Intervention de Guillaume Chiche

Séance en hémicycle du mardi 24 septembre 2019 à 15h00
Bioéthique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Chiche :

Je tiens également à saluer l'attitude de l'ensemble des membres de la commission spéciale ainsi que celle de l'exécutif pour l'esprit de modestie qui a présidé à nos échanges. Il est remarquable qu'aucun d'entre nous n'ait eu la prétention de détenir l'absolue vérité quant à des sujets si complexes.

Les désaccords n'en auront pas été effacés pour autant et aucun consensus, par construction impossible, n'aura été dégagé, mais chacune des orientations exprimées aura été respectée, ce qui atteste de la grande valeur de notre démocratie parlementaire.

Ce projet de loi prévoit d'encadrer des pratiques tenant aux greffes d'organes, à l'intelligence artificielle, à la recherche sur les cellules souche, au sort des embryons ne faisant plus l'objet d'un projet parental, autant de sujet qui auraient pu nous conduire à l'inaction, au sursis à statuer. Mais je crois que cette attitude aurait été contraire au mandat qui nous a été confié par l'ensemble de nos concitoyens.

Chers collègues, nous allons débuter l'examen de ce projet de loi avec une mesure simple. Elle consiste à donner à toutes les femmes le même droit : celui d'accéder, dans les mêmes conditions, à une pratique médicale qui interroge aussi bien l'intime que les humanités.

Cette pratique, c'est l'aide médicale à la procréation. Aujourd'hui, des femmes en couple hétérosexuel y ont recours : c'est le cas depuis plus de trente-cinq ans et 24 000 enfants naissent ainsi chaque année dans notre pays. Mais certaines femmes, parce que célibataires ou en couple lesbien, n'ont pas le droit de recourir à cette pratique médicale.

Je tiens à vous dire, chers collègues, que c'est pour ces femmes une véritable souffrance. Comme toutes celles qui le souhaitent, elles n'aspirent qu'à une chose : transmettre de l'amour à leurs enfants. Mais elles en sont privées en raison de leur statut matrimonial ou de leur orientation sexuelle.

Elles en souffrent tellement qu'elles prennent des risques – pas par caprice, mais en raison de cette envie viscérale de fonder une famille. Des risques financiers, car elles partent à l'étranger en se surendettant – les multiples allers-retours vers l'Espagne coûtent cher. Des risques pour leur santé et pour celles de leurs futurs enfants, car il est difficile, après une PMA effectuée aux Pays-Bas ou au Portugal, d'accéder aux soins de suite. Des risques juridiques enfin, qui pèsent aussi sur leurs enfants, du fait de la difficulté à se faire reconnaître pleinement comme mères d'enfants nés après un recours à une PMA à l'étranger. Ignorer tout cela, c'est les laisser dans une insécurité juridique, sanitaire et financière absolument inacceptable.

Et je mentionnerai également les femmes qui, sur le territoire national, recourent à des PMA dites artisanales, c'est-à-dire qu'elles achètent du sperme et se l'inséminent elles-mêmes, sans aucun encadrement médical. Car soyons clairs : une femme qui le veut parviendra à avoir un enfant, quitte à prendre tous les risques, habitée par ce désir de transmission d'amour.

Ces situations, nous ne pouvons pas y répondre par le maintien de risques insupportables. Nous devons au contraire apporter à ces femmes la même sécurité et leur témoigner la même considération qu'à toutes les autres femmes. Nous devons reconnaître leurs familles sans aucune hiérarchie, et leur donner les mêmes droits.

En prononçant ces mots, je ne peux m'empêcher d'avoir une pensée sincère pour toutes les personnes que j'ai rencontrées lors de nos auditions. Elles nous ont raconté leur parcours avec émotion, car elles évoquaient l'intime et souvent, aussi, l'adversité.

Je voudrais ici vous parler de Céline, qui est en couple depuis plusieurs années avec une autre femme, Alice. Elles sont mariées, comme la loi le leur permet. Elles ressentent le profond désir d'être mères d'un enfant. En 2017, elles entament un parcours de PMA à l'étranger durant lequel elles ne trouvent que peu d'informations pour les guider. Leur fille naît le 22 juillet 2018. Céline l'a portée : elle est reconnue comme sa mère. Alice n'a aucun droit légal. Les deux femmes déposent donc une demande d'adoption plénière pour laquelle elles attendent toujours une réponse.

Sur l'acte de naissance de cette enfant, il est inscrit : Mère, Céline, Père, inconnu. Si Céline venait à décéder, Alice n'aurait aucun droit sur leur fille. Elles n'ont aucun filet de sécurité. Il s'agit pourtant d'un acte d'amour, d'un projet parental conjoint.

L'histoire de Lucie est parallèle : une vie pour elle, une ambition professionnelle assumée au service d'une brillante carrière. Une volonté farouche d'émancipation et d'exister en tant que femme et mère, uniquement. Femme célibataire, elle souhaite avoir un enfant. Elle a pris soin de réunir toutes les conditions favorables à l'accueil de celui-ci et son entourage se réjouit de ce projet. Seulement voilà, la loi ne le lui permet pas encore.

Devrions-nous la priver d'accès à cette pratique ? Devrions-nous la laisser renoncer à l'amour maternel à cause d'un statut matrimonial qu'elle subit ? Devrions-nous l'abandonner à une situation dont on sort rarement indemne ? Quelle explosion de joie, pourtant, quand on a pu enfin surmonter l'obstacle – une épreuve qui renforcera, nécessairement, les liens d'amour entretenus avec les enfants !

Chers collègues, ces situations ne diffèrent pas en fonction de l'orientation sexuelle ou de la composition du foyer. Elles sont intrinsèquement liées à ce que nous sommes : des êtres humains. Ces histoires de famille, ces situations quotidiennes qui touchent à l'intime sont la raison pour laquelle je soutiens évidemment l'extension de la PMA à toutes les femmes, dans un texte pleinement équilibré.

Chères toutes, que vous soyez hétérosexuelles, lesbiennes, célibataires ou en couple : avec ce projet de loi, la majorité prend l'engagement d'ouvrir le champ des possibles à votre projet parental, à vos choix personnels et à votre amour réciproque.

Je ne serai pas plus long. Je dirai simplement que nous aurons tout à gagner à aborder au cours d'un débat serein ces sujets dont certains sont souvent éruptifs. Faisons ainsi honneur à nos idées, à nos orientations respectives, à notre institution et à la qualité des débats parlementaires.

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