Intervention de Agnès Firmin Le Bodo

Séance en hémicycle du mardi 24 septembre 2019 à 15h00
Bioéthique — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAgnès Firmin Le Bodo, présidente de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique :

Le premier article du texte, qui a cristallisé le plus de divergences, concerne l'accès des femmes seules et des couples de femmes à l'assistance médicale à la procréation.

Procréer, donner la vie à un enfant, c'est un désir instinctif, arguent certains. Peut-être. Je me garderai bien, cependant, de parler là de désir naturel, sous-entendant que les femmes et les hommes qui ne souhaitent pas accueillir d'enfant ne sont pas des êtres naturels. Mais si l'on admet qu'enfanter est un désir, alors, doit-il être comblé ? Doit-il être comblé à tout prix, ou devons-nous accepter la frustration et la douleur, bien que la science permette de passer outre ? Les aspirations individuelles, légitimes, restent des aspirations personnelles ou exprimées par un couple. Le projet de loi nous fait passer d'aspirations personnelles ou de couple à un cadre législatif, par nature collectif. Ces aspirations personnelles mettent en cause la société ; elles sont le résultat d'une rencontre, voire d'une tension, entre aspirations individuelles et société.

Pour autant, le désir des parents ou potentiels parents ne doit pas supplanter celui de l'enfant à naître. Il est à considérer, à prendre en compte, à évaluer, à accompagner, mais à aucun moment l'enfant ne doit être oublié.

Placer l'enfant au centre du débat fut le principal souci de tous nos échanges. Aujourd'hui, les études, les entretiens nous permettent – me permettent – de conclure que la PMA doit être proposée aux femmes seules et aux couples de femmes, parce que les enfants issus de ce désir et venus au monde grâce à la science sont heureux. Désirés et portés avec amour, ils évoluent comme les autres enfants, ni plus, ni moins.

Être parent est difficile, enthousiasmant, merveilleux, quelles que soient les conditions de la naissance. Accompagner un enfant, c'est le travail d'une vie : il ne peut être motivé que par l'amour, et cet amour ne dépend pas du mode de conception. Les enfants ainsi accueillis puiseront dans la diversité de leur entourage les matériaux psychiques, symboliques, pour se construire suivant un modèle certes différent, mais nullement inférieur. C'est pourquoi science et éthique s'unissent dans cette ouverture de l'AMP aux femmes seules ou aux couples de femmes.

Néanmoins, cette priorité constante donnée à l'intérêt de l'enfant m'empêche de souscrire à la légalisation de la PMA post mortem. En effet, il ne me paraît pas souhaitable de faire porter sur un enfant le poids du projet parental d'un défunt. Ce sujet ne figure pas dans le projet de loi, mais puisqu'il a été évoqué, je me permets de donner mon avis.

Nos débats ont également porté sur la filiation. En la matière, la commission spéciale a pleinement joué son rôle : à la lumière des auditions, les positions de nombre d'entre nous ont évolué pour aboutir à un texte qui fait de l'expression de la volonté de parentalité le point central de la filiation, tout en s'abstenant de stigmatiser un mode de procréation. La filiation, jusqu'à présent fondée sur le mimétisme biologique, reposera de manière accrue voire exclusive sur la volonté ; c'est en tout cas une perspective que j'approuve. Il faut saluer, là encore, un travail de coconstruction entre le Gouvernement, qui a eu accès à nos auditions, et la rapporteure.

La levée de l'anonymat du don de gamètes a, elle aussi, soulevé de nombreuses questions. Même si les travaux des psychologues nous ont montré et démontré que le secret au sein des familles était délétère pour les enfants, la transparence absolue et inconditionnelle pose des problèmes. Faut-il donc concevoir cette transparence comme une possibilité, une nécessité, une injonction ? Le projet de loi autorise en effet les personnes conçues dans le cadre de l'AMP avec un tiers donneur à accéder d'une part aux données non identifiantes, d'autre part à l'identité du donneur de gamètes ou d'embryon. Il subordonne le don au consentement du donneur à ce que l'enfant puisse, à sa majorité, avoir accès à ces informations.

Nous voyons bien que dans de nombreux domaines touchant à la procréation, l'information doit être renforcée. Ainsi des risques que comportent les grossesses tardives : il ne s'agit pas de stigmatiser les femmes, qui retardent de plus en plus leur première grossesse, mais de leur permettre de mener à bien en connaissance de cause leurs projets professionnels, personnels ou parentaux. C'est l'objectif de l'amendement coconstruit par les membres de la commission, qui, s'il est adopté, améliorera l'information en matière tant de grossesses tardives que d'infertilité – notamment les facteurs, par exemple environnementaux, de celle-ci.

Nous avons également eu de nombreuses discussions concernant le DPI – diagnostic préimplantatoire – , qui ont permis aux membres de la commission d'entendre le point de vue de scientifiques et de familles. Le texte ne prévoit pas la légalisation du DPI, ce dont je me félicite. Pour autant, là encore, nous nous efforçons de suivre un chemin de crête entre la possibilité scientifique d'éviter la naissance d'enfants porteurs d'un handicap, et la raison humaine qui nous fait accueillir la différence et par conséquent refuser de choisir qui aurait le droit de naître.

En matière de recherche, ce projet de loi était attendu par les professionnels : l'une de ses dispositions vise à différencier les régimes juridiques relatifs à la recherche sur les embryons et à la recherche sur les cellules souches, voies dans lesquelles notre pays a choisi sans équivoque de s'engager.

S'agissant du don d'organes, ce texte apporte une réponse à ceux de nos concitoyens dont la survie dépend de la solidarité, en allégeant les conditions édictées par le code de la santé publique concernant l'articulation entre le prélèvement sur un donneur vivant et la transplantation.

Ce projet de loi importe tout autant par ce qu'il contient que par ce qu'il ne contient pas : la gestation pour autrui, GPA, ou encore la ROPA – réception des ovocytes de la partenaire. Le corps de la femme ne peut être utilisé, d'aucuns diront aliéné, sans franchissement d'une barrière ; l'éthique française le réprouve, à juste titre. Je me félicite donc que le texte reste ferme sur ces deux points.

Le travail fécond de la commission nous permet d'aborder l'examen de ce texte en séance publique avec beaucoup d'informations, de données, qui éclaireront notre jugement. La genèse de ce texte a été marquée par la mobilisation citoyenne durant les états généraux de la bioéthique, une étude du Conseil d'État, le rapport de la mission d'information instituée par la conférence des présidents, les rapports de l'OPECST et ceux de l'Agence de la biomédecine.

Loin d'être faciles, nos décisions devront être guidées par des données concrètes, chiffrées, rationnelles, mais aussi par des éléments subjectifs : nos rencontres, notre vécu. Lorsqu'il s'agit de légiférer, l'intime conviction est un écueil si l'on s'y fie aveuglément, une force si elle s'appuie sur l'éthique. C'est l'avantage de notre belle et précieuse démocratie représentative. Elle nous encourage en ce sens : sachons nous montrer dignes d'elle ! Je nous souhaite un débat constructif, serein et apaisé.

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