Intervention de Jean-Louis Touraine

Séance en hémicycle du mardi 24 septembre 2019 à 15h00
Bioéthique — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique :

Nous avons tous conscience de l'importance du travail parlementaire sur les sujets de bioéthique. La France est à cet égard un pays singulier, qui légifère régulièrement sur l'ensemble des préoccupations de notre société en matière de bioéthique. Nous savons aussi que les questions traitées aujourd'hui ne nous distinguent pas entre avocats du bien et avocats du mal : chacun d'entre nous se présente ici avec sa vision du bien. Nous nous respecterons donc les uns et les autres dans nos diversités. Comme l'indiquait Condorcet, « la vérité appartient à ceux qui la cherchent et non point à ceux qui prétendent la détenir. »

La bioéthique est la science du doute, du questionnement, de l'humilité. Permettez-moi en premier lieu de remercier les trois ministres qui ont non seulement rédigé un texte dont nous serons tous fiers, mais aussi réalisé un important travail de dialogue et de préparation collégiale des corrections du projet initial. Chacun, représentant de la majorité ou de l'opposition, a été écouté. La diversité des opinions au sein de chaque groupe politique a été entendue et a permis d'enrichir le texte.

Tous ensemble, nous allons continuer sereinement à préciser quelques options. Nous savons que la bioéthique à la française accompagne le progrès avec prudence, raison et rigueur. Près de deux ans de préparation, des centaines d'heures d'audition de personnes concernées, de professionnels, de courants de pensée et d'associations, nous apportent une bonne maîtrise de l'ensemble des sujets figurant dans le projet de loi. Aucune révolution ne sera introduite, mais des évolutions significatives seront consacrées.

L'expérience internationale et celle développée dans notre pays nous permettent d'avancer sans témérité, sans risque, mais avec une prudence et dans un cadre excluant toute dérive. De fait, comme c'est souvent le cas pour les questions sociétales, l'évolution des moeurs a précédé l'évolution législative. Bien entendu, notre rôle ne consiste pas à entériner toute modification des modes de vie ou de procréation. Mais nous devons nous interroger sur les questions qui assaillent la société contemporaine.

La procréation et les diverses façons de faire famille aujourd'hui sont en question. Nous avons reçu à l'Assemblée nationale et interrogé nombre de parents, de femmes seules et d'enfants nés de dons désormais adultes. Ma première pensée est dédiée à toutes ces personnes dont le parcours n'a pas toujours été simplifié, qui n'ont pas toujours rencontré le regard bienveillant qu'elles attendaient de la société contemporaine, mais qui ont su surmonter les obstacles et dont le modèle nous inspire.

Écoutons l'écrivaine Maggie Nelson s'adressant à son enfant né grâce à une PMA : « Je veux que tu saches, tu as été considéré comme possible – jamais comme certain, mais toujours comme possible – non pas à un moment particulier, mais pendant plusieurs mois, même plusieurs années d'essais, d'attente, d'appels, quand – à travers un amour parfois sûr de lui, parfois fragilisé par la perplexité et le changement, mais toujours engagé à se comprendre plus profondément – deux êtres humains [… ] ont voulu profondément, obstinément, farouchement, que tu sois. »

Avançons sans crainte superflue pour l'intérêt supérieur de ces enfants. Oui, il est légitime de se poser la question du développement d'un enfant sans père. Mais non, nous ne pouvons pas prétendre que nous progressons en terrain inconnu. De nombreuses études existent. Des témoignages multiples de familles concernées enrichissent notre expérience. Tous plaident pour les avancées proposées dans le texte, tout en proposant les conditions d'une évaluation rigoureuse pour adapter ultérieurement nos règles, afin que l'épanouissement des enfants d'abord, mais aussi de leurs familles, progresse toujours davantage. Aucun texte ne pourra jamais assurer la perfection de toutes les familles dans notre pays. La poursuite des études est donc une nécessité, et plusieurs amendements proposés en commission ont pu apporter des garanties à cet égard.

Comme l'a rappelé Mme la ministre des solidarités et de la santé, le travail en commission spéciale, sous l'autorité de sa présidente, a quelque peu enrichi le texte. Mais il reste encore des interrogations, dont nous débattrons ici. L'usage des embryons, fruits d'un projet parental – ce terme de projet parental, présent dans la loi de 1994, mérite d'être de nouveau utilisé – , lorsque le père décède, doit être précisé. Des opinions divergentes ont été exprimées. Les uns craignent que l'implantation de l'embryon chez la mère devenue veuve ne prive l'enfant de chances d'épanouissement. D'autres, dont je suis, ont confiance dans la capacité qu'aura la mère, après la phase de deuil, à effectuer un choix responsable.

Enfin sortis d'une société patriarcale, continuons à reconnaître aux femmes la légitimité et le droit au choix optimal pour leur enfant et pour elles-mêmes. Sachons aussi que l'enfant, différent en cela de l'adulte, s'adapte parfaitement et favorablement aux conditions offertes au cours de ses premiers mois de vie. Il considère cet environnement initial comme la situation normale de référence. Il s'y développe positivement, sans inquiétude ni regret. Sinon, devrions-nous accepter que cette femme recoure à un don extérieur et anonyme de gamètes plutôt qu'à l'embryon conçu avec son mari, dans leur projet parental commun ? Devrait-elle souhaiter que cet embryon soit accueilli dans une autre famille et que dix-huit ans plus tard, il vienne la voir ?

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