Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du mercredi 18 septembre 2019 à 15h00
Accord de coopération entre l'union européenne et l'afghanistan — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Le sujet nous fait devoir d'une sincérité particulière. L'engagement français en Afghanistan commande que l'on dise ce que l'on pense, par respect pour ceux qui, ayant obéi, y sont morts – nous avons perdu quatre-vingt-neuf soldats sur place – ; il en est encore qui souffrent, parce qu'ils sont vivants, mais blessés – on peut en rencontrer à l'Hôtel national des Invalides. Par conséquent, tout ce que j'ai à dire, je le dis en commençant par saluer les familles des morts, ainsi que ceux qui ont souffert, et par leur exprimer mon respect.

Cela étant, depuis le premier jour, j'ai affirmé mon opposition absolue à cette guerre en Afghanistan, dont je n'ai pas cru un instant qu'elle était ce qu'on en disait. Les Américains sont entrés dans ce pays avec l'Organisation du traité de l'Atlantique nord, l'OTAN – ce qui ne manque pas de sel, vu que ce pays n'a aucune frontière sur l'Atlantique nord ! – , pour châtier paraît-il les auteurs de l'attentat du 11 septembre.

Ceux qui connaissaient un peu le dossier savaient que ce n'était pas possible. En effet, on ne pouvait pas croire que l'attentat avait été organisé depuis l'Afghanistan et d'ailleurs, M. Ben Laden, que les autorités de l'époque avaient proposé de donner à la justice américaine, a finalement été capturé au Pakistan. Il est clair qu'il n'était pas là où l'on comptait le trouver.

Ce n'est pas la seule raison : les Français savaient que les Anglais et les Américains s'entraînaient depuis déjà deux mois, et avaient pré-positionné des forces dans la région. Par conséquent, l'attentat n'était pas la cause de l'intervention ; il a servi en quelque sorte de prétexte. L'objet essentiel qui était alors en jeu était une politique de contournement de la Russie dans l'installation d'un pipeline. Les conversations avaient été très engagées entre les pétroliers américains, incarnés par la compagnie Unocal, et le gouvernement afghan.

À l'époque, un diplomate que je connaissais m'avait dit : « Monsieur Mélenchon, même si vous aimez les marchands de chaussures, que diriez-vous si dix-sept des vingt ministres du gouvernement français étaient des marchands de chaussures ? C'est ce qu'il nous arrive ! Sur vingt ministres, plus de quinze sont des pétroliers américains. » C'est dans cette ambiance que le représentant particulier d'Unocal a été désigné par M. George W. Bush pour mener les négociations ; M. Bush lui-même avait un rapport avec la compagnie Unocal, et le Président afghan Hamid Karzai, si mes souvenirs sont bons, en était un consultant.

Pour comprendre la guerre d'Afghanistan, il faut suivre le pipeline – ce n'est d'ailleurs pas la seule guerre n'ayant aucune autre raison d'être que d'accompagner ou de préparer le passage d'un gazoduc ou d'un oléoduc. Je rappelle que la guerre en Afghanistan est en théorie gagnée depuis le 17 décembre 2001, date à laquelle les États-Unis d'Amérique ont annoncé leur victoire. Naturellement, nous le savons tous, il n'en est rien.

Des élections présidentielles ont eu lieu – oui, appelons cela des élections présidentielles… En 2009, alors que M. Karzai était candidat à sa réélection, le risque existait au deuxième tour qu'il ne soit pas réélu ; tout avait alors été bloqué, jusqu'à ce que le second candidat retire sa candidature, afin que M. Karzai reste le seul candidat.

Cette année, les élections, qui devaient avoir lieu le 20 avril, ont été repoussées au 20 juillet, puis au 28 septembre. Mais il y a eu, lors d'un meeeting, cet abominable attentat, une tuerie à laquelle on ne peut s'habituer lorsque l'on suit un peu ces événements, que l'on regarde, que l'on comprend qu'il s'agit, chaque fois, de meurtres de masse d'une sauvagerie indescriptible.

Il faut dire que, en la matière, les États-Unis montrent un bien curieux exemple. Une seule personne ici se souvient-elle que les États-Unis d'Amérique ont expérimenté en Afghanistan la plus grande bombe conventionnelle – donc non-nucléaire – jamais tirée de toute l'histoire de l'humanité ? Cette bombe jetée sur l'Afghanistan avait une puissance de destruction équivalente à celle d'Hiroshima. Et personne n'a parlé, nulle part ni des raisons pour lesquelles une telle arme avait été jetée sur les Afghans, ni des résultats qui en étaient attendus – et qui n'ont certainement pas été brillants puisque, de nouveau, les trois-quarts du territoire ne sont contrôlés par personne, c'est-à-dire qu'ils sont soumis à des bandes rivales qui constituent l'opposition au pouvoir en place.

C'est dans ce contexte que nous examinons un accord de libre-échange. Un accord de libre-échange avec l'Afghanistan, voilà qui paraît tout à fait extraordinaire ! Déjà, par principe, mon groupe est contre le libre-échange. Si nous pensons que la coopération permet un travail correct, nous ne croyons pas au libre-échange. Il est fondé sur le postulat que, du moment que les marchandises circulent, tout va bien. Non ! C'est toujours le plus puissant qui finit par l'emporter et écraser les productions locales.

Je me demande bien ce que les Afghans ont l'intention de nous vendre… Ce que je sais, c'est que l'Afghanistan, dont la production de drogue avait été éradiquée, est redevenu lors de la période d'occupation nord-américaine le premier producteur mondial de drogue. Cette culture s'effectuait sous les yeux de l'armée américaine, au sein même, d'ailleurs, de ce qu'elle désignait comme des « zones sécurisées ».

Nous voilà donc avec un accord de libre-échange, et je souhaite dire très tranquillement à mes collègues qui vont voter cet accord…

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