Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du jeudi 12 septembre 2019 à 15h00
Mobilités — Article 36

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Ce n'est pas la peine de nous dire que nous sommes soit des ignorants, soit des provocateurs sous prétexte que nous n'avons pas le même avis que vous. Nous n'avons pas le même avis, point, ça suffit – c'est d'ailleurs pour cela qu'on a organisé un vote. Si chaque fois que quelqu'un a une idée contradictoire, c'est par provocation ou ignorance, on n'est pas sorti de l'auberge ! Il faut que ça file plus doux, l'argumentation ! C'est une argumentation rationnelle. J'admets qu'on ne soit pas d'accord avec ce que je dis.

Je veux dire à mon collègue Pancher, beaucoup plus respectueux de ses contradicteurs, ainsi qu'à M. Sermier, que c'est une affaire d'intérêt national. J'en profite, puisque je suis dans ce moment de vérité : je ne crois pas que les élus locaux sachent mieux que les élus nationaux ce qui est bon pour le pays. J'ai été un élu local, conseiller général, vice-président de conseil général, maire adjoint d'une très grande ville. Non ! Pas d'histoire ! L'élu local raisonne localement, c'est normal, c'est pour cela qu'il est là, mais nous raisonnons quant à nous du point de vue de l'intérêt national. Or l'intérêt national, ce n'est pas de valoriser Rotterdam ! Je comprends que mes collègues des Hauts-de-France voient les choses différemment, mais si nous raisonnons du point de vue national, nous avons d'abord intérêt à mettre de l'argent dans le réseau de Voies navigables de France, qui est en souffrance aujourd'hui. Il manque un paquet de millions pour mettre tout ça d'équilibre !

Que l'Europe soit prête à payer pour l'équipement de ce canal, je le comprends, parce que leur affaire, c'est Rotterdam ! Je comprends que ce soit l'intérêt des Hollandais, main dans la main avec l'industrie allemande qui s'approvisionne sur tout l'est de l'Europe ; mais ce n'est pas le nôtre et nous avons le devoir de le dire.

Encore une fois, l'intérêt national se superpose à l'intérêt écologique. On me dit qu'on a prévu une compensation : je suis sûr qu'on a prévu de transporter les grenouilles, les oiseaux, les insectes de l'endroit où ils se trouvent à un autre où ils devraient se trouver. Mais honnêtement, je ne pense pas que ce soit un argument. Je le dis dans le même état d'esprit qu'à propos de Notre-Dame-des-Landes. Je n'étais pas d'accord avec l'idée que ce projet fasse l'objet d'un référendum local, parce que je pensais que c'était d'intérêt national, et j'y étais opposé parce que je trouvais l'emplacement absurde pour des raisons nationales, mais je comprends parfaitement que des élus locaux de bonne foi se soient dit que c'était une très bonne idée d'avoir un bel aéroport à cet endroit-là – sauf que du point de vue de l'organisation des transports et de l'intérêt écologique général, c'était une absurdité.

Cette absurdité a trouvé sa réponse : il n'y aura pas d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Nous avons changé d'avis. Là, c'est pareil. M. Sermier m'a dit qu'on n'était pas obligé d'opposer l'un à l'autre. Je l'admets, c'est l'esprit d'arrangement : on peut faire une chose et l'autre en même temps. Mais je suis contre le fait qu'on abreuve Rotterdam, c'est clair ! Ce n'est pas une bonne idée du point de vue de l'équipement général de l'Europe. Dans les territoires, on concentre tous les moyens au bénéfice des métropoles, puis on regroupe les métropoles entre elles, et ensuite, à l'échelle européenne, on met en place le même mécanisme de concentration de tous les moyens aux mêmes endroits. Il est temps d'exprimer un désaccord absolu avec cette façon de concevoir les choses !

Il faut étaler les infrastructures, il faut relocaliser, les remettre à portée autant qu'on peut, que ce soit pour les transports ou pour la production, qu'il s'agisse d'agriculture ou d'industrie. Vous avez eu raison de rappeler que l'argument no 1 en faveur du Lyon-Turin était l'industrie automobile ; ce n'était certainement pas la qualité de l'air. Vous vous préoccupez de la qualité de l'air, chers collègues, mais je vous jure que ce n'était pas du tout le sujet pour ceux qui ont projeté cette liaison ! Leur sujet, c'était de transporter les voitures et les pièces détachées aussi vite que possible, et c'est vrai que du point de vue de la compétition européenne, il y avait intérêt à le faire. L'industrie allemande accumule tous les avantages en bénéficiant de moyens de transport que les Allemands ne paient pas, eux qui, couchés sur leur trésor, ne veulent pas lâcher un euro d'investissement public, d'où l'état des routes, des ports et des écluses en Allemagne !

Vous soupirez, collègues, mais ce sont des faits. La vie politique est faite de ça. Nous sommes des Français, membres de l'Union européenne, mais nous nous intéressons à ce qui se passe ailleurs. Les équipements de la République fédérale allemande sont extrêmement mal entretenus, donc ils s'en font payer par l'Europe – voilà la vérité – pour que tout cela transite plus vite.

Or aujourd'hui, l'industrie automobile italienne, comme l'industrie automobile française, est frappée de plein fouet par les délocalisations. C'est la raison pour laquelle un certain nombre de gens sont moins ardents aujourd'hui à défendre la liaison Lyon-Turin qu'ils ne l'étaient dans le passé. Mais nous sommes en 2019, nous vivons au XXIe siècle. Continuer à penser dans les termes du XXe siècle, quand les industries étaient réparties autrement, quand les modes de transport maritime étaient différents, quand les voies et les routes maritimes étaient différentes, c'est une aberration !

Et nous autres, nous ferions bien de nous défendre de temps à autre et de commencer par nous soucier de ce qui est prioritaire pour nous. L'Europe veut payer ? Eh bien, qu'elle paye la mise aux normes de l'écluse entre Le Havre et la Seine, parce que ça, ça servirait une bonne fois et ça permettrait de déverser toutes les marchandises qui remontent jusqu'à Rotterdam inutilement directement en France, en Italie et en Espagne.

Encore une fois, c'est une idée qui peut être discutée, mais qui a au moins le mérite d'exister. Alors de grâce, entendez la !

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