Intervention de Camille Escudé

Réunion du mercredi 18 septembre 2019 à 9h40
Commission des affaires étrangères

Camille Escudé, doctorante sur la construction de la gouvernance régionale de l'Arctique :

Tout d'abord, je n'ai pas dit que je n'avais pas d'inquiétude sur la gouvernance. Ce que je voulais dire, c'est que, jusqu'à présent, nous n'avions pas d'inquiétude pour la gouvernance et qu'effectivement, les choses changent. Je ne cherche pas non plus à minimiser absolument le rôle de la Russie. J'essaie juste de me mettre à leur place et de changer un peu les discours que l'on entend très souvent. L'Arctique russe est une zone qui a été démilitarisée dans l'après-guerre froide. Aujourd'hui, le réinvestissement que nous remarquons est chez eux. C'est une question de souveraineté. Ils ont des biens économiques et de sécurité à défendre. Par ailleurs, je rappelle que l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) fait également des exercices Cold Response en Norvège qui impliquent plusieurs milliers de soldats. Je ne veux pas diminuer la place de la Russie, mais, dans l'Arctique, elle est tout simplement chez elle. D'après moi, sa position est avant tout défensive. Elle n'a aucun intérêt à ce qu'il y ait un conflit en Arctique parce qu'elle y a des intérêts économiques énormes.

À propos du Canada qui revendique le plateau continental, je rappelle que c'est également le cas du Danemark, de la Russie, de tous les États souverains sauf les États-Unis qui n'ont pas ratifié la convention de Montego Bay. Actuellement, 95 % des ressources de l'Arctique se trouvent dans les zones économiques exclusives. Ces États qui cherchent à augmenter encore leur plateau continental au-delà de ces zones économiques exclusives, c'est finalement peu pour des questions de ressources. J'essaie juste de calmer le jeu sur ces questions.

Effectivement, nous ne pouvons pas nier qu'il y ait un réinvestissement politique global et qu'à cet égard, l'Union européenne est un peu hors-jeu. Cela se recoupe avec la question du traité qui a été posée plusieurs fois. Proposer un traité sur l'Arctique est une des raisons pour laquelle l'Union européenne est justement hors-jeu, et pour laquelle la France est hors-jeu. Michel Rocard avait proposé un traité pour l'Arctique. L'Union européenne a proposé un traité pour l'Arctique. Ce sont des choses qui ont été interprétées comme de grosses bourdes diplomatiques. En Arctique, il y a des États souverains qui estiment avoir des droits sur leur souveraineté et sur leurs ressources. Proposer un traité de sanctuarisation, c'est oublier qu'il y a des personnes qui vivent en Arctique, et notamment des peuples autochtones – il faut peut-être également sortir un peu des schémas simplifiés – qui sont nombreux, qui ne disparaissent pas nécessairement. Il y a un très fort taux de démographie chez les Inuits, par exemple. Ils sont peut-être assimilés, mais ils sont toujours là. Contrairement à ce que l'on entend, ces personnes-là bénéficient des activités liées aux terres rares, aux mines. Nous avons tendance à opposer la question environnementale et les populations autochtones, qui aujourd'hui sont dans un état de très grande fragilité. Au Groenland, il y a de très graves problèmes sociaux et économiques qui se posent. Justement, pour les Groenlandais, voir la naissance de mines, de terres rares, de minerais d'uranium, c'est une source de revenus. Certains indépendantistes groenlandais voient dans la présence de la Chine et des entreprises chinoises une chance de s'émanciper de la tutelle danoise. Est-ce que c'est se mettre sous une autre tutelle qui serait une tutelle économique chinoise ou celle des entreprises australiennes, etc., c'est une autre question. Mais ce sont des personnes qui verraient dans ces mines un moyen de subsistance et qui qualifient bien souvent Greenpeace et autres organisations non gouvernementales de puissances éco-colonialistes qui leur expliquent ce qu'il faut faire. Malheureusement, ce n'est pas toujours si simple.

Effectivement, Ségolène Royal se place dans la lignée de Michel Rocard en étant très ferme sur les questions environnementales, ce qui lui vaut de se faire écarter des forums. La France, d'une manière générale, la diplomatie française n'est pas du tout contente de ce « strapontin », comme le disait Michel Rocard, au Conseil de l'Arctique. La France est mise au même plan que toutes les autres puissances observatrices, et elle est juste observatrice. Je rejoins complètement mes collègues, le seul moyen d'agir, c'est sur la question scientifique, et là nous manquons de moyens. Moi, je suis chercheuse en sciences sociales, et les moyens dans ce domaine de la recherche y sont encore plus réduits. Ségolène Royal, quand elle intervient dans les réunions autour du Conseil de l'Arctique, les réunions arctiques, les grands forums, etc., elle le fait surtout par la voix de scientifiques qui sont envoyés dans les groupes de travail du Conseil, qui y contribuent et dont le travail est apprécié. Quand je vois la Suisse ou d'autres pays qui mettent des moyens importants sur cette question, nous ne sommes pas tous au même niveau.

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