Intervention de Annie Chapelier

Séance en hémicycle du mercredi 18 septembre 2019 à 15h00
Compétence judiciaire et exécution des décisions dans les communautés d'outre-mer — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnie Chapelier, rapporteure de la commission des affaires étrangères :

L'Assemblée nationale est saisie du projet de loi autorisant l'adhésion de la France à la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions de justice en matière civile et commerciale pour son application à Saint-Barthélemy, à Saint-Pierre-et-Miquelon, dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises – en bref, dans les communautés d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution et les collectivités à statut particulier.

Ces collectivités d'outre-mer ne font pas formellement partie du territoire de l'Union européenne, contrairement aux départements d'outre-mer qui y ont le statut de régions ultrapériphériques. Elles sont seulement associées à l'Union européenne en tant que pays et territoires d'outre-mer au nom des relations particulières qu'elles entretiennent avec un État membre. À cet égard, elles ne sont pas soumises au droit européen et sont donc exclues du règlement CE no 442001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit règlement Bruxelles I. Ces règles de coopération judiciaire, fondées sur le principe de l'égalité de valeur, de compétence et de niveau des systèmes juridiques des États membre, qui permettent la reconnaissance et l'exécution d'une décision de justice quel que soit le lieu où elle est rendue, s'arrêtent par conséquent aux frontières de la France métropolitaine et des départements d'Outre-mer. C'est cette anomalie que le présent projet de loi, certes particulièrement aride, vient corriger.

La France procédera donc à une adhésion formelle à la convention de Lugano II au nom de ses pays et territoires d'outre-mer. Cette convention, signée le 30 octobre 2007 par l'Union européenne d'une part et l'Islande, la Norvège et la Suisse d'autre part, et est entrée en vigueur le 1er janvier 2010, remplace la convention de Lugano I du 16 septembre 1988 et vise à faire entrer ces trois derniers pays dans l'espace judiciaire européen.

Ce sont ces trois pays que rejoindront formellement les PTOM après l'adoption du présent projet de loi. Il s'agit principalement d'assurer à ces pays et territoires d'outre-mer une sécurité et une prévisibilité juridiques plus importantes en cas de litiges civils et commerciaux transfrontaliers impliquant un ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, l'Islande, la Norvège ou la Suisse.

Ces litiges sont devenus en effet plus fréquents, alors que s'appliquent les principes de libre circulation des biens, des services, des capitaux et surtout des personnes. Les menus ajustements législatifs nécessaires en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie ne font pas obstacle à l'adhésion de la France à la convention de Lugano II. La sécurité et la prévisibilité judiciaires en découlant constitueront un atout pour l'ensemble des pays et territoires d'outre-mer, levant une barrière juridique au développement de leurs relations commerciales.

Je citerai un exemple qui figure dans le rapport : un juge polynésien a prononcé un divorce entre un ressortissant hongrois et une Française polynésienne. Or, après avoir quitté l'archipel, le mari a cessé de payer la pension alimentaire due, sans que l'épouse ne puisse légalement l'y contraindre. Le dispositif d'exequatur simplifié prévu à l'article 38 de la convention de Lugano II permettra de rendre exécutoire dans tous pays de l'Union européenne, y compris donc la Hongrie, le jugement du tribunal de Papeete. Voilà pour le volet civil.

Le volet commercial de la convention est bien évidemment tout aussi important. En effet, sans sécurité et prévisibilité juridiques, les entreprises hésitent à investir dans ces territoires, alors que la coopération avec l'Union européenne permet aux pays et territoires d'outre-mer d'appuyer leurs efforts dans des secteurs clés pour leur développement. Le texte est par conséquent essentiel pour permettre aux collectivités d'outre-mer de déployer tout leur potentiel économique en renforçant encore les échanges et les investissements avec les pays de l'Union européenne mais également avec leur environnement international immédiat dès lors qu'ils pourront constituer pour les entreprises de pays tiers une porte d'entrée intéressante dans le marché européen.

Je ne pourrais terminer ce propos sans rappeler ce que les pays et territoires d'outre-mer apportent à la France et à l'Union européenne. Ils contribuent à leur rayonnement dans le monde, grâce à leur surface maritime exceptionnelle – environ 9,17 millions de kilomètres carrés. Ces pays et territoires d'outre-mer sont la source d'une expertise dans la gestion des risques, la santé, la télémédecine. Ils facilitent la coopération avec leurs pays voisins, et donnent à la France un environnement international unique, multicontinental. Cette coopération permet de faire face aux défis communs et passe par la participation à tout un ensemble d'organisations régionales.

Je ne citerai que quelques axes de coopération qui me semblent mériter une attention particulière. Le premier m'est particulièrement cher : la défense de la biodiversité et des ressources naturelles exceptionnelles. Les pays et territoires d'outre-mer français regroupent 80 % de la biodiversité française et 10 % des récifs coralliens mondiaux, la majorité se trouvant dans la zone Pacifique, en Polynésie française. Ils ont fait de la conservation de la biodiversité une priorité. Il y a là un axe de coopération essentiel.

Il faut mentionner en outre l'énergie : les pays et territoires d'outre-mer sont des laboratoires d'initiatives à forte valeur ajoutée pour l'Union européenne et ont un très fort potentiel en matière d'économie vert, d'économie bleue, d'économie circulaire, d'énergie renouvelable, de lutte contre le changement climatique et d'adaptation à celui-ci. Ils sont toujours en première ligne dans ces domaines.

Je citerai, troisièmement, la coopération universitaire : il existe des universités de pointe en outre-mer, comme l'université de Nouvelle-Calédonie, qui compte près de 2 800 étudiants et l'université de Polynésie française – près de 3 400 étudiants – , ainsi qu'un réseau bien implanté de centres de recherche nationaux et locaux.

Il me faut mentionner la santé, enfin. Les pays et région d'outre-mer ont des services médicaux performants, les infrastructures ont fait l'objet d'une modernisation très récente, la télémédecine se développe, comme la coopération sanitaire avec les pays de leurs bassins géographiques respectifs.

Je vous invite, à la suite de la commission des affaires étrangères, à adopter ce projet de loi, qui est essentiel pour les outre-mer.

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