Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du mercredi 11 septembre 2019 à 21h30
Mobilités — Article 20

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

Je ne vous surprendrai pas, madame la rapporteure, monsieur le secrétaire d'État, en disant que vos arguments ne nous ont pas convaincus. Entre le faible et le puissant, la loi protège ; les chartes, elles, ne donnent que l'illusion de la protection. La charte n'est pas une étape sur la voie d'une meilleure protection ; elle constitue plutôt un sas de pauvreté et de précarité. C'est ce que redoutent les syndicats, comme le Conseil national du numérique, lequel a pris très clairement position contre les chartes – nous n'en avons pas encore parlé – au motif que celles-ci créent des disparités entre les travailleurs, victimes de rapports léonins avec les plateformes qui les embauchent. On se situe là dans une zone de non-droit, confortée par l'illusion qu'entretiennent ces chartes relevant de la soft law alors qu'il faudrait protéger les personnes.

Deux éléments encore.

Premièrement, au cours de la discussion générale, puis à la fin de la dernière séance, nous avons appelé l'attention sur l'origine de l'amendement auquel vous avez fait allusion, madame la rapporteure. Il est désormais de notoriété publique que ce sont des lobbyistes des plateformes numériques qui tenaient la main des rédacteurs du rapport de l'institut Montaigne, lequel a à son tour inspiré directement les dispositions relatives aux chartes. Pouvez-vous nous confirmer cette filiation ? Il est en effet devenu traditionnel, au sein de notre assemblée, de faire preuve de transparence en désignant l'entreprise ou l'organisation à laquelle un amendement doit son origine. En l'occurrence, c'est un magazine qui a révélé celle-ci au terme d'un travail d'investigation. La transparence du débat public et l'honnêteté intellectuelle gagneraient à ce que vous reconnaissiez que ce sont les plateformes qui ont écrit pour le compte de l'institut Montaigne, lui-même inspirateur d'une procédure voulue par le Gouvernement et qui tend à créer une trappe à précarité pour les travailleurs ubérisés.

Deuxièmement, nous sommes ici entièrement à rebours du sens de l'histoire. Vous qui prétendez souvent faire oeuvre de modernité, regardez avec nous vers la Californie, qui n'est pas un modèle en matière de social-démocratie ou d'État-providence, mais qui a été le théâtre de l'un des événements les plus importants pour le monde du travail en Occident : la requalification structurelle par le Sénat de tous les travailleurs ubérisés en salariés. On voit que le sens de l'histoire consiste bien plutôt à abandonner l'illusion du travail libre et, je le répète, à créer un statut de travailleur indépendant – un chantier que vous n'avez pas ouvert – , prévoyant les coopérations et mutualisations qui apporteront aux travailleurs de véritables garanties et associant liberté et sécurité, ou à permettre la requalification en salariat. Mais l'entre-deux de ces chartes qui n'ont de volontaires que le nom est une illusion que nous devons dénoncer quant au fond comme sur la forme.

Nous attendons vos explications.

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