Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du mercredi 18 septembre 2019 à 15h00
Accord de coopération entre l'union européenne et l'afghanistan — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Attendez, je vais entrer dans le détail ! Mais il faut que les collègues sachent qu'en matière commerciale, il s'agit d'un accord de libre-échange. D'ailleurs, en matière de commerce, on n'a jamais vu l'Union européenne signer autre chose que des accords de libre-échange.

Maintenant, puisque M. le secrétaire d'État m'y invite de manière impatiente – je le vois bien – , je veux aussi vous dire que le reste ne sent pas meilleur.

L'article 4 promeut les droits de l'homme : c'est parfait, puisqu'ils n'ont en Afghanistan aucune réalité, la Constitution elle-même étant placée sous l'empire de la religion. Il existe un conseil qui examine chaque loi à l'aune de sa conformité à la religion. Or, le premier des droits de l'homme est la liberté de conscience. Elle n'existe pas dans ce pays. Évidemment, je le déplore. Non pas qu'il ne faille pas avoir de religion, ou qu'un législateur ne puisse s'inspirer de ce que lui suggère sa religion personnelle ; mais lorsque la religion devient la base de la Constitution d'un État, il s'agit alors d'une théocratie. Dès lors, il n'y a pas de liberté de conscience, donc les droits de l'homme n'existent pas.

L'article 5 promeut l'égalité femme-homme. Tant mieux, on peut toujours établir une longue liste de souhaits. Mais l'Assemblée a le droit de savoir que, dans la législation afghane actuelle, le mari peut, par exemple, refuser soins et nourriture à sa femme si elle lui refuse des rapports sexuels. De même, une femme doit obtenir l'autorisation d'une autorité masculine pour ouvrir un compte en banque. Une femme ne peut pas non plus recevoir un héritage. En vain me dira-t-on que ce sont des prescriptions liées à la religion – ou plutôt à une interprétation particulière de la religion, la plus féroce qui se fasse là-bas.

L'article 24 promeut l'État de droit. Il n'y a qu'à observer : comment peut-on parler d'un État de droit pour un pays dans lequel une puissance étrangère peut mener ses essais d'armement ?

Dès l'article 1er, on nous invite à supprimer les entraves au commerce. Les entraves au commerce avec l'Afghanistan ? Voilà une chose assez extraordinaire pour être soulignée !

L'article 13 fait l'apologie des règles de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC. Et vous voudriez que l'on vote cela ?

L'article 20 invite à faciliter la circulation des capitaux : eh bien, pas moi ! Je ne suis pas d'accord pour que les capitaux afghans circulent, puisque, pour une grande partie, leur origine est criminelle.

L'article 37 vise l'exploitation des ressources naturelles : chacun comprend qu'il s'agit d'y faire respecter la liberté du commerce et tout ce qui va avec, autrement dit, le droit des Américains de prendre ce qui leur plaît dans ce pays, puisque, bien qu'ils aient gagné la guerre depuis maintenant 18 ans, ils y sont encore 14 000 en armes.

Nous autres, Français, avons payé cher de les accompagner dans cette aventure qui n'avait pas de sens. Je le dis pour les collègues qui s'intéressent de près à ce dossier – c'est le cas de ceux qui sont dans l'hémicycle : nous n'avons jamais su qui l'on combattait. C'était tantôt des rebelles, tantôt des talibans, tantôt des insurgés… Mais qui combattait-on au juste ? Ils n'ont jamais été précisément nommés.

Par le passé, à part le pétrole et l'expérimentation des armements – nous avons nous-mêmes tiré quantité de munitions, l'équivalent de 1,3 million d'euros par jour ; certes, le matériel fonctionne, mais personne ne nous a jamais parlé du bilan de l'utilisation d'un matériel aussi sophistiqué pour le bombardement de simples grottes, huttes et tranchées – , il y a eu une chasse aux subventions. Il faut savoir que les sommes dépensées lors d'un seul et unique jour de la guerre menée en Afghanistan aurait suffi à nourrir et à instruire tous les enfants afghans. Un rapport présenté au Parlement européen, encore frais dans ma mémoire puisque j'étais membre de la commission compétente, établissait que 85 % des sommes investies ou données à l'Afghanistan pour l'aider, notamment pour sa reconstruction, revenaient en réalité vers « l'Occident » – c'est-à-dire les pays occupants, et leurs personnels présents sur place. Ce pauvre pays a donc fonctionné comme une pompe, alimentant des circuits financiers avec un argent dont il n'a jamais eu le bénéfice.

Cela ne m'empêchera pas, bien entendu, de saluer le travail mené là-bas par les nôtres : la restauration du lycée français et ces autres choses magnifiques que quelques pauvres personnes tentent de maintenir en état de fonctionnement.

Revenons à notre point de départ : les Russes sont entrés en Afghanistan au moment où les alliés de l'OTAN, eux, entraient en Iran avec l'aide de M. Saddam Hussein. À l'époque, on craignait que le triomphe de la République islamique d'Iran n'entraîne l'effondrement de tout le système de la zone.

Les Russes ont été battus par la résistance afghane, qui est telle, d'ailleurs, que personne ne l'a jamais vaincue, ni les Anglais, ni les Américains, ni personne d'autre. Tous ceux qui sont passés par-là ont été battus, pour une bonne raison : on ne peut pas imposer de force à des gens un régime dont ils ne veulent pas. Après cela, les Américains ont entretenu Al-Qaïda, organisation qui a changé de nom à plusieurs reprises. En arabe, Al-Qaïda signifie « la base » : la base Al-Qaïda et M. Ben Laden sont des créatures de l'OTAN en lutte contre la Russie. À partir de là, et comme toujours dans ces situations confuses où chacun vient pour ses propres raisons de combattre – et repart avec elles – , la situation a dégénéré au point que Al-Qaïda est devenu le monstre dont tout le monde se souvient, jusqu'à l'exécution de son fondateur – sans pour autant que la force politique ainsi fondée soit jamais dissoute.

Aujourd'hui, ceux qui ont été vaincus en Syrie reviennent en Afghanistan, où beaucoup étaient passés auparavant pour instruction. On peut hélas imaginer que la guerre prendra de nouveau une tournure à laquelle je ne pense pas que nous soyons en mesure de répondre avec de tels procédés.

J'avoue que, si je devais dire par quel bout prendre une telle situation, je serais aussi embarrassé que vous, monsieur le secrétaire d'État. Tout le monde l'est, d'ailleurs, en ce qui concerne ce pays. Mais il est certain que les guerres que l'on y livre ne mènent nulle part : maintenir sur place des marionnettes ne nous conduit, au final, qu'à consentir à des choses insupportables.

La nouvelle Constitution de l'Afghanistan a été élaborée par une assemblée coutumière religieuse, qui a décidé des règles de l'organisation politique du pays. Que faisons-nous là-dedans ? Il faut laisser ce peuple en paix. Il faut le laisser se débrouiller comme il le veut de sa propre situation, et voir ensuite avec qui nous pouvons discuter – à la condition, bien sûr, que les gens qui finissent par surnager aient un minimum de légitimité.

Aussi longtemps que nous croirons que nous pouvons fabriquer des légitimités depuis l'extérieur, nous n'arriverons à rien dans ce coin.

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