Intervention de Laurent Saint-Martin

Réunion du mercredi 11 septembre 2019 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Saint-Martin, rapporteur :

Je vous remercie pour votre intérêt et pour ces questions. Émilie Cariou a posé la question des suites à donner au printemps de l'évaluation. Il faut tout d'abord se féliciter de ce travail qui n'a que deux ans et qui a déjà un écho non négligeable, rendant presque usuel le fait que des ministres viennent rendre compte non seulement de ce qu'ils vont dépenser mais également de l'utilisation des crédits de l'année passée. Cet exercice pourrait être mené de façon plus normative et approfondie : au Royaume-Uni, l'exercice de revue des dépenses fonctionne très bien. On pourrait s'en inspirer. Aux Pays-Bas, tous les troisièmes mardis de mai se tient l'accountability day, au cours duquel le Gouvernement vient présenter une revue de dépense. En France, il manque peut-être un exercice plus formel de revue des dépenses. Il faut approfondir notre démarche tout en conserver la logique initiale qui est de tracer un chemin vers la loi de règlement. Cette dernière prend maintenant tout son sens : elle est toujours discutée rapidement avec peu d'amendements, ce qui est normal car il s'agit d'une loi d'approbation des comptes. Mais tout le débat qui a lieu durant les deux semaines préalables permet de voter la loi de règlement en connaissance de cause. Il faut poursuivre ce chemin. Nous nous sommes donné le moyen d'être plus exigeants avec le Gouvernement dans l'exécution de comptes. Le printemps de l'évaluation doit permettre de voter les autorisations en meilleure connaissance de cause. Bien faire notre travail devrait également consister à ne pas voter des crédits si leur exécution pour l'année précédente n'est pas satisfaisante à nos yeux.

Émilie Cariou et Jean-Paul Mattéi ont parlé des taxes affectées. De façon quelque peu provocatrice, j'avais écrit, dans un article, qu'elles étaient pour moi la paresse budgétaire et intellectuelle mêmes, quoiqu'elles présentent un certain nombre d'avantages politiques. Elles sont faciles à mettre en place et, ensuite, il est facile d'expliquer qui elles financent. Malheureusement, elles sont devenues un véritable maquis dont on ne sait enrayer l'expansion et elles rendent impossible – Émilie Cariou l'a très bien dit – l'évaluation de politiques publiques dans leur globalité puisque une partie d'une politique publique peut être financée par une taxe affectée et l'autre par des crédits budgétaires. À moins de disposer d'un jaune budgétaire, il est maintenant presque impossible d'avoir une vision exhaustive d'une politique publique. Dès lors, comment l'évaluer correctement, en se fondant sur des informations complètes ?

Nous proposons une sorte de programmation pluriannuelle de la révision de chacune des taxes affectées, selon une méthode comparable à celle que nous avions adoptée l'an dernier à propos des taxes à faible rendement. En outre, pour enrayer la prolifération des taxes affectées, il faut rendre beaucoup plus difficile la création de telles taxes. Il faudrait aussi prévoir une budgétisation à effet différé de chacune des taxes affectées. Il ne s'agit pas de mettre un terme, du jour au lendemain, aux taxes affectées ; nous sommes bien conscients du fait qu'elles sont utiles. Simplement, toute addiction mérite cure de désintoxication. Cela requiert du temps et de la méthode. Il faut prendre le temps nécessaire pour déterminer comment budgétiser, s'assurer que le dispositif conserve la même efficacité tout en étant plus facile à piloter et à contrôler.

La question des évaluations préalables, dont nous parlons depuis deux ans, est extrêmement importante. Il faut en renforcer la qualité. De ce point de vue, tout ce que nous avons dit sur le contrôle ex post et la nécessité de relations plus fluides et plus vivantes entre les administrations, le Parlement et le Gouvernement vaut aussi ex ante. C'est cela qui fait défaut. Les études d'impact ne font jamais l'objet d'aucun examen contradictoire, d'aucun échange critique – Christine Pires Beaune évoquait par exemple le cas de la taxe carbone. Il faudrait pouvoir exercer une sorte de droit de réponse aux études d'impact avant l'examen d'un texte : interroger ceux qui les ont réalisées, s'assurer qu'ils ont pris en compte tous les paramètres. Pour l'heure, nous le savons, les études d'impact sont de qualité très inégale. Le parlementaire a vocation à davantage prendre la main ex ante.

Madame Louwagie, les délais de réponse aux questionnaires budgétaires sont trop longs, vous avez raison, mais je propose un nouveau contrat de confiance entre l'exécutif et le Parlement. Il faut proposer à l'exécutif et, surtout, aux administrations un nouveau mode fonctionnement, moins lourd, notamment durant l'été, pour qu'un lien de confiance s'instaure entre directeurs d'administrations centrales et rapporteurs spéciaux – même si cela se passe parfois déjà très bien. Voyez les questionnaires actuels : d'une année à l'autre, les questions se ressemblent et il faut beaucoup de temps à l'administration pour y répondre. On pourrait souvent demander une simple actualisation et aborder tout de suite les sujets qui seront traités par les rapports spéciaux.

Vous avez été nombreux à évoquer la convergence entre le débat fiscal et les questions de financement de la sécurité sociale. Nous en avons déjà débattu à l'été 2018, lorsque notre commission a été saisie pour avis des articles 6 et 7 du projet de loi constitutionnelle. Selon moi, la question d'un débat commun est importante ; le rapprochement des deux textes en sera la conséquence. Si la révision constitutionnelle était allée à son terme, nous aurions pu revoir ce calendrier aberrant car caractérisé par la concomitance de l'examen de ces deux textes financiers et le fait que ces textes empiètent l'un sur l'autre. La transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi en allègement de charges en a été la meilleure illustration. Si nous ne parvenons pas à un examen conjoint de sujets imbriqués, la qualité des débats, du contrôle et de l'évaluation s'en ressent.

Concernant les collectivités locales, je suis tout à fait d'accord avec la proposition du président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Jean-René Cazeneuve : il faut consacrer un moment spécifique à l'examen de leurs recettes et de leurs dépenses. Nous en débattons aujourd'hui lors de l'examen des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales et des crédits de la mission Relations avec les collectivités territoriales. Un temps spécifique consacré aux finances locales est nécessaire mais je ne suis pas favorable à la création d'un projet de loi de financement des collectivités territoriales.

Si je pense que les recommandations de la Cour des comptes ne doivent pas revêtir de caractère contraignant puisque les juges ne doivent pas gouverner, nous devrions, en revanche, mieux tenir compte de ses travaux et l'idée de convier un magistrat à certains de nos débats pendant le PLF me paraît bonne. Je m'exprime ici à titre personnel et il est probable que ce rapprochement puisse poser des problèmes techniques, la Cour étant une juridiction.

Concernant les évaluations préalables et l'article du projet de loi de finances pour 2018 relatif à la taxe carbone évoqué par Madame Pires Beaune, je pense que ces évaluations ne doivent pas être remises en cause pour des raisons politiques. Leur but est de donner des chiffres ; le Parlement et l'exécutif assument ensuite des choix politiques.

Madame Dalloz, je ne remettrai pas en question la gouvernance du PIA par le secrétariat général pour l'investissement (SGPI) et un comité de surveillance au sein duquel je siège avec Olivia Grégoire. Ce mode de fonctionnement offre une certaine agilité et une liberté d'action aux opérateurs. Le contrôle peut cependant en être amélioré et la suppression de la mission Investissements d'avenir peut y contribuer. Les crédits alloués à une politique publique doivent être regroupés. Par exemple, l'essentiel des crédits alloués à la recherche relève du PIA : il n'est donc pas possible de débattre de la politique publique menée dans le domaine de la recherche uniquement en s'intéressant aux crédits de la mission Recherche et enseignement supérieur.

Nous devrions effectivement dresser un inventaire des rapports devant être remis par le Gouvernement au Parlement mais nous devons aussi réfléchir à la quantité de rapports que nous demandons et qui représentent un travail important pour l'administration.

Concernant la loi de règlement, nous proposons une évolution sémantique en l'intitulant loi de résultats et d'approbation des comptes, afin de mieux rendre compte de ce qu'elle représente.

Monsieur Labaronne, je suis d'accord avec vous, le Parlement doit être associé aux conférences de performance, au travail du Gouvernement et des administrations et le rapporteur spécial doit participer à l'élaboration de la stratégie de performance, à condition que cette participation se fasse dans un esprit d'intérêt général et non partisan. La démarche de performance doit être une démarche transpartisane de recherche de l'efficacité de la dépense publique et, en tant que rapporteur spécial, un parlementaire peut y avoir toute sa place, quelle que soit sa sensibilité politique.

Monsieur Le Vigoureux, la LOLF reste très spécifique à la France : elle ne traite que du budget de l'État et donc seulement d'un tiers de nos finances publiques, ce qui nous conduit à avoir une vision très parcellaire. Notre objectif final est de réussir à obtenir une consolidation toutes administrations publiques de nos finances. Nos finances se caractérisent par une forte fragmentation et une certaine illisibilité ; notre rapport vise à les rendre plus cohérentes. Si le PIA 3 est un exemple parmi d'autres de la complexité de nos finances publiques, il faut aussi souligner nos forces, telles que la richesse et la qualité de notre documentation budgétaire. Nous devons aussi nous interroger sur la question de la pluriannualité qui est étroitement liée à celle de notre lien avec l'Europe. Deux alternatives s'offrent à nous : conserver la loi de programmation des finances publiques qui devient rapidement obsolète ou introduire de la pluriannualité en loi de finances, avec un projet de loi de finances qui resterait annuel mais qui contiendrait une information pluriannuelle, sur une période de deux ans, sur la trajectoire des crédits. Cette deuxième option, si elle était retenue, nous rapprocherait de la pratique d'autres pays.

Monsieur Jean-René Cazeneuve, vous avez bien compris qu'en matière de prélèvements sur recettes, l'enjeu consiste à fournir une meilleure information, qui soit davantage lisible et méthodique. Nous ne préconisons pas la suppression des PSR mais nous demandons qu'une réflexion soit menée sur ce sujet et elle devra être prise en compte dans les prochains rapports produits par la MILOLF. Les prélèvements sur recettes sont, comme vous l'avez fait remarquer, un détournement de l'article 40 de la Constitution. Nous pouvons nous en féliciter en tant que parlementaires, mais nous pouvons également considérer de manière objective que cela soulève un problème. Si l'article 40 existe, ce n'est probablement pas en vue d'ouvrir, par le biais des prélèvements sur recettes, une possibilité d'augmenter des dépenses par amendement. Ce débat devra donc avoir lieu mais il n'est pas suffisamment avancé aujourd'hui, d'autant que nous souhaitons d'abord réformer la fiscalité locale.

La question de Monsieur François Jolivet relève de la comptabilité, un sujet dont nous n'avons pas traité dans ce rapport. La consolidation toutes administrations publiques est un problème qui se pose depuis longtemps, car la fragmentation budgétaire et comptable est aussi une des causes de l'illisibilité. Nous avons tenté de proposer des solutions face au morcellement qui existe au sein du budget de l'État, mais il ne faut pas oublier que la fragmentation concerne toutes les administrations publiques.

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