Intervention de Marie-Noëlle Battistel

Séance en hémicycle du mercredi 2 octobre 2019 à 21h30
Bioéthique — Article 4

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Noëlle Battistel :

L'article 4 a donné lieu à de nombreux débats en commission et chacun a évolué sur ses positions. Avec ce texte, nous créons un nouveau droit dont nous sommes nombreux à être fiers. Il n'y aurait rien de pire que de lui associer une inégalité entre les personnes et les enfants. Nous avons tous le désir que ce texte crée des droits nouveaux, qui soient source d'une véritable égalité.

Vous avez également évolué, madame la garde des sceaux, puisque cet article prévoyait, à l'origine, la création d'un nouveau mode d'établissement de la filiation, que vous aviez appelé « déclaration commune anticipée de volonté », exclusivement applicable aux enfants nés d'une PMA réalisée au sein d'un couple de femmes. De nombreuses critiques ont été formulées par des associations et par des universitaires, et vous avez déposé un amendement, qui a été adopté en commission, visant à réintégrer la filiation des enfants nés d'un couple de femmes au sein du titre VII du livre Ier du code civil.

Ce rattachement au titre VII est évidemment plus pertinent que la création d'un mécanisme spécial, mais la nouvelle rédaction ne nous semble pas satisfaisante pour autant : sur le fond, rien ne change véritablement par rapport au projet de loi initial. En effet, il est toujours prévu d'instituer un nouveau régime juridique dérogatoire, applicable seulement aux couples de femmes. Ces derniers devraient procéder à une reconnaissance conjointe et anticipée de l'enfant devant le notaire chargé de recueillir le consentement à l'AMP. C'est cette reconnaissance conjointe qui établirait la filiation à l'égard des deux mères, une fois l'enfant venu au monde. Cela ressemble fortement, nous semble-t-il, à la déclaration commune anticipée de volonté, qui entraîne une double discrimination – je n'ose plus prononcer ce mot, madame la garde des sceaux, depuis que vous m'avez reprise, mais il m'est difficile d'en trouver un autre. Je pourrais parler d'une « différence de traitement », mais ce n'est pas suffisamment fort selon moi. Quoi qu'il en soit, cette différence de traitement nous fait douter de la conformité de la mesure à la Constitution.

En effet, s'agissant de la femme qui accouche, qu'elle soit en couple avec un homme ou célibataire, la filiation s'établirait par la mention de son nom dans l'acte de naissance de l'enfant. En couple avec une femme, elle s'établirait par l'effet de la reconnaissance anticipée. Pourtant, le lien qui unit l'enfant à sa mère est indifférent à la situation conjugale de cette dernière. La différence de traitement n'étant pas justifiée par une différence de situation, il s'agit donc bien d'une discrimination.

S'agissant de la femme qui n'accouche pas, sa filiation serait exclusivement établie par l'effet de la reconnaissance anticipée. En revanche, l'homme ayant consenti à une AMP avec don de gamètes pourrait bénéficier de la présomption de paternité ou procéder à une reconnaissance postérieure à la naissance de l'enfant. Il s'agit, là encore, d'une différence de traitement puisque, dans un cas comme dans l'autre, la filiation repose sur le consentement à l'insémination ou au transfert d'embryon.

Pour remédier à ces discriminations tout en sécurisant la filiation des enfants nés au sein d'un couple de femmes et tout en préservant le droit actuellement applicable aux couples composés d'un homme et d'une femme, il suffit d'étendre aux couples de femmes le régime juridique actuellement applicable au sein des couples composés d'un homme et d'une femme.

Prévu à l'article 311-20 du code civil, ce régime juridique fonde d'ores et déjà la filiation des enfants nés d'une AMP sur le consentement exprimé par leurs parents devant le notaire. L'extension de l'article 311-20 au profit des couples de femmes n'impliquerait donc aucun bouleversement théorique. Il s'agirait simplement de prévoir qu'à une même responsabilité au regard de la venue au monde de l'enfant répond un même mode d'établissement de la filiation, soumis à un même régime juridique. Puisque l'article 311-20 du code civil fonde déjà la filiation des enfants nés grâce à un don sur le consentement de leurs parents et que la loi nouvelle permettrait à deux femmes de consentir à une AMP, il serait tout à fait cohérent d'étendre aux couples de femmes le même régime juridique actuellement applicable aux couples composés d'un homme et d'une femme.

Cette filiation s'établirait ainsi à l'égard de la femme qui accouche par la mention de son nom dans l'acte de naissance de l'enfant. Elle s'établirait à l'égard de l'autre femme ayant consenti à l'AMP par une reconnaissance réalisée avant ou après la naissance, sans qu'il soit nécessaire de fournir à l'officier d'état civil la preuve de consentement à l'assistance.

Nous ne voyons à cette proposition que des avantages. Les modifications de texte seraient très minimes. Cela ne changerait rien à la situation des couples composés d'un homme et d'une femme, lesquels pourraient évidemment toujours bénéficier, lorsqu'ils sont mariés, de la présomption de paternité. Cela n'introduirait aucune hiérarchie entre les parents, sans pour autant gommer l'importance de la gestation et de l'accouchement. Cela permettrait de sécuriser la filiation des enfants nés au sein d'un couple de femmes en fondant cette filiation sur le consentement à la réalisation de l'assistance, comme c'est déjà le cas au sein des couples composés d'un homme et d'une femme.

Cette démonstration, que beaucoup approuvent ici je pense – du moins je l'espère – , nous a été présentée à de multiples reprises lors des auditions de la commission spéciale. Pour la construire, nous avons repris un grand nombre d'éléments présentés par le juriste Victor Deschamps, qui nous a permis de comprendre ce que nous pensions intuitivement : une ouverture de droits entraîne une égalité de traitement pour tous. Cette idée est devenue une évidence. J'espère que notre démonstration aura convaincu chacune et chacun, et que nous allons créer un nouveau droit sans créer de discriminations.

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