Intervention de Jean-Christophe Dumont

Réunion du mardi 17 septembre 2019 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales à l'OCDE :

Je vais également revenir sur la première question qui me semble fondamentale : celle de la raison pour laquelle la question migratoire est si sensible dans l'opinion publique. C'est un sujet que nous avons beaucoup étudié à l'OCDE et que nous continuons à étudier.

Il y a une multitude de facteurs. Un premier élément touche au niveau de connaissance des phénomènes migratoires. Lorsque nous interrogeons les personnes sur le pourcentage d'immigrés qu'elles pensent qu'il y a en France, la réponse moyenne est de 27 %. La réalité est qu'il y en a 12 %. C'est donc un décalage très fort entre la perception du phénomène migratoire et sa réalité. L'enquête Eurobaromètre de l'an dernier montrait que 70 % des Européens considéraient être mal informés sur l'immigration. Il y a une corrélation directe entre le ressenti de la qualité de l'information dont ils disposent et l'erreur qu'ils commettent dans ce pourcentage. En Suède, seulement 10 % ou 15 % des personnes se sentaient mal informées et en moyenne, elles tombaient pile sur le bon chiffre quant à la présence d'immigrés.

L'amalgame entre migrants économiques et déboutés du droit d'asile est non seulement fallacieux, mais a également un impact potentiel sur des débats publics extrêmement négatifs. Il faut savoir de quoi nous parlons à tout moment.

Second sujet sensible pour l'opinion publique, l'impact des migrations. Les études économiques et démographiques montrent très clairement que leur impact économique est relativement modeste, en le regardant par habitant, sur le marché du travail, en termes économiques, etc., et qu'il est plutôt positif à long terme. Il n'y a pas de doute là-dessus. Plusieurs études dans des contextes différents, des pays différents, des moments différents convergent vers ce résultat. Le problème est que ces effets agrégés ne correspondent pas à la réalité locale. Il peut tout à fait y avoir un effet agrégé positif sur une économie dans son ensemble, mais pas localement, là où les immigrés sont concentrés, ou vis-à-vis de certains groupes qui sont plus en compétition directe, par exemple ceux qui sont sortis sans diplôme d système scolaire au Royaume-Uni. Tous les « petits boulots » qu'ils occupaient dans les bars et les services ont été pris par des migrants qui venaient de l'Est. Nous avons nié et occulté ces effets distributifs. Il faut revenir là-dessus, identifier les perdants et potentiellement les compenser ou adapter des politiques, de façon qu'il y ait moins de perdants à la migration. Même s'ils représentent un faible pourcentage statistiquement, ils peuvent être très visibles et être pris comme des marqueurs de l'effet d'une politique globale.

Troisième motif de sensibilité : nous sommes dans un monde où il y a de la migration, mais également d'autres choses qui se passent. Une part importante de la population est anxieuse pour son avenir. À l'OCDE, nous avons montré que le revenu moyen est similaire à ce qu'il était il y a dix ans dans les pays de l'organisation. Il n'y a pas eu de progrès. Les classes moyennes, qui sont le plus confrontées à cette situation, voient l'avenir avec inquiétude. De même, quand nous regardons la probabilité qu'un emploi soit automatisé, pour les ménages à revenus élevés, cela concerne une personne sur dix, mais pour les ménages à revenus faibles, cela concerne une personne sur cinq. Il y a des inquiétudes, qui sont normales. La migration joue comme un facteur supplémentaire de ces inquiétudes, même s'il n'y a pas de relation objective entre les deux.

Peut-on dire qu'il n'y a pas de politique migratoire ? Pas tout à fait, car il existe des instruments de gestion de la migration. Mais y a-t-il une vision ? Explique-t-on aux personnes pourquoi il y a de la migration, en dehors du fait que la migration est là, qu'elle va venir, qu'elle fait partie de notre réalité ? Il faut expliquer pourquoi ce choix est fait. Ce choix est très largement fondé sur des droits : le droit au regroupement familial, une vision du monde qui inclut un effort vis-à-vis des autres, notamment en termes d'accueil de réfugiés, de personnes en nécessité de protection internationale. C'est une vision qu'il faut expliquer et, pour les migrations de travail, c'est la même chose. Il faut dire pourquoi nous avons une politique migratoire de travail et quel est son objectif. Au Canada, il y a un objectif de population. En France, ce n'est pas la question. Mais il faut trouver une vision à intégrer dans le débat public en France. Si nous définissons cette vision, nous saurons exactement quel est l'objectif et nous pourrons évaluer la politique publique.

Les évaluations de politiques publiques, l'OCDE ne fait que cela. Si vous voulez savoir comment le système suisse et le système français fonctionnent, nous pouvons vous aider. Nous avons toutes les références sur tous ces éléments, mais évidemment, pour pouvoir évaluer une politique publique, il faut savoir quel est son objectif.

Sur les métiers en tension, je suis à votre disposition pour vous donner des exemples concrets. C'est un instrument qui existe dans de très nombreux pays de l'OCDE. Il est à l'oeuvre en France depuis dix ans et fait écho à un autre instrument qui est le test du marché du travail, l'un des piliers fondateurs de la politique française, comme dans de nombreux autres pays. Il y a de multiples façons d'actualiser cette liste. Il y a l'exemple espagnol, qui mobilise une négociation avec les partenaires sociaux au niveau des régions et remonte au niveau central. C'est à partir de cette discussion régionale avec les partenaires sociaux qu'ils définissent des besoins qui sont ensuite arbitrés au niveau central. Nous pourrions aussi prendre l'exemple du Royaume-Uni. Ils ont créé une commission d'évaluation indépendante, dont l'une des fonctions est d'établir cette liste. Elle est fixée selon des critères parfaitement transparents, statistiques, mais également en se demandant s'il est « sensible » d'avoir recours à l'immigration pour répondre à un besoin de main d'oeuvre et si une politique éducative, une politique active pour l'emploi, une politique de mobilité géographique ne pourraient pas répondre à ce besoin.

L'APD sert à aider les plus démunis et doit continuer à faire cela, comme les programmes de réinstallation du HCR servent à aider les personnes les plus vulnérables. C'est normal, il faut cibler ces personnes et il y a une logique évidente. En même temps, les personnes qui étaient sur les bateaux et traversaient entre la Turquie et la Grèce étaient pour la plupart des personnes qui n'auraient été jamais éligibles aux programmes du HCR. Il faudrait également penser à des mécanismes offrant une option à ces personnes. On pourrait aider le pays de premier asile ou offrir des formes de réinstallation qui ne ciblent pas les plus démunis. À l'OCDE, nous avons fait des propositions concrètes dans ce sens. C'est ce que l'on appelle les voies d'accès complémentaires. Dans le cas des personnes diplômées qui n'ont pas d'opportunité d'emploi dans leur pays d'origine, l'aide au développement devrait également les aider à trouver des débouchés. Il faut refonder certains objectifs de l'aide, être plus dans la prévention et agir de façon plus large, au-delà des personnes les plus démunies, même si elles doivent rester le coeur des dispositifs.

Sur la question européenne, beaucoup de choses sont à dire, mais des solutions existent indiscutablement. Il faut espérer que, dans la nouvelle architecture européenne, nous puissions reconsolider une vision commune sur cette question de l'asile.

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