Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du mardi 24 septembre 2019 à 15h00
Bioéthique — Présentation

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Enfin, le droit civil est présent pour conforter des droits nouveaux. En effet, le texte offre un droit nouveau aux femmes, qu'elles vivent ou non en couple : celui de recourir à l'assistance médicale à la procréation – l'AMP – et d'être reconnues pleinement mères de l'enfant à naître. Dès lors, le projet proposé tire, en droit civil, les conséquences absolument indispensables – mais strictement nécessaires – du mode d'établissement de la filiation pour les enfants nés de couples de femmes.

Le texte, tel que nous allons le débattre, repose, je le crois, sur une volonté partagée, des principes affirmés et des propositions équilibrées.

S'agissant tout d'abord de la volonté partagée, l'article 4 du projet de loi tire les conséquences, au regard de nos règles de filiation, de ce nouveau droit qu'est l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes seules. Il prévoit que les futures mères, comme les couples hétérosexuels, consentiront ensemble devant notaire à la PMA et reconnaîtront au même moment qu'elles entendent être toutes les deux mères de l'enfant à naître, sur un strict pied d'égalité. Lors de la naissance, il suffira de remettre à l'officier d'état civil cette reconnaissance anticipée, avec le certificat d'accouchement, pour que la filiation de l'enfant puisse être effectivement établie au moment de la naissance.

Ce dispositif a connu une évolution importante en commission, après un travail approfondi que le Gouvernement a mené avec votre rapporteure, Mme Coralie Dubost – que je remercie – , ainsi qu'avec de nombreux autres parlementaires – parmi eux, je tiens à saluer particulièrement Mme Aurore Bergé et M. Guillaume Chiche.

Le Gouvernement a été très attentif aux travaux de la commission spéciale. Les auditions ont montré que le mécanisme initialement proposé dans le projet de loi pouvait être sensiblement amélioré pour être mieux accepté. C'est donc à cette tâche que nous nous sommes attelés, dans un travail de coconstruction relativement inédit, puisque ce sont finalement deux amendements identiques du Gouvernement et de la rapporteure qui ont été présentés et adoptés par la commission. Ces deux amendements ont donc traduit le travail commun et illustré, je crois, une belle manière d'avancer ensemble.

Par cet article 4 ainsi rédigé, nous tirons donc simplement les conséquences, en termes d'établissement de la filiation, du nouveau droit ouvert aux femmes, celui de l'accès à l'AMP.

Une volonté partagée, donc, mais également des principes clairement affirmés. Pour organiser ce nouveau mode de filiation, le Gouvernement s'est fondé sur cinq principes.

Tout d'abord, l'égalité absolue des enfants, quels que soient leur mode de conception et le mode d'établissement de leur filiation. C'est une évidence, mais il est toujours bon de la rappeler. Elle fera d'ailleurs l'objet d'une mention nouvelle dans le code civil, qui la précisera clairement.

Ensuite, la sécurité juridique pour les enfants et pour les mères, qui s'engagent dans un projet commun dès avant même la conception.

La simplicité des procédures est également un des principes qui nous a guidés : pas de tracasseries ou de procédures inutilement compliquées. Nous avons souhaité faire des choses simples, mais sûres.

Quatrième principe : la prise en compte de la réalité, évidence que l'on ne peut écarter. Face à la procréation, les couples de femmes ne sont, dans les faits, pas exactement dans la même situation que les couples hétérosexuels : la vraisemblance biologique ne peut pas jouer, et on ne peut donc leur appliquer purement et simplement des règles conçues pour les couples hétérosexuels. Un enfant qui aura deux mères sur son acte de naissance saura nécessairement qu'elles ont eu recours à un don puisque, hors adoption, la loi ne prévoit la possibilité d'une double filiation maternelle que dans ce cas. Il nous faut donc construire quelque chose de nouveau à partir de cette situation de fait.

Cinquième principe : la volonté de ne pas modifier le droit de la filiation applicable aux couples hétérosexuels. Nous ouvrons de nouveaux droits, et – c'est là l'essentiel – sans retirer quoi que ce soit aux autres couples ni modifier l'existant.

À partir de ces principes sur lesquels nous pourrons, me semble-t-il, nous accorder – pour peu qu'on accepte d'ouvrir la PMA – , nous avons, avec la rapporteure Coralie Dubost, proposé un dispositif qui nous semble adapté et protecteur – celui qui a été adopté par la commission spéciale.

Voici les propositions équilibrées que nous formulons. Le projet de loi initial avait prévu de créer un nouveau titre dans le code civil, le titre VII bis, propre à la filiation des enfants nés de couples de femmes ayant eu recours à une AMP avec tiers donneur. Sans doute avions-nous péché par souci excessif de symétrie en insérant un titre nouveau entre le titre VII, consacré à la filiation charnelle, et le titre VIII, portant sur la filiation adoptive. Lors des auditions conduites par la commission spéciale, une demande s'est exprimée clairement en faveur de la correction de cette écriture : nous l'avons entendue et sommes donc revenus à l'écriture initiale.

Le dispositif adopté par la commission complète désormais le titre VII du livre Ier du code civil, relatif à la filiation : c'est le premier point de notre projet. Au sein de ce titre VII, un nouveau chapitre, le chapitre V, sera créé. Il portera sur le recours à l'AMP avec tiers donneur, et ce pour tous les couples, sans distinction, qu'ils soient hétérosexuels ou composés de deux femmes. Ce n'est pas seulement une question de légistique : nous savons que, sur ces questions, l'emplacement des dispositions est toujours un enjeu symbolique essentiel. C'est ainsi que nous y répondons.

En second lieu, lors des auditions en commission, le débat s'est beaucoup focalisé sur ce qui avait été initialement créé sous le terme de déclaration anticipée de volonté, la fameuse DAV. À l'initiative du Gouvernement et de la rapporteure, la DAV a été supprimée. Lors des auditions, la création d'un nouvel objet juridique avait en effet paru inutile et susceptible d'être interprétée comme opérant une distinction excessive entre les couples selon leur orientation sexuelle. Ce n'était évidemment pas la volonté du Gouvernement, mais ces réactions devaient être entendues.

Comme je l'ai évoqué précédemment, il a donc été proposé de recourir à une notion juridique bien connue en droit civil : la reconnaissance. Elle sera établie conjointement devant le notaire, au moment même où il recueillera le consentement à l'AMP. Cette reconnaissance témoignera de ce que les deux mères s'engagent ensemble, mutuellement, sur la base d'une stricte égalité, dans ce projet parental. La reconnaissance existe déjà dans le code civil, par exemple pour le père non marié, qui peut ainsi reconnaître son enfant par un acte authentique devant notaire. C'est donc une notion connue et commune, que nous étendons aux couples de femmes ayant recours à la PMA. Lors de la naissance, l'une des mères – ou les deux – produira simplement cette reconnaissance, avec le certificat d'accouchement – comme le fait aujourd'hui un père qui a reconnu de manière anticipée un enfant – , pour que, dès son établissement, l'acte de naissance mentionne la filiation à l'égard des deux mères. Rien de plus, rien de moins.

En troisième lieu, l'acte de naissance portera simplement la mention selon laquelle l'enfant a été reconnu par ses deux mères. Aucune mention de la PMA, aucune notion juridique nouvelle n'apparaîtra : une simple reconnaissance.

Avec ce dispositif clair, raisonnable et équilibré, nous apportons donc une réponse en termes de sécurité, de simplicité, d'égalité. Cette évolution du texte a été saluée comme un progrès et, de fait, je crois qu'il s'agit bien d'un progrès.

Mais j'entends aussi des voix qui veulent aller plus loin encore, vers ce que l'on appelle l'extension du droit commun – notion d'ailleurs assez mal définie et peut-être, d'une certaine manière, trompeuse : certains souhaiteraient opérer des distinctions entre les couples de femmes selon leur statut marital, en créant une présomption de maternité pour les femmes mariées, sans avoir à faire état du recours à une AMP ; d'autres préféreraient que soit simplement présenté à l'officier d'état civil le consentement à la PMA effectué devant notaire pour établir une reconnaissance de maternité en mairie.

On peut imaginer, il est vrai, de très nombreuses solutions juridiques. Elles ont toutes leurs avantages et leurs inconvénients.

Je peux comprendre ces positions, qui sont fondées sur le souhait d'une indifférenciation forte. Je les respecte quelles qu'elles soient mais, je le redis ici devant vous, notre proposition n'entraîne ni inégalité ni discrimination : elle tire simplement les conséquences d'une différence de situation liée à l'absence d'altérité sexuelle du couple en question.

Ajoutons que le droit de la filiation est extrêmement subtil et complexe. Toute approximation, imprécision, généralisation dont la portée n'aurait pas été mesurée avec soin peut avoir des conséquences sur la situation concrète des familles. En la matière, nous devons tous faire preuve de modestie et de prudence.

N'oublions donc pas l'essentiel : ce texte ouvre la PMA aux femmes et leur permet d'établir un lien de filiation sécurisé avec l'enfant qui naîtra de ce projet.

Les questions de technique juridique ont leur noblesse, mais on peut se demander si l'on ne se perd pas, d'une certaine manière, dans des précisions juridiques excessives alors que nous proposons un dispositif simple, sécurisant, réaliste et juridiquement solide. C'est cela qui est fondateur.

L'essentiel ne réside-t-il pas dans l'égalité absolue – je le redis – entre tous les enfants, quels que soient leur mode de conception et le mode d'établissement de leur filiation, qu'ils naissent au sein d'un couple hétérosexuel ou d'un couple lesbien ?

Ces enfants auront les mêmes droits, exactement les mêmes droits ; leurs parents auront les mêmes droits et les mêmes devoirs quelle que soit leur orientation sexuelle.

Par ce texte, nous permettons que deux femmes s'engagent mutuellement, l'une envers l'autre, dans le plus beau des projets communs : celui d'avoir un enfant ensemble, de le voir naître et de l'élever. La femme qui accouchera sera mère de l'enfant ; celle qui n'accouchera pas sera tout autant mère de cet enfant. À bien des égards, c'est un progrès majeur pour notre société.

C'est avec fierté et une certaine émotion que nous porterons ce projet devant vous et avec vous. Je vous en remercie.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.