Intervention de Pascal Brindeau

Séance en hémicycle du mercredi 2 octobre 2019 à 21h30
Bioéthique — Article 4

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Brindeau :

Nous examinons ici des dispositions qui, vous en conviendrez, ont peu de choses à voir avec la bioéthique, mais qui sont rendues indispensables par l'adoption de l'article 1er et l'extension de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes. Vous avez essayé, à la fois dans la version initiale du texte et dans la version issue des travaux de la commission spéciale, de résoudre une équation en réalité à peu près impossible à résoudre : faire coller la nouvelle conception du rapport des parents à l'enfant avec la logique assez implacable du droit de la filiation.

En effet, à travers l'extension de la PMA, on peut, parce que la volonté individuelle ou la volonté de couples prévaut sur la réalité et la vraisemblance biologiques, imaginer deux parents ou une femme seule élever un enfant dans de très bonnes conditions – matérielles, d'amour – , des conditions grâce auxquelles il pourra s'épanouir. C'est ce contrat social, tel que décrit par le président Mélenchon, qui doit primer sur la conception plus ancienne de la famille, fondée sur la réalité et la vraisemblance biologiques.

Tout cela tient jusqu'à ce qu'on en arrive aux questions de filiation. À ce moment donné, la réalité vous rattrape, quel que soit l'édifice juridique théorique que vous essayez d'élaborer pour permettre à une femme seule ou à deux femmes d'avoir recours à l'AMP pour des raisons autres que la nécessité de pallier une infertilité. Vous créez, en définitive, des situations qui n'aboutissent jamais au respect de l'égalité, en particulier entre deux femmes, l'une d'entre elles étant celle que l'on pourrait qualifier de mère « biologique ».

Comme nous l'avons vu en commission spéciale et à l'occasion des débats qui ont précédé ses travaux, un premier dispositif, la déclaration anticipée de volonté, créait une forme de discrimination. Seuls les couples de femmes y auraient eu recours et, dès lors qu'il en était fait mention sur l'acte d'état civil, cela indiquait un lien de filiation différent, par exemple, de celui en vigueur pour les couples hétérosexuels recourant à l'AMP avec tiers donneur. Évidemment, ce n'était pas l'objectif du dispositif, qui visait au contraire à protéger le lien de filiation de la même façon, quelle que soit la nature du couple recourant à l'AMP. Nous en étions au point où des associations réclamaient l'extension de la déclaration anticipée de volonté à tous les couples afin d'éliminer la discrimination en question, ce qui aurait fini par discriminer les couples hétérosexuels recourant à l'AMP avec tiers donneur. Je rappelle que, pour ces derniers, l'acte devant notaire ne crée pas la filiation : il la rend irréfragable et incontestable sauf si l'on parvient à démontrer que le tiers donneur n'est pas… J'aurais eu envie d'utiliser le mot « père », mais mieux vaut parler de « personne qui fait que l'enfant est né ».

Vous avez écarté ce problème, mais vous allez retrouver les mêmes difficultés avec le dispositif que vous proposez. Vous imposez aux deux femmes du couple une reconnaissance anticipée de filiation qui rend cette dernière incontestable. Pourtant, pour la femme qui porte l'enfant, ce n'est pas ce qui crée normalement la filiation. On en revient au principe de réalité biologique.

Il y a une discrimination évidente entre, d'une part, la femme seule qui va recourir à l'AMP, pour laquelle la filiation provient du fait qu'elle a porté l'enfant et qu'elle accouche – la grossesse et l'accouchement font qu'une femme devient mère, il n'y a donc pas d'acte de reconnaissance, de même que dans un couple hétérosexuel, qu'il y ait eu ou non recours à l'AMP – , et d'autre part, le couple de femmes pour lequel vous allez imposer à la femme qui a porté et mis au monde l'enfant de reconnaître ce dernier. On constate ainsi que la réalité et la vraisemblance biologiques ont toujours voix au chapitre : c'est pour cela qu'il est encore possible de contester que le tiers donneur est le réel géniteur de l'enfant.

Il ne vous reste sans doute qu'une solution cohérente, que certains s'empresseront de défendre. Elle consiste à appliquer le droit commun aux couples de femmes, c'est-à-dire à faire en sorte de les traiter de la même manière qu'un couple hétérosexuel ayant recours à une AMP par tiers donneur. Dans le cas des couples hétérosexuels, l'acceptation du don devant notaire fait que la mère qui accouche est la mère à l'état civil et que si le couple est marié, on applique au père la présomption de paternité. Si le couple n'est pas marié, on a recours à un acte de reconnaissance, comme cela peut se faire dans d'autres situations, mais l'ensemble reste fondé sur la vraisemblance biologique.

On atteint les limites du possible s'agissant des couples de femmes puisque l'on a totalement déconnecté la réalité du droit de la filiation de la réalité biologique. On ne peut pas appliquer le principe de présomption à la deuxième mère. Par essence, il ne peut pas y avoir de « présomption de maternité » – et au sein des couples de femmes, on peut encore moins imaginer une présomption de paternité.

In fine, quel que soit votre choix, vous devrez faire face à des situations où la filiation sera établie sur la base de la volonté – elle restera contestable dans l'hypothèse où la réalité biologique du tiers donneur ne serait pas la réalité biologique du géniteur – , et à d'autres situations où la femme demeurera la mère au sens de l'état civil, parce qu'elle aura porté et mis au monde l'enfant naturellement, allais-je dire, en tout cas en conformité avec le droit actuel.

Vous ne pourrez pas trouver de juste équilibre, et je pense que, malheureusement, nous devons nous préparer à un certain nombre de contentieux liés à l'incapacité de traiter ensemble une situation purement théorique et une réalité selon laquelle un enfant est finalement le produit d'un homme et d'une femme.

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