Intervention de Moetai Brotherson

Séance en hémicycle du mercredi 18 septembre 2019 à 15h00
Compétence judiciaire et exécution des décisions dans les communautés d'outre-mer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMoetai Brotherson :

Il nous est proposé d'actualiser les conventions applicables dans les pays et territoires d'outre-mer pour ce qui concerne la répartition des compétences juridictionnelles, judiciaires et législatives entre les pays de l'Union européenne ou de l'Association européenne de libre-échange.

La convention dite de Lugano II, signée en 2007, vise à éliminer un maximum de conflits négatifs et positifs et à harmoniser les conditions d'exécution et de reconnaissance des décisions rendues à l'étranger. Mais à l'origine, elle ne concernait pas les PTOM que sont la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, Saint-Barthélemy et les Terres australes et antarctiques françaises. L'adhésion de la France pour une application de la convention dans ces territoires est donc pertinente dans un objectif de sécurisation juridique transnationale.

L'internationalisation des rapports rend les échanges humains et commerciaux complexes. À cet égard, les PTOM ont tout intérêt à être inclus dans un traité qui vise à organiser les compétences entre les juridictions et les lois de chaque État d'Europe lors d'un litige intéressant plusieurs pays signataires et à veiller à la bonne application des décisions judiciaires par ces mêmes États.

Le rapport est très intéressant et évoque avec justesse les modifications que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont dû apporter à leur code de procédure civile pour que la convention ait un effet complet. Mais il convient d'appeler l'attention sur le fait qu'une telle pratique ne doit pas devenir pour l'État un moyen supplémentaire d'imposer ses normes sans que des aménagements soient prévus pour les adapter au contexte local.

Si de bons exemples sont donnés dans le rapport de la commission pour plébisciter cette convention auprès des outre-mer, il omet un volet important s'agissant d'une convention internationale, celui de la réciprocité. Le Polynésien, artisan par exemple, attrait devant une juridiction d'un autre pays d'Europe par un consommateur de ces pays, et non par un distributeur, ne peut pas faire valoir ses droits comme le ferait un Européen continental. À cause de la distance et des frais induits tout d'abord, mais aussi de la barrière de la langue dans un pays non francophone. Imaginez l'angoisse du petit artisan de chez nous qui cherche à exporter directement sur le continent via son site internet et qui doit faire face à des coûts plus importants qu'une entreprise résidente en Europe. Le dispositif devrait garantir l'accès à la justice de la même manière. À défaut, on handicape potentiellement les petites entreprises polynésiennes et calédoniennes.

Ce texte n'appelle pas de remarques supplémentaires, ni dans sa forme ni sur son utilité technique. Les situations de litispendance ou de connexité sont sans doute aussi désagréables que la tentative de faire comprendre le sens de ces mots au citoyen lambda.

Mais, de mon point de vue, ce texte n'aborde pas la réalité du Pacifique. À l'heure où les peuples appellent au respect de leur histoire, où nouer des liens avec ceux qui partagent notre bassin d'origine est essentiel, en quoi ce texte répond-il aux besoins primordiaux des Polynésiens ou des Calédoniens ? Pour qui est faite cette convention ? Qui se dit à sa lecture qu'elle rapproche les habitants de Reao, Mangareva, Koné ou Poindimié de leur famille de Nouvelle-Zélande, du Vanuatu, des Philippines, de Tonga ou d'Australie ?

C'est l'État français, en la personne du Président de la République, qui décide des relations internationales entre les populations de la Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie et celles des autres États. Il a d'ailleurs affirmé et réaffirmé son intention d'utiliser ces territoires dans sa stratégie Indo-Pacifique.

Cela étant, nous voterons pour ce texte, puisque, en réalité, nous sommes ici à 18 000 kilomètres des véritables enjeux de nos territoires. Mauruuru e te aroha ia rahi.

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