Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du lundi 9 septembre 2019 à 20h40
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

La deuxième question de M. Jean-Louis Touraine concernait l'ouverture de l'AMP, notamment de la conservation des gamètes, aux centres privés.

Aujourd'hui, le modèle français réserve aux établissements publics de santé et aux organismes à but non lucratif le monopole de la collecte, de la conservation et de l'attribution des gamètes destinés aux dons. L'inspection générale des affaires sociales (IGAS) a mené une mission sur ce sujet en 2011. Elle concluait qu'il faut une séparation claire entre la collecte, qui pourrait reposer sur des centres privés, la qualification de la conservation et surtout l'appariement et la distribution, qui doivent rester sous la responsabilité d'un organisme sans lien financier avec le couple de receveurs.

Le monopole qui réserve le don aux établissements publics de santé et aux organismes à but non lucratif découle des débats de la première loi de bioéthique de 1994. Il est la traduction concrète, opérationnelle, du principe de non-patrimonialité du corps humain, de ses éléments et de ses produits. Ainsi, l'exclusion du secteur privé à but lucratif ne concerne pas uniquement le don de gamètes mais également toutes les autres cellules, les tissus et les organes du corps humain. Une brèche qui serait ouverte pour les gamètes risquerait de s'étendre aux autres éléments et produits du corps humain et, par un effet domino, de déstabiliser tout le cadre du don. C'est pourquoi nous ne souhaitons pas une telle extension aujourd'hui.

Concernant la ROPA c'est-à-dire, dans un couple de femmes homosexuelles, la réception d'ovocytes congelés d'une femme par sa partenaire, qui porterait le bébé, il s'agit clairement, pour le Gouvernement, d'un don dirigé de gamètes. En tant que la ROPA contrevient à la loi qui nécessite le strict anonymat entre donneur et receveur, elle relève forcément d'une dérogation. La situation est évidemment différente de celle d'un couple hétérosexuel. Dans le projet de loi, nous consacrons la mère sociale d'intention par le biais de la filiation sécurisée. La ROPA représenterait une forme de retour en arrière, avec une mère qui accueillerait les ovocytes et serait porteuse. Nous n'y sommes pas favorables.

Pour répondre à Mme Coralie Dubost, nous avons évidemment réfléchi à l'accès aux origines et à la difficulté, voire la frustration, des enfants nés aujourd'hui par PMA de ne pas avoir le moyen de retrouver leurs donneurs de gamètes et de ne pas être consacrés dans cette loi. La loi, vous le savez, n'est jamais rétroactive. Nous avons étudié si les CECOS pourraient recontacter les donneurs de gamètes d'il y a vingt ans en leur demandant l'autorisation de divulguer des données non identifiantes ou identifiantes, pour entrer dans le cadre de la loi. Il est cependant apparu que le contrat social passé avec ces donneurs au moment de leur don reposait sur l'anonymat. L'effraction que représenterait un coup de téléphone d'un CECOS, vingt ans après, dans la vie de donneurs qui ne s'attendaient en aucun cas à être recontactés pose problème. Du reste, les CECOS ne se sentaient pas autorisés à une telle effraction.

Nous avons donc proposé que des campagnes d'information généralistes suggèrent à ces donneurs de se faire connaître auprès de la future commission, de façon à faire savoir s'ils acceptent d'entrer dans le nouveau cadre et de donner accès à leurs origines aux enfants nés avant cette loi. C'est la seule solution que nous avons trouvée à ce jour.

La clause de révision spécifique à cinq ans demandée par Mme Laetitia Romeiro Dias a, elle aussi, fait l'objet d'un long débat. Dans les lois initiales de bioéthique, une clause de révision à cinq ans était prévue, que nous n'avons jamais réussi à mettre en oeuvre. La présente loi avait une clause de révision à sept ans, mais nous serons en retard de deux ans. Nous voyons bien la difficulté de mettre en oeuvre une loi de bioéthique à la française, qui implique un grand débat sociétal ainsi qu'une évaluation de la loi antérieure, dont la propre mise en oeuvre, nécessitant des décrets, est parfois différée par rapport à sa promulgation. Tout cela nous fait craindre qu'un délai de cinq ans ne soit difficile à respecter quand bien même il serait opportun au regard du progrès médical, notamment pour certaines techniques.

Le travail fourni par les états généraux de la bioéthique et toutes les commissions, notamment cette commission spéciale, la lourdeur du processus d'un projet de loi à la française, qui se veut exhaustif, méritent que l'on prenne le temps d'appliquer la loi précédente, de l'évaluer et de mener un débat sociétal. Certes, d'autres pays révisent plus souvent leurs lois, mais celles-ci englobent rarement la totalité du champ de la bioéthique et ne visent que des points ponctuels. La spécificité française doit être préservée, car elle permet une forme de cohérence d'ensemble et une réflexion globale sur la société que nous voulons ainsi qu'une vision très transversale. Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) avait préconisé un délai de cinq ans. Le Gouvernement a fait le choix de fixer le délai à sept ans, de façon à se donner la possibilité d'évaluer la loi antérieure. C'est, pour nous, un délai de réalisme.

S'agissant de l'Agence de la biomédecine, nous en verrons les missions dans le détail. Il s'agit d'une agence d'expertise qui s'adresse aux professionnels et qui a un rôle, en matière de santé publique, d'évaluation des pratiques mais jamais sur les individus concernés. Elle n'a aucun contact direct avec les donneurs ou les receveurs d'organes ou de cellules. Nous estimons qu'elle doit être maintenue à ce niveau d'expertise.

Le projet de loi lui donne pour mission supplémentaire d'organiser un registre qui permettra ultérieurement l'accès aux origines des enfants, donc d'apparier, par une commission qui lui sera extérieure. Nous avons fait ce choix, car nous pensons que l'Agence de la biomédecine n'a pas vocation à recevoir des appels de patients ; cela n'a jamais été sa mission. Ce sera la mission particulière de la future commission que de s'assurer de la légalité de la demande. Essentiellement juridique, elle comprendra des magistrats qui vérifieront l'état civil des demandeurs et le bien-fondé de leur demande, examinant notamment si le demandeur n'est pas un parent ou un employeur.

L'Agence de la biomédecine, avec son expertise médicale et scientifique, n'a pas vocation à instruire les demandes individuelles sur le plan juridique. D'où l'idée d'une commission similaire au CNAOP pour les enfants nés sous X, qui sera placée sous l'égide du ministère des solidarités et de la santé et dotée d'une vraie fonction régalienne d'instruction juridique. L'Agence de la biomédecine, elle, tiendra un registre que pourra interroger la commission. Nous voulons donc vraiment séparer les deux instances, pour ne pas mettre l'Agence de la biomédecine dans une position qui n'a jamais été la sienne et pour laquelle elle n'est pas armée. Nous aurons l'occasion de définir son rôle de manière plus détaillée.

Une autre question portait sur le rôle du CCNE et la possibilité qu'il s'appuie sur la Commission nationale du débat public. À ma connaissance, celle-ci joue un rôle essentiellement en matière environnementale, par exemple lorsqu'il est question de construire une nouvelle autoroute. J'ignore si son rôle est amené à évoluer, mais je le trouve sans lien avec le CCNE.

Il peut, en revanche, être intéressant que le CCNE s'adosse aux outils mis en place par la Commission nationale du débat public en termes d'animation du débat citoyen, mais ce ne serait là qu'une question de méthode. Voudrait-on élargir le rôle du CCNE à un débat citoyen permanent ? Je ne suis pas certaine qu'il entre dans l'objet de ce projet de loi d'en modifier les missions. Nous aurons toutefois l'occasion d'en reparler. Aujourd'hui, ce comité est composé de personnalités qualifiées ; quel serait le poids d'un avis des citoyens face à ses avis ? Le CCNE a fait l'objet d'une saisine pour animer ce débat citoyen. Il est intéressant de mobiliser ses membres au coup par coup, sur des questions spécifiques. Naturellement, nous voulons bien en débattre.

Monsieur Saulignac, s'agissant du don de cellules souches hématopoïétiques par les majeurs protégés, aujourd'hui, le prélèvement de ces cellules est réservé aux dons intrafamiliaux – par exemple, lorsqu'une compatibilité avec un patient atteint de leucémie, qui est essentielle pour de telles greffes, n'est retrouvée que chez ce majeur protégé et pas dans un registre international ni chez les autres membres de la fratrie. J'ai eu à vivre cette situation très particulière dans ma vie professionnelle, en 1993 : il m'a fallu demander à un juge de lever une curatelle pour une durée de vingt-quatre heures, de façon à prélever un donneur protégé pour sauver la vie d'un patient. De nombreux donneurs protégés comprennent l'acte qu'on leur propose ainsi que les risques induits, et sont prêts à s'engager dans ce don lorsqu'ils savent que la vie d'un parent proche est en jeu. Il est évidemment hors de question d'étendre ces possibilités aux dons non familiaux.

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