Intervention de Marie-Noëlle Battistel

Séance en hémicycle du mardi 24 septembre 2019 à 21h30
Bioéthique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Noëlle Battistel :

Ce projet de loi relatif à la bioéthique n'est pas un texte législatif comme un autre. Nous savons le sujet sensible et nos perceptions bien différentes. Nous savons le texte à la fois attendu et craint. Nous savons que les convictions philosophiques, sociétales, religieuses ou morales de chacun, du législateur comme des citoyens, pèsent dans ce qui est à la fois un débat de société et un questionnement profondément intime.

Plus encore que d'habitude, il nous est demandé, chers collègues, de nous engager sur le chemin étroit et difficile qui conduit à lier une société en évolution permanente au droit qui la régit. À quel point faut-il que les évolutions scientifiques et les pratiques sociales dictent le droit ? Dans quelle mesure le droit doit-il régir, encadrer ou freiner une société en mouvement ? Voilà les questions auxquelles le législateur essaie de répondre depuis une trentaine d'années et sur lesquelles il nous est demandé de nous prononcer à nouveau aujourd'hui.

Depuis 1994, les lois d'éthique ou de bioéthique se sont succédé à un rythme régulier. Si les premiers textes étaient d'abord et avant tout des lois d'interdiction, celui qui est aujourd'hui soumis à la représentation nationale me semble animé par un esprit d'ouverture, ce dont il faut se réjouir. Le projet de loi comporte en effet un certain nombre d'autorisations nouvelles, qui peuvent constituer autant de droits nouveaux pour l'ensemble de nos concitoyens.

Six ans après la loi de 2013 dite du mariage pour tous, le présent texte prend en considération les évolutions récentes, qu'elles soient médicales, scientifiques, technologiques ou sociétales, et propose, au moins en partie, des réponses aux questions qu'elles soulèvent. Il cherche à ouvrir de nouveaux horizons et à encadrer plutôt qu'à fermer. Parmi ces avancées, il convient de citer tout particulièrement l'ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires.

En supprimant le critère médical de l'infertilité pour pouvoir recourir à la PMA, l'article 1er du projet de loi entend répondre à une aspiration sociétale forte. En effet, selon un récent sondage de l'Institut français d'opinion publique – IFOP – , six Français sur dix sont favorables à une telle extension.

Cela répond également à une détresse, celle des femmes contraintes d'aller à l'étranger, en Belgique, en Espagne ou au Danemark, pour y recourir. Cela tout à la fois mettra un terme à l'hypocrisie entourant une situation connue de tous et permettra de sortir nombre d'enfants de la clandestinité et de leur octroyer les droits qui sont les leurs, à savoir les mêmes que ceux dont bénéficient les autres enfants.

D'ailleurs, les travaux et auditions menés par la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi ont mis en lumière le fait qu'il n'existe aucune étude ni aucun argument objectif permettant d'affirmer que ces enfants seraient moins bien élevés ou auraient moins de chances de réussite ou d'épanouissement que les autres.

J'invite ceux qui auraient des inquiétudes concernant l'avenir de ces enfants à porter davantage leur attention et leurs forces sur la lutte contre le déterminisme social, qui, malheureusement, sclérose toujours une société profondément inégalitaire et dicte le parcours des individus, et cela quelle que soit l'orientation sexuelle de leurs parents.

En prévoyant que la prise en charge par la sécurité sociale des tentatives de PMA soit identique pour toutes celles qui y recourent, le projet de loi vise à éviter toute forme de précarisation ou d'inégalité qui pourrait s'opposer à la volonté de chacun de mener un projet parental. Ce refus des inégalités est louable et nous le partageons sans réserve. C'est pourquoi nous aurions aimé qu'il inspire l'ensemble du texte du Gouvernement, et non certaines de ses dispositions seulement.

En instaurant un nouveau mode d'établissement de la filiation appelé déclaration anticipée de volonté, exclusivement applicable aux enfants nés d'une PMA réalisée au sein d'un couple de femmes, l'article 4 du projet de loi venait contredire cet esprit d'ouverture et portait en lui-même les germes d'une double discrimination. Une première était établie entre les parents : rien ne justifiait en effet que le mode d'établissement de la filiation variât en fonction de leur sexe. Une seconde était établie entre les enfants : ceux nés d'une PMA exogène utilisée par un couple de femmes auraient vu la DVA inscrite sur leur acte de naissance alors que cela n'aurait pas été le cas de ceux nés d'une PMA utilisée par un couple hétérosexuel.

Une telle solution était insoutenable parce que discriminatoire. Ce n'est que par suite des doutes exprimés durant les travaux menés par la commission spéciale que le Gouvernement a décidé de revenir sur cette injustice, en proposant de réintégrer les dispositions relatives à la filiation des enfants nés d'un couple de femmes dans le titre VII du code civil.

Cependant, je me vois contrainte de dire que cette solution n'est toujours pas acceptable en l'état puisqu'un régime dérogatoire demeure pour les couples de femmes. En effet, celles-ci devront établir le lien de filiation en recourant à une reconnaissance conjointe et anticipée de l'enfant devant notaire. En d'autres termes, alors que le projet de loi initial prévoyait une déclaration anticipée de volonté, l'amendement gouvernemental instaure une déclaration commune anticipée de volonté, ce qui n'est pas moins discriminatoire.

Pourquoi, dans un cas comme dans l'autre, le Gouvernement privilégie-t-il une solution discriminatoire et stigmatisante à l'encontre des couples de femmes ? C'est en totale contradiction avec la volonté de leur ouvrir le droit de recourir à la PMA, et c'est en totale contradiction avec l'esprit de nos travaux et avec l'évolution d'une société qui aspire à l'égalité. C'est un peu comme si vous nous demandiez de créer de nouveaux droits pour des citoyens et, en même temps, de les stigmatiser pour cela. Quand on donne de nouveaux droits, il faut l'assumer et défendre ces droits plutôt que de donner des gages à ceux qui les combattent.

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