Intervention de Christophe Bouillon

Séance en hémicycle du mercredi 11 septembre 2019 à 21h30
Mobilités — Article 20

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Bouillon :

Quand on a l'habitude des interventions de Dominique Potier, on ne trouve pas qu'elles ne sont pas à la hauteur, madame la rapporteure. Au contraire, notre collègue montre depuis plusieurs années, dans chacun des débats auxquels il prend part, ses capacités de réflexion, d'argumentation et son sens de l'éthique. C'est plutôt ce genre d'accusations entre collègues qui n'est pas à la hauteur de notre discussion ; restons-en donc à l'échange d'arguments, si vous le voulez bien.

Il convient d'ajouter à votre chronologie le fait que la ministre, défendant l'article 20 en première lecture, a fait elle-même référence au rapport de l'institut Montaigne cité par M. Potier.

On peut bien évidemment discuter du sujet en lévitation, mais il y a un principe de réalité à respecter. Ainsi, cet été, les livreurs à vélo de Deliveroo se sont mis en grève parce que, de façon unilatérale, la direction avait décidé de remettre en cause le minimum qu'ils percevaient pour chaque course, soit 4,70 euros, ce qui a entraîné une baisse de leur rémunération. Certains ont même été incités, pour ne pas trop y perdre, à rouler plus vite pour augmenter le nombre de courses, se mettant eux-mêmes parfois en danger. Voilà la réalité !

Or, là où le bât blesse, c'est que la charte prévue par l'article 20 ne prévoit rien sur les rémunérations ni sur la protection sociale. Pardonnez-moi de pointer un tel détail ! Dans ces conditions, les réactions des hommes et des femmes qui travaillent dans ce secteur de l'économie, de ces salariés de fait, sont légitimes.

J'entends ceux qui, se tournant vers les États-Unis, constatent le développement d'une nouvelle forme d'économie, de nature collaborative. Il n'en demeure pas moins que, dans les faits, la plupart des hommes et des femmes qui font ce travail n'ont pas d'autre choix : c'est un moyen pour eux de percevoir un revenu et, souvent, de compléter une autre activité. Le modèle de liberté que vous dessinez n'est donc pas tout à fait conforme à la réalité, laquelle est pour le moins contrastée. C'est du moins ce qui ressort de l'expérience.

En effet, on ne peut prétendre que l'économie collaborative soit complètement nouvelle : le modèle est en place depuis déjà plusieurs années, et on mesure aujourd'hui les dégâts qu'il provoque chez les travailleurs concernés. Or la solution que vous proposez, celle de la charte, n'apporte aucune réponse en ce qui concerne la rémunération et la protection sociale. Pire encore, cette charte n'est même pas obligatoire ! Par conséquent, même si cette disposition avait été applicable dès cet été, elle n'aurait rien changé du tout dans le quotidien des livreurs de Deliveroo, ni n'aurait empêché la décision unilatérale de la direction et la grève qui s'en est suivie. J'ajoute que celle-ci a également été motivée, pour beaucoup de livreurs, par la nécessité de lancer un appel de détresse à la représentation nationale et au Gouvernement, afin qu'on les sorte de cette relation déséquilibrée, qui ne leur laisse d'autre choix que de se soumettre à des décisions aux conséquences dramatiques.

Vous laissez croire qu'avec l'établissement de cette charte, nous allons entrer dans un monde meilleur, que tout va changer, mais je n'y crois pas. Comme Hubert Wulfranc, comme Dominique Potier, comme Joaquim Pueyo, je pense malheureusement qu'elle n'entraînera aucun changement concret. Vous dites que c'est une étape, une première avancée, mais ce n'est pas un hasard si ce dispositif a été inspiré par l'institut Montaigne ; une telle étape ne peut satisfaire que les dirigeants des plateformes, parce qu'ils y trouveront prétexte à dire : « On en a fait suffisamment, ne nous entraînez pas dans des relations de nature différente qui nous amènerait à devoir négocier sur la rémunération ou sur la protection sociale. » La vraie question, et Dominique Potier en a fait la brillante démonstration, c'est de savoir si, en tant que législateurs, nous sommes capables, oui ou non, de forger des protections suffisantes pour les travailleurs de cette nouvelle économie. Nous sommes tout de même là pour légiférer, on ne peut pas dire que c'est aux autres de le faire !

Le groupe Socialistes et apparentés n'est d'ailleurs pas opposé par principe à cette nouvelle économie : nous disons simplement que son développement appelle la définition de règles, de modes de régulation susceptibles de protéger ceux qui en font partie, à commencer par les salariés. Nous ne disons rien d'autre ! Il ne s'agit pas d'opposer d'un côté ceux qui seraient contre l'économie collaborative, et, de l'autre, ceux qui seraient pour – je sais d'ailleurs que ce n'était pas votre propos. Mais il faut que ce type de services puisse être proposé à la population sans que ne trinquent ceux qui effectuent la prestation. Or l'actualité offre de nombreux exemples montrant que nous en sommes loin. Et je ne pense pas qu'une charte soit une réponse adéquate compte tenu de la nature des conflits en cours.

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