Intervention de Jean-Michel Blanquer

Réunion du mardi 10 septembre 2019 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse :

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je suis très heureux de vous retrouver pour cette audition traditionnelle de rentrée devant la commission, la troisième depuis le début du quinquennat.

Je souhaite vous remercier pour votre implication continue sur les sujets éducatifs, qui nous permet de progresser, rentrée après rentrée. Comme vient de le rappeler le président, la précédente session parlementaire a été riche et rythmée par l'examen de la loi pour une école de la confiance, promulguée le 26 juillet 2019, après examen par le Conseil constitutionnel.

Cette loi, dont l'inspiration est profondément sociale, offre au système éducatif de nouveaux leviers qui vont nous permettre d'approfondir ce qui a été fait depuis deux ans :

- lutter contre les inégalités dès le plus jeune âge en abaissant l'âge de l'instruction obligatoire à 3 ans, avec une série de conséquences en chaîne, dont l'instauration d'une visite médicale à l'école dès 3 ans pour un meilleur suivi des enfants ;

- créer un grand service public de l'école inclusive, avec les premières applications à cette rentrée ;

- consacrer le droit des élèves à suivre une scolarité sans harcèlement ;

- éduquer au développement durable, dont j'ai souhaité faire un marqueur de cette rentrée, de la maternelle au lycée ;

- s'ouvrir sur le monde avec les établissements publics locaux d'enseignement international (EPLEI) ;

- renforcer le contrôle de l'instruction dispensée dans la famille ;

- combattre le décrochage des jeunes les plus fragiles avec l'obligation de formation de 16 à 18 ans ;

- mieux former les professeurs dans des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (INSPÉ), nouvelle modalité de formation en cours de création ;

- permettre une entrée progressive dans la carrière de professeur ;

- améliorer le système scolaire français avec le conseil d'évaluation de l'école, qui sera aussi une réalité de l'année 2019-2020.

Sans revenir en détail sur la loi, car vous la connaissez bien, je souhaite une nouvelle fois vous remercier car le débat parlementaire a permis d'améliorer et d'enrichir ce texte, notamment en le faisant résonner avec les défis actuels de notre société.

Pour réussir et faire réussir les élèves, l'école doit pleinement assumer les défis de notre époque. Ils sont multiples, mais il y en a trois principaux en ce début d'année autour desquels je souhaite articuler mon intervention : le défi de l'égalité des chances, qui va de pair avec la lutte contre l'injustice sociale, comme je l'ai dit en commençant : le défi du bien-être au travail des personnels, car il n'y a pas d'école qui aille bien sans professeurs et sans personnels heureux ; le défi de l'avenir, c'est-à-dire la question environnementale, pour laquelle l'école peut être en première ligne.

L'égalité des chances, vous le savez, est le marqueur des politiques d'éducation. La mesure la plus forte et la plus emblématique, mais pas la seule, est le dédoublement des classes de CP et des CE1 en réseau d'éducation prioritaire (REP) et REP+. En cette rentrée, cela représente 10 800 classes et 300 000 élèves bénéficiant d'un suivi renforcé pour l'apprentissage des savoirs fondamentaux, soit 20 % d'une classe d'âge. Conformément au souhait du Président de la République, ces dédoublements seront étendus aux grandes sections de maternelle en éducation prioritaire, soit 150 000 élèves de plus, à la rentrée 2020. Des expérimentations sont déjà en cours. Je pense au Val-de-Marne où j'étais récemment, où 60 grandes sections sont dédoublées. C'est vrai dans d'autres territoires que j'ai pu visiter avant et pendant la rentrée, comme l'île de La Réunion. C'est l'approfondissement d'une mesure dont nous attendons beaucoup et dont les premiers fruits nous emplissent d'espoir sur la possibilité d'en finir avec la différence de résultats entre les territoires les plus défavorisés et les autres.

La maîtrise des savoirs fondamentaux, autrement dit la capacité à transmettre à tous les élèves des connaissances et des valeurs – lire, écrire, compter et respecter autrui – par 100 % des élèves, passe aussi par des mesures pédagogiques et en termes de ressources humaines. En cette rentrée scolaire, 2 300 postes ont été créés pour l'école primaire en France, en dépit d'une baisse démographique. Cela nous permet non seulement d'assurer le dédoublement des classes mais aussi de conduire des politiques ciblées, notamment le soutien de l'école primaire en milieu rural.

En outre, les orientations pédagogiques prises depuis deux ans dans l'apprentissage progressif, rigoureux et systématique des savoirs fondamentaux sont approfondies. L'abaissement de l'âge de l'instruction obligatoire à 3 ans permet de renforcer l'école maternelle dans son rôle essentiel pour l'apprentissage du langage et pour développer le goût d'apprendre. Il est important de le dire, car cela se traduira non seulement par l'amélioration des taux d'encadrement au cours des trois prochaines années, mais aussi par de meilleures formations et une insistance pédagogique sur ce qui se joue à l'école maternelle. Je pense notamment aux suites des assises de l'école maternelle conduites par Boris Cyrulnik, qui se traduisent aujourd'hui par des programmes de formation continue sur les enjeux de l'affectivité en école maternelle et sur différentes questions pédagogiques propres à l'école maternelle.

L'égalité des chances passe aussi par la scolarisation des élèves en situation de handicap. C'est une autre dimension sociale importante de la loi pour une école de la confiance et de la rentrée, avec quelque 23 500 élèves de plus en cette rentrée et 7,2 % d'accompagnants supplémentaires en équivalents temps plein, comme je l'indiquais tout à l'heure dans l'hémicycle. Le budget dédié à la scolarisation des élèves en situation de handicap est passé de 2,1 milliards d'euros constatés en 2017 à 2,8 milliards d'euros prévus en 2019, soit une augmentation annuelle de 10 %, c'est-à-dire le domaine qui enregistre la hausse budgétaire la plus forte à l'intérieur du budget du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse. C'est l'occasion de rappeler que, contrairement à ce que j'entends dire ici ou là, les réorganisations que nous opérons ne sont pas destinées à faire des économies mais à être qualitativement plus efficaces par des moyens supplémentaires très importants.

Cette année, les rectorats et les départements se sont organisés pour mieux prendre en charge les demandes des familles grâce à une cellule d'écoute garantissant une réponse dans les vingt-quatre heures et au déploiement de 3 000 pôles inclusifs d'accompagnement localisés (PIAL) dans l'ensemble du pays. Vendredi dernier, j'ai pu voir que l'ensemble du territoire d'Eure-et-Loir était couvert par des PIAL. Ainsi, tous les écoles et établissements de ce département sont couverts, avec une organisation au plus près du terrain pour affecter et former les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH).

Pour résumer la différence d'approche, je dirai qu'avant, une fois la demande de la famille exprimée, le ministère cherchait un accompagnant, et aujourd'hui, avec la mise en route des PIAL, l'élève et sa famille trouvent un accompagnant en se rendant à l'école. Comme je le disais dans l'hémicycle, une semaine après la rentrée, moins de 5 % des élèves sont actuellement en situation d'attente. C'est encore un chiffre trop élevé, mais c'est le meilleur des dernières années. Je n'entrerai pas dans le détail des mesures ayant un impact social mais je voulais insister sur celle-ci.

J'insisterai ensuite sur l'amélioration des conditions de travail des personnels.

Je l'ai beaucoup dit lors de la rentrée, je l'avais annoncé les mois précédents, nous devons approfondir le dialogue social afin d'améliorer la situation des personnels, non seulement sous l'angle de la rémunération mais aussi sous celui de l'ensemble des éléments de nature à favoriser le bien-être au travail.

Depuis un an, en particulier, le dialogue social a permis d'avancer sur bien des sujets, comme la formation continue qui fait l'objet d'un schéma directeur opérationnel en cette rentrée, visant à garantir à tout professeur de France au minimum une formation continue au cours des trois prochaines années, et la gestion des ressources humaines de proximité. En cette rentrée déjà, 25 % des professeurs peuvent trouver un interlocuteur à moins de vingt minutes de leur lieu de travail pour évoquer leurs enjeux de carrière. La formation continue s'améliore non seulement sous l'angle quantitatif mais aussi qualitatif.

Ce dialogue social doit s'intensifier, ne serait-ce que parce que nous avons des objets de dialogue particulièrement importants dans le contexte de la réforme des retraites. Comme l'ont dit le Président de la République et le Premier ministre, la réforme des retraites, inspirée par la volonté de justice et d'égalité entre les Français, doit faire l'objet de notre part, notamment de la part de Jean-Paul Delevoye récemment arrivé au Gouvernement, d'un travail précis afin que l'amélioration des rémunérations se traduise par des retraites qui soient bonnes pour l'ensemble des personnels de l'éducation nationale. Cela suppose plusieurs mois de discussions. Je l'ai déjà annoncé aux organisations syndicales.

Les discussions portent aussi sur l'amélioration des conditions de travail, en commençant par la protection des personnels, avec un plan sécurité que j'évoquais également tout à l'heure dans l'hémicycle. Tout fait de violence doit être systématiquement signalé et les victimes doivent être accompagnées. J'avais annoncé ces mesures dès le mois de novembre dernier.

Une circulaire du ministère de la justice sur les violences scolaires, conçue avec le ministère de l'intérieur et avec mon propre ministère, est parue en ce mois de septembre. Un référent « violence en milieu scolaire » est nommé dans chaque département, afin que les directeurs d'école et les chefs d'établissement aient un interlocuteur auprès de chaque inspecteur d'académie. Les procédures disciplinaires sont simplifiées dans les établissements du second degré, conformément à ce que j'avais annoncé en novembre dernier, afin d'améliorer le fonctionnement des conseils de discipline. Les travaux d'intérêt général sont facilités grâce à l'agence du travail d'intérêt général qui fournit des tuteurs. La réparation matérielle sera plus systématique. Contrairement à la pratique actuelle, et je l'ai dit aussi dans l'hémicycle, l'inspecteur d'académie n'aura pas besoin de l'autorisation de la famille pour inscrire un élève en classe relais durant six mois. Bien entendu, nous privilégions le dialogue mais, en cas de nécessité, cette possibilité est offerte à l'inspecteur d'académie. Il pourra être proposé aux familles la prise en charge de leur enfant par un internat tremplin. Les familles sont responsabilisées, avec la mise en place d'un protocole d'accompagnement et de responsabilisation des parents (PAR).

L'aspect matériel est un autre sujet fondamental. Je viens d'évoquer l'enjeu de la rémunération. Dès l'année 2020, nous envoyons de premiers signaux. Vous aurez à discuter et à voter le projet de budget pour l'année 2020. Le projet de loi de finances se traduira par une augmentation du budget de l'éducation nationale, qui dépassera le milliard d'euros, l'essentiel de ces moyens étant naturellement destiné aux dépenses de personnels, donc à l'amélioration du pouvoir d'achat, dont la mise en oeuvre des « parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR), pour 300 millions d'euros. Je rappelle, parce qu'il y a eu quelques interprétations médiatiques, que ce n'est pas le seul élément d'augmentation du pouvoir d'achat, les discussions sur les rémunérations dont j'ai parlé ayant vocation à porter des fruits au-delà de l'année 2020.

Je rappelle aussi que nous augmentons le nombre d'heures supplémentaires, lesquelles sont désormais défiscalisées, ce qui se traduira dès cette année par une amélioration du pouvoir d'achat des professeurs, principalement de l'enseignement secondaire. En outre, les professeurs du primaire, du secondaire et les personnels travaillant en REP+, au nombre d'environ 50 000, bénéficieront en cette rentrée d'une augmentation de 1 000 euros de la prime que nous avions déjà portée à 1 000 euros, l'année dernière, soit 2 000 euros. Il devient donc attractif de travailler en REP +, puisque cela s'ajoute aux 2 500 euros déjà existants, soit 4 500 euros d'incitation par an.

Nous aurons ce travail de concertation sur les aspects matériels, mais ils ne se résument pas à ce que je viens de dire. Je pense à l'aide au logement qui peut être un aspect essentiel de l'accompagnement des professeurs des écoles ou des professeurs du second degré débutant dans les régions où se loger est particulièrement cher.

Nous avons de très beaux chantiers devant nous au titre du dialogue social. Je les ai indiqués aux organisations syndicales. Ils ont trait aux enjeux de l'amélioration de la situation des personnels, que je viens de résumer. Le dialogue social concerne également le suivi des réformes en cours, notamment la réforme du baccalauréat général et technologique et la réforme de la voie professionnelle. Dans les deux cas, un comité de suivi a été mis en place qui permettra, au cours des prochains mois, de discuter de ce qui se passe sur le terrain, des ajustements souhaitables, des améliorations possibles, des précisions envisagées.

Le troisième point sur lequel je souhaite insister en introduction concerne le développement durable.

L'année dernière, à l'occasion de la marche internationale que les jeunes du monde entier avaient organisée autour des enjeux de l'environnement, nous avions souhaité voir organisés des débats de lycéens, lesquels s'étaient traduits par les travaux du conseil national de la vie lycéenne. J'en profite pour souligner la vitalité de la démocratie lycéenne qui s'exprime au travers des comités de vie lycéenne. Ces travaux ont abouti à huit recommandations. Je vous avais dit que je les prendrais au sérieux : elles deviennent cette année ma feuille de route, notre feuille de route, pour mettre en action l'ensemble de l'institution éducation nationale.

On insiste parfois sur l'importance de la taille de l'éducation nationale pour s'en plaindre. Je ne le fais jamais. Je considère au contraire que la grande taille de l'éducation nationale permet d'exercer des effets de levier. C'est pourquoi je me suis permis de dire que nous ne devions plus utiliser l'image du fameux animal préhistorique qui nous a fait tant de tort mais parler désormais d'un peuple de colibris. L'éducation nationale représente 12 millions d'élèves, un million de personnels, 60 000 implantations scolaires. L'impact d'un effet de levier exercé par ces 13 millions de colibris, auxquels s'ajoutent les familles et, de proche en proche, toute la société française, est tout sauf marginal. L'ajout de chacune des actions aura un impact direct et indirect considérable.

Nous réaliserons tout d'abord des progrès à travers l'évolution des programmes : c'est ce que l'on attend en premier de l'éducation nationale et qui a été réalisée au travers des changements de programmes du lycée, mais aussi à l'école et au collège, non pour présenter une sorte de catéchisme du développement durable mais pour aller au fond des choses. Il s'agit notamment de proposer, dans le cadre des enseignements scientifiques, de véritables analyses et de véritables formations aux métiers correspondants, mais aussi d'inciter à un état d'esprit d'engagement. Nous ne voulons pas former une génération d'élèves pessimistes et fatalistes mais une génération d'élèves acteurs. Ils ne demandent que cela, comme nous l'avons vu au travers des comités de vie lycéenne qui ont parfaitement exprimé ce désir d'engagement et d'action. C'est donc aussi l'occasion d'un développement de l'engagement des élèves pour des causes d'intérêt général ; les adolescents ont besoin de ce sens de l'engagement, mais c'est vrai aussi des enfants, dès l'école primaire.

Cela se traduira par une série d'actions locales. Les collégiens et lycéens éliront un éco-délégué par classe, soit 250 000 éco-délégués. Ces éco-délégués seront formés pour indiquer à leurs camarades les gestes nécessaires à la protection de l'environnement : éteindre la lumière, recycler les déchets, gérer de manière responsable le papier, limiter l'usage du plastique. Ils réfléchiront aux projets possibles pour favoriser la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique. En lien avec les collectivités locales, nous encouragerons la présence systématique de potagers, la revégétalisation, des plantations d'arbres, toutes initiatives pour lesquelles nous ne partons pas de zéro, parce que l'ensemble des écoles, des collèges et des lycées se sont déjà impliqués dans ce type d'actions. Nous avons le modèle de ceux qui ont fait mieux et plus en la matière.

D'ici décembre, toutes les écoles et tous les établissements devront avoir conçu un projet de développement durable : création d'un potager, plantations d'arbres, installations de nichoirs à oiseaux ou de ruches. Au passage, les vertus pédagogiques sont considérables. Il s'agit de mettre les élèves en action. Nous avons, avec les classes de sciences de la vie et de la terre, de magnifiques exemples de réalisations en la matière.

En octobre, une nouvelle version du cahier des charges du label E3D, plus ambitieuse, sera publiée. L'objectif est que, dès cette année, toutes les écoles et tous les établissements mettent en oeuvre des projets de transition écologique et de développement durable et que, dès 2022, plus de 10 000 écoles et établissements soient labellisés E3D.

Le mot-clé de cette rentrée, c'est : « Réussir ». Réussir, c'est faire réussir les élèves, mais c'est aussi faire réussir notre pays. Les enjeux de l'environnement font partie de cette réussite. C'est aussi être en soutien des personnels pour permettre la réussite de leurs élèves. C'est au coeur de l'action menée pour l'élévation du niveau général et la justice sociale.

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