Intervention de Dominique David

Réunion du mardi 17 septembre 2019 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique David, présidente :

Nous voici réunis, chers collègues, pour examiner le rapport de la mission d'information relative à l'impôt universel. Ce titre, d'ailleurs, me pose un problème et je n'ai cessé de contester sa pertinence, puisqu'il s'agit en réalité de l'impôt sur la nationalité, qui n'a rien d'universel puisqu'il n'est pratiqué que dans trois pays dans le monde : les États-Unis, l'Érythrée et l'Union du Myanmar, nouveau nom de la Birmanie. La mise en place de cette mission a été proposée par le groupe La France insoumise. C'est un sujet qui leur tient à coeur, nous le savons, puisqu'ils ont systématiquement déposé des amendements visant à sa création chaque fois que cela était possible depuis le début de la législature. Ces amendements n'ont pas été retenus, mais je voudrais saluer ici l'esprit d'ouverture du président et des membres du bureau de notre commission qui ont accepté de mettre en place cette mission pour tenter de faire, peut-être définitivement, le tour de la question.

Ce n'est pas un sujet neuf. Il figurait parmi les propositions de Dominique Strauss-Kahn lors de la campagne de 2007. Repris par Nicolas Sarkozy puis François Hollande en 2012, il fut l'un des piliers du programme du candidat Mélenchon en 2017. Souvent débattu sous des formes diverses, sans jamais, il est vrai, entrer dans le détail, ni même être retenu, c'est probablement ce que l'on appelle une fausse bonne idée : apparemment originale et séduisante, mais parfaitement irréalisable pour tout un ensemble de raisons complexes. La science-fiction est remplie de fausses bonnes idées. Nos amendements aussi parfois, il faut bien le reconnaître. Nous étions au sein de cette mission – et c'est une bonne nouvelle – tous d'accord sur l'objectif, celui de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale en général et l'expatriation en particulier. Je voudrais rappeler que, depuis le début de la législature, la lutte contre la fraude fiscale et l'évasion fiscale est l'un des grands objectifs de ce quinquennat et l'un des grands enjeux de nos travaux au sein de la commission des finances. Je voudrais saluer le travail et l'expertise de nos collègues Émilie Cariou, Bénédicte Peyrol, Jean-François Parigi, Pierre Cordier, Éric Diard et Marc Le Fur.

De fait, beaucoup a été réalisé. En matière de fiscalité personnelle, la loi a permis l'aggravation des sanctions pour les fraudeurs comme pour leurs conseils. Nous avons aussi nettement amélioré les moyens au service de la justice fiscale. La notion d'abus de droit a été élargie l'année dernière, il a été créé une police fiscale et le verrou de Bercy est tombé. De nombreuses initiatives ont également permis de renforcer la lutte contre les agissements frauduleux en matière d'impôt sur les sociétés : la taxe sur les services numériques, la convention multilatérale avec l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le projet d'impôt minimum pour le G20. Bien sûr, il reste beaucoup à faire, mais nous ne le ferons pas par le biais d'un impôt sur la nationalité.

En substance, il existe trois obstacles majeurs. Ce système d'imposition, pleinement pratiqué par les États-Unis, ne peut exister sans le FACTA, dispositif qui contraint partout dans le monde les banques à déclarer au fisc américain les avoirs détenus par tous les contribuables présentant des indices d'« américanité ». Ce dispositif est évidemment très décrié et je vous invite, sur le sujet, à relire l'excellent rapport de nos collègues Marc Le Fur et Laurent Saint-Martin sur les Américains accidentels. Mais surtout, il fonctionne parce que les États-Unis sont les États-Unis et que leur monnaie est la monnaie mondiale, ce qui est un très bon argument pour convaincre les banques de coopérer. Même ainsi, lorsque nous apprenons que les États-Unis ont investi 380 millions de dollars dans l'exploitation de ces données brutes et très volumineuses, pour au final faire rentrer dans leur caisse moins de 1 % des recettes fiscales totales du pays, nous pouvons nous interroger sur l'efficacité réelle de l'impôt sur la nationalité. Même si nous étions plus intelligents que les Américains et en capacité de contourner tous les effets de bord du système, il nous faudrait quand même renégocier quelque 128 conventions bilatérales avec tous les risques que comporte l'ouverture de renégociations. Enfin, est-ce principalement pour échapper à l'impôt sur le revenu que l'on s'expatrie, en réalité ? Non, très probablement non, car l'impôt sur le revenu est relativement plus faible en France qu'ailleurs – même qu'aux États-Unis – et c'est plutôt pour échapper à la fiscalité sur le patrimoine et sur les sociétés que certains tournent leur regard au delà de nos frontières.

Après quelques semaines d'audition, dont aucune n'a pu nous convaincre de l'intérêt d'un impôt sur la nationalité, nous avons donc réorienté les travaux de cette mission vers le renforcement des moyens de lutte contre la fraude et l'évasion fiscale par l'expatriation. Je dois souligner le grand intérêt des auditions et la pugnacité des rapporteurs. Onze propositions sont formulées. Il s'agit d'ailleurs plutôt de pistes et d'intentions qui réclament – vous ne me démentirez pas, messieurs les rapporteurs – un examen plus approfondi. Je ne les détaillerai pas – ce n'est pas mon rôle de présidente – et même si la qualité de nos échanges a permis de trouver une formulation de compromis, je voudrais exprimer quelques principes qui doivent guider nos réflexions à venir.

Le premier est de ne pas jouer aux apprentis sorciers et de ne pas négliger un vrai travail d'évaluation en amont des mesures qui seront prescrites. C'est un travail que nous n'avons pas fait dans cette mission. Le deuxième est de ne pas nous précipiter sur la remise en cause de votes récents sans en avoir évalué les effets. Je pense à l'exit tax, dont l'une des propositions réclame le rétablissement sous sa forme antérieure. Le troisième, enfin, est de garder en tête ce qui est pour moi une ligne rouge absolue, celle des limites imposées aux autorités administratives et de la garantie des libertés publiques, qui doit primer sur toutes les considérations politiques et budgétaires. Vous trouverez le détail de mes remarques en introduction du rapport.

Je salue la richesse de nos échanges, qui ont dépassé la seule technique fiscale, posant les sujets du consentement à l'impôt, de la citoyenneté et même de notre modèle social. Je serai très engagée dans les travaux à venir.

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