respectée.

En second lieu, le régime de l'assurance chômage n'étant pas un régime de sécurité sociale, il n'entre pas dans le champ de compétence des lois de financement de la sécurité sociale. Aux termes de l'article 1er de la loi organique du 2 août 2005, l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce – UNEDIC – n'est en effet pas incluse dans le périmètre de la Sécurité sociale.

Certes, le Gouvernement a le droit de vouloir réformer l'assurance chômage. Mais qu'il le fasse au moins avec cohérence, en respectant la logique du droit et les compétences de chaque acteur du système. Dois-je vous rappeler que l'assurance chômage est un régime de droit privé, qui fut créé en 1958 ? L'UNEDIC est une association loi de 1901, délégataire, il est vrai, d'une mission de service public. Cela confère pour l'instant aux seuls partenaires sociaux la responsabilité de fixer les règles indemnitaires et les cotisations afférentes au régime, dans le cadre, donc, d'une délégation de service public. L'article L. 5422-20 du code du travail confère cette compétence à l'UNEDIC, et non au Gouvernement. Aux termes de l'article L. 5422-24 du même code du travail, le montant des cotisations est fixé par la convention relative à l'assurance chômage. Au surplus, le Gouvernement agrée, par arrêté, l'accord conventionnel et rend de la sorte obligatoires les règles qu'il contient. Pour preuve, l'accord des partenaires sociaux sur la convention chômage du 14 avril 2017 a été agréé par l'arrêté du 4 mai 2017, pour une application au 1er octobre dernier.

En d'autres termes, le Parlement n'a ni la légitimité, ni l'autorité en droit pour décider, en lieu et place des partenaires sociaux, de l'avenir de l'assurance chômage dans le cadre du présent PLFSS. Peut-être aurons-nous demain, dans une autre configuration du droit, cette responsabilité ; mais aujourd'hui, vous mettez, si je puis dire, la charrue avant les boeufs.

Le Gouvernement procède donc à un coup de force contre la démocratie sociale, élément d'équilibre de notre République. Ne venez pas nous dire, du haut de cette tribune et devant l'opinion, que vous portez un projet clair et cohérent, approuvé par les partenaires sociaux, respectueux des formes de notre démocratie ; car, au fil du temps, personne ne comprend vos intentions.

Le second motif de censure de votre PLFSS, s'agissant encore de l'article 7, tient au constat de rupture d'égalité qu'il induit avec la hausse de la CSG pour tous les revenus. D'abord, le lien de causalité entre la hausse de la CSG et l'équilibre des comptes du régime général de Sécurité sociale, condition sine qua non de tout PLFSS, est par définition inexistant. L'ACOSS devient une banque prêteuse de sommes considérables à un organisme national qui ne relève pas de son champ de compétence !

De plus, la loi organique de 2005 prévoit un droit de contrôle parlementaire sur les régimes qui entrent dans le périmètre de la LFSS, ce qui n'est pas le cas avec l'assurance chômage. Or un PLFSS ordinaire ne saurait instaurer subrepticement ce qu'une loi organique, qui fixe des principes, ne prévoit pas.

Troisième motif de rejet : la CSG, depuis sa création en 1991, a connu des fortunes juridiques diverses entre les instances de contentieux que sont le Conseil d'État, la Cour de justice de l'Union européenne et, bien sûr, le Conseil constitutionnel. Nous ne sommes pas ici pour traiter d'un impôt classique, comme la TVA ou l'impôt sur le revenu. Nous parlons de la CSG, qui, pour être un prélèvement généralisé – régi à ce titre par l'article 34 de notre Constitution – , n'en exige pas moins le respect de principes clairs.

Or la CSG « chômage » de 1,7 %, qui remplace la cotisation salariale d'assurance chômage et la cotisation maladie pour les prestations en espèces, est, d'une part, rattachée à l'actuelle CSG « maladie » et, de l'autre, déductible du revenu imposable, à la différence des autres CSG « famille » et « FSV ». Cette particularité – la déductibilité – doit impérativement ouvrir droit à une contrepartie. Or, qu'il s'agisse des personnes retraitées, des bénéficiaires de pensions d'invalidité – pour ne citer que ces catégories sociales – , votre CSG n'autorise aucune contrepartie, fût-elle indirecte.

Je vous rappelle qu'en droit de la sécurité sociale, il n'existe pas, par définition, de prélèvement obligatoire n'ouvrant pas droit à une prestation en contrepartie. Un retraité pourrait fonder une famille, donc acquitter une part de CSG. Mais là, rien ! On paie en pure perte.

Le principe d'égalité devant la charge publique reconnu en droit européen est bafoué : votre projet de loi crée une confusion sans précédent sur les droits des uns et les avantages des autres. Je qualifierai d'ailleurs votre article détaillant les nouveaux taux de CSG de « salmigondis sociofiscal ».

Ainsi, c'est en pure perte que les bénéficiaires de certains revenus supporteront la hausse de la CSG. Une partie de ceux qui la paieront bénéficieront de compensations plus importantes que les premiers, alors même que leurs revenus sont supérieurs. D'autres encore ne la paieront pas la CSG, bien que percevant des revenus supérieurs à ceux qui la paieront pour rien. Et encore dois-je oublier certaines situations tant tout cela est confus !

Votre réforme crée des inégalités de droits et de situation entre les cotisants, c'est-à-dire entre les Français. C'est injuste, inutile et inégalitaire.

La jurisprudence constante du Conseil constitutionnel est d'accepter une législation susceptible d'induire une différence de traitement entre catégories de citoyens mais à la stricte condition que cette différence soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit. Cette différence doit être légitime, objective, raisonnable, équitable et pertinente.

Où est l'avantage pour ceux qui s'acquitteront en pure perte de la « CSG chômage » ? Vous devez répondre à cette question car vous créez une situation absurde socialement et irrecevable en droit ! La seule utilité de la contribution de ces personnes est d'accroître le pouvoir d'achat des actifs. Cette disposition va donc à rebours de la solidarité sociale.

Pour toutes ces raisons, nous appellerons l'Assemblée à rejeter l'article 7 du PLFSS.

J'en viens maintenant au second point qui motive cette motion de rejet préalable : l'article 11, lequel supprime le régime social des indépendants et modifie les règles d'affiliation à la Caisse nationale de vieillesse des professions libérales.

Mon argumentation est nette : en premier lieu, sur le fond, ce projet de suppression du RSI est illégitime. Ensuite, il s'agit d'un cavalier social dans toute sa splendeur.

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