Intervention de Dr Anne Choquet

Réunion du mercredi 18 septembre 2019 à 9h40
Commission des affaires étrangères

Dr Anne Choquet, enseignante-chercheuse en droit à la Brest Business School :

L'Antarctique est un continent protégé, mais de plus en plus convoité. Vous connaissez certainement cette image classique de l'Antarctique organisée en camembert. Sept États, dont la France, ont émis des prétentions territoriales pour affirmer leur volonté de s'en occuper. Ces revendications ont été faites sur la base de découvertes de zones de l'Antarctique, avec un prolongement du territoire jusqu'au pôle. La particularité de ces prétentions est que bien souvent elles se chevauchent alors qu'une partie du continent n'a été revendiquée par aucun État. À titre d'exemple, une partie du territoire est revendiquée par trois États.

Revenons un peu en arrière. L'année géophysique internationale, en 1957-1958, a été une année particulièrement fertile en expéditions scientifiques, le principe étant de dépasser toutes les questions relatives à la souveraineté des États pour pouvoir mener des activités scientifiques en Antarctique où que l'on soit, sans se préoccuper du territoire. Cela a bien marché. C'est à la fin de cette année géophysique internationale que les États ont choisi de s'intéresser véritablement à une question simple : à qui appartient l'Antarctique ? Cela a abouti au traité sur l'Antarctique en 1959. Ce traité repose sur un principe fondamental : le gel des prétentions territoriales qui permet aujourd'hui de continuer une coopération entre États. Il s'agit en fait d'un accord sur un non-accord. Les États qui ont émis des prétentions territoriales peuvent les conserver et considérer que ces territoires leur appartiennent, même s'ils n'opposent pas aux autres États une frontière. Les autres États vont pouvoir accepter ces prétentions territoriales sans en tirer de conclusions pratiques. Par exemple : l'Australie reconnaît les prétentions territoriales de la France et vice-versa. Il y a également des États qui refusent toutes prétentions territoriales, soit qu'ils aient eux-mêmes des prétentions soit qu'ils souhaitent faire de l'Antarctique un espace international.

Depuis 1959, de plus en plus d'États se sont joints au groupe des États parties au traité sur l'Antarctique. Actuellement, nous en sommes à cinquante-quatre États. Tous n'ont pas le même statut. Certains ont un droit de vote, on les appelle « parties consultatives », et d'autres ne l'ont pas, mais participent néanmoins à toutes les négociations à titre consultatif. La fréquence des réunions est annuelle. Sur le fondement du traité sur l'Antarctique, et sur la base des préoccupations des États, d'autres traités formant le « système du traité sur l'Antarctique » ont été conclus. Ces traités ont produit un droit dérivé que l'on appelle « mesures », « décisions », ou « recommandations » suivant leur statut juridique. Le système du traité sur l'Antarctique repose sur trois piliers : maintien de la paix, recherche scientifique, protection de l'environnement. Les différentes décisions qui sont adoptées par les États mettent en avant ces différents piliers.

En 1991, le traité sur l'Antarctique a été complété par le protocole de Madrid, qui fait de l'Antarctique une réserve naturelle consacrée à la paix et à la science. Cela pose comme principe – qui existait déjà en 1959 – que l'Antarctique est un continent réservé aux seules activités pacifiques. Cela ne signifie pas que nous n'aurons pas d'activités menées par des militaires, mais c'est toujours à des fins pacifiques. Il y a également, dans cette réserve naturelle consacrée à la paix et à la science, une réponse à une convention qui avait été adoptée en 1988 qui donnait la possibilité de mener des activités relatives aux ressources minérales. En 1991, les États vont avoir une position totalement différente de celle qu'ils avaient adoptée en 1988. Ils vont choisir d'interdire les activités relatives aux ressources minérales. Seules des activités scientifiques pourront être envisagées à cette fin. Néanmoins, à la fin des négociations, ils ont choisi d'établir une porte de sortie et ont dit : « Peut-être qu'un jour, nous aurons besoin d'aller en Antarctique rechercher les ressources minérales. Nous allons donc établir cette porte de sortie, mais les conditions seront très strictes pour lever cette interdiction. »

Actuellement, le protocole et le traité sur l'Antarctique n'ont pas un terme déterminé, c'est-à-dire une vocation à durer dans le temps. Le protocole ouvre seulement une porte de secours ou de sortie. Si vous voulez modifier le traité, il y a deux périodes. Durant la première période, soit cinquante ans après l'entrée en vigueur du protocole, une décision unanime des parties consultatives est nécessaire. Actuellement, nous en avons vingt-neuf. Après 2048, nous pourrons envisager une levée des prétentions territoriales. Nous n'aurons plus besoin de l'unanimité, mais seulement d'une majorité. Néanmoins, la majorité est très stricte, puisqu'il faut une majorité des États parties l'année de la discussion. Il faudra également l'unanimité des parties consultatives qui l'étaient en 1991 – elles étaient vingt-six – et un régime juridique pour établir ces activités-là.

Les activités relatives aux ressources minérales sont interdites, mais il y a d'autres activités, notamment la recherche scientifique, qui prospère. L'Antarctique n'est pas réservé aux seules activités scientifiques. Le protocole en fait seulement une activité prioritaire. En effet, s'il y a un conflit dans les demandes d'activités, la priorité est donnée à la recherche scientifique.

Il y a également des activités commerciales. La première activité commerciale, en tout cas celle qui pose le plus de problèmes actuellement, c'est le tourisme. Il y a de plus en plus de touristes en Antarctique, et il y a également une diversification des activités touristiques. Les États, actuellement, cherchent à compléter les textes pour pallier les conséquences de ce développement. Des règles s'appliquent déjà à l'ensemble des activités scientifiques et touristiques, avec des obligations de déclaration ou d'autorisation préalable, avec – c'est une caractéristique forte du traité – une évaluation d'impact sur l'environnement systématique. Toute activité, quel que soit le thème et quelle que soit son importance, fait l'objet d'une évaluation d'impact sur l'environnement. Il y a également des zones protégées de toute activité avec un système de permis. Les contraintes nouvelles ont amené les États à ouvrir des discussions en vue d'adopter de nouvelles réglementations sur l'activité touristique puisqu'il y a des risques environnementaux et des risques importants pour la sécurité humaine. Les États complètent le traité sur l'Antarctique, le protocole de Madrid, en prenant petit à petit des mesures complémentaires sur des obligations d'assurance, par exemple, ou des obligations de rapport post visite. Petit à petit, un cadre réglementaire se forme autour du tourisme.

Le traité sur l'Antarctique s'est construit au fil des années et, petit à petit, a été renforcé via des traités internationaux ou des mesures complémentaires adoptées par les parties consultatives. Il n'empêche que, comme tout traité international, il ne faut pas rester figé. Il est important de le faire évoluer et de répondre véritablement aux risques et aux difficultés que connaît cette partie du monde.

En définitive, un cadre réglementaire existe. Cinquante-quatre États sont parties au traité sur l'Antarctique. Même si la majorité des activités sont menées par des entreprises qui relèvent d'un État partie au protocole, certaines activités sont menées à partir d'États tiers. Se pose donc la question de la mise en oeuvre effective des réglementations. Il y a également des activités qui n'ont pas été autorisées, qui n'ont pas été déclarées dans les pays. Quid du contrôle quand nous sommes loin des États ? Ne pourrait-on pas envisager des observateurs à bord des navires de tourisme pour essayer de vérifier la mise en oeuvre des règles ? Se pose la question de la gestion des activités innovantes. Il n'est pas toujours facile de prendre les décisions en droit. La particularité du traité sur l'Antarctique est que l'ensemble des décisions sont prises par consensus. Il faut, à chaque fois, avoir l'accord des vingt-neuf parties consultatives. C'est long. Les États négocient pendant de longues années avant de prendre des décisions. Je souhaite évoquer la difficulté également de gérer des activités que j'ai qualifiées de « mixtes ». Des activités commerciales ou de tourisme cherchent plus de facilité, plus de possibilités, et, pour cela, essayent de s'appuyer sur des activités scientifiques.

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