Intervention de Sylvia Pinel

Séance en hémicycle du mardi 24 septembre 2019 à 15h00
Bioéthique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvia Pinel :

Aujourd'hui, ce n'est pas seulement en tant que députée que j'aborde l'examen de ce texte, mais aussi avec ma sensibilité de juriste, de citoyenne et surtout de femme.

Ces deux semaines d'auditions ont été riches et instructives, madame la présidente de la commission spéciale. Nous avons pu rencontrer des parents, des enfants, des collectifs qui ont partagé des témoignages poignants, ainsi que de nombreux chercheurs, juristes, scientifiques. Ils nous ont permis de prendre du recul, d'affiner nos positions et même parfois d'évoluer sur certains points.

Je mesure l'ampleur de la tâche qui est devant nous : ce texte aura une incidence dans la vie de chaque parent et de chaque enfant. Revisiter nos lois bioéthiques, c'est adapter nos textes aux évolutions de notre temps, mais aussi et toujours protéger l'humain et sa dignité des travers de la marchandisation ou de l'instrumentalisation.

Je salue tout d'abord la véritable avancée de ce projet de loi : l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation à toutes les femmes, qu'elles soient seules ou en couple. Je me réjouis de cette orientation, fondamentale pour assurer enfin l'égalité d'accès des femmes aux techniques médicales de procréation, quel que soit leur projet parental. C'est un combat que je mène avec conviction depuis plusieurs années. En effet, en raison de notre droit actuel, de nombreuses personnes sont contraintes de partir à l'étranger pour recourir à une AMP, ce qui est une démarche coûteuse et éprouvante.

Je salue également la levée de l'anonymat du donneur, au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant et de son droit à connaître ses origines. Les auditions de notre commission m'ont rassurée sur les craintes d'une pénurie de gamètes et éclairée sur la nécessité pour l'enfant de pouvoir reconstituer son histoire.

Néanmoins, sur certains points, ce texte ne va pas suffisamment loin, ou peut manquer de cohérence.

Concernant tout d'abord la filiation à l'égard des couples de femmes, j'étais, vous le savez, très opposée à la déclaration anticipée de volonté en raison de la stigmatisation que ce régime créait. Le nouveau mode d'établissement de la filiation proposé par le Gouvernement est certes moins discriminant, mais toujours insuffisant pour répondre à l'exigence d'égalité. En effet, la reconnaissance conjointe anticipée maintient les couples de femmes dans un régime dérogatoire au droit commun, bien loin de la reconnaissance faite par le père dans les couples non mariés ou de la présomption de paternité pour les couples mariés.

Quid également de la possession d'état pour les couples de femmes qui ont déjà eu recours à l'AMP ?

Je soutiens donc l'extension du droit commun de la filiation aux couples de femmes. Mais je sais aussi, madame la garde des sceaux, que cela ne pourra pas se faire sans une refonte du droit des familles et de notre code civil, qui est devenu inadapté. Aussi attendons-nous du Gouvernement qu'il enclenche l'indispensable réforme qui découle de l'ouverture de l'AMP à toutes les femmes.

Mesdames les ministres, ne perdons pas de vue notre mission : notre droit doit être le même pour tous, le même pour tous les projets parentaux. Façonnons la société que nous voulons pour l'avenir, une société où il existe des familles diverses, plurielles mais toutes enracinées dans l'amour d'un enfant.

Par ailleurs, le refus persistant du Gouvernement d'accepter le transfert des embryons suite au décès d'un des membres du couple est, selon nous, une incohérence. Comment peut-on expliquer à une femme qui a un embryon congelé conçu avec ses gamètes et celles de son défunt partenaire qu'il lui faudra recourir à un tiers donneur ? Il ne s'agit pas ici d'encourager les femmes en parcours d'AMP dont le conjoint vient de décéder à procréer, mais d'encadrer une situation qui, en tout état de cause, comme cela a été rappelé en commission, concernera très peu de femmes.

Certaines affaires nous rappellent à quel point cette interdiction peut être vécue comme une injustice. C'est pourquoi, avec plusieurs membres de notre groupe, nous défendrons l'autorisation du transfert de l'embryon dans les cas où le membre du couple décédé avait donné son consentement pour recourir à l'AMP de son vivant, et sous réserve qu'un temps de deuil et de réflexion soit observé.

D'autre part, nous considérons que, pour la bonne application de ce projet de loi, il est nécessaire de mieux informer nos concitoyens sur la question de l'infertilité. Certes, les lois bioéthiques ne sont pas conçues pour traiter de la fertilité. Néanmoins, madame la ministre de la santé, il est important que vous entendiez cette préoccupation, ou à tout le moins qu'un autre texte traduise cette nécessité dans la loi. Je salue, à ce titre, la volonté de la présidente de la commission spéciale, qui a proposé un plan national de lutte contre l'infertilité auprès du grand public et en particulier des plus jeunes. Mais il faudra aller plus loin : c'est tout l'objet de l'amendement déposé par mon collègue Philippe Vigier.

Nous devons également veiller à garantir une égalité d'accès à l'AMP sur l'intégralité du territoire, grâce à une valorisation budgétaire des centres d'AMP et une plus grande transparence des pratiques entre les différents centres.

S'agissant de la recherche sur l'embryon, des cellules souches ou encore des tests génétiques, le texte doit ménager un juste équilibre entre l'impératif de protection des droits fondamentaux, à savoir le principe de dignité et l'indisponibilité du corps humain, et la prise en considération des avancées scientifiques. C'est notamment le cas pour un sujet complexe comme le diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies. Pour ma part, je considère qu'il serait opportun de l'autoriser en le limitant à certains cas, notamment en fonction de l'âge de la femme et du nombre d'échecs passés, sous réserve d'une déclaration à l'Agence de la biomédecine. Cela permettrait d'éviter aux couples ou aux femmes seules ayant recours à l'AMP des fausses couches et des parcours d'insémination inutilement longs et éprouvants, et cela d'autant plus que l'Agence de la biomédecine ainsi que le ministère de la santé disposent d'outils de contrôles suffisants pour encadrer cette pratique tout en respectant nos principes éthiques.

Par ailleurs, les débats en commission sur les personnes intersexes ont révélé la nécessité de prendre en compte la situation des enfants concernés, mais aussi de leurs parents. Si l'intérêt d'une mission d'information sur ce sujet est réel à mon sens, il serait judicieux d'inscrire dans le texte la nécessité de recueillir, dans la mesure du possible, le consentement de l'enfant avant une opération visant à modifier ses caractéristiques sexuelles, sauf urgence médicale immédiate.

Cette loi ne sera appliquée de façon efficace que si les professionnels de santé et de la biologie sont formés aux enjeux de la bioéthique, grâce à des modules de formation intégrés aux études de santé et de biologie. Si ce volet relève, je le sais bien, du domaine du réglementaire, il serait pertinent, madame la ministre de l'enseignement supérieur, d'en rappeler le principe dans le projet de loi. Nous aimerions entendre des engagements sur ce point.

D'autre part, lors de nos débats en commission, nous avons vu les limites de la législation actuelle sur l'interdiction de la vente et de l'achat de gamètes sur internet, comme celle de la lutte contre le trafic d'organes, qui se développe. Nous devons renforcer ce volet répressif, notamment par une meilleure récolte d'information, afin de protéger la gratuité du don et le principe d'indisponibilité du corps humain.

Enfin, concernant la gouvernance, je salue l'avancée obtenue en commission : une délégation parlementaire sera créée au sein de nos deux chambres afin d'assurer l'application de nos lois bioéthiques. Mais la qualité et l'exhaustivité de cette évaluation dépendront des pouvoirs confiés à ses membres.

Il nous appartient aujourd'hui de réviser nos lois de bioéthique avec exigence et vigilance, en restant fidèles à nos principes juridiques et éthiques fondamentaux. Notre groupe aborde donc ce texte avec gravité et espère des débats sereins, à même de l'améliorer. Ce texte, plus qu'aucun autre, mobilise en chacun de nous ce que nous avons de plus intime. Aussi chacun des députés du groupe Libertés et territoires se prononcera-t-il librement. En ce qui me concerne, j'accueille ce texte plutôt favorablement.

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