Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du jeudi 3 octobre 2019 à 9h00
Coopération et intégration franco-allemandes — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

… et je ne crois pas que ce soit un stéréotype que d'avoir présentes à l'esprit l'histoire et les raisons qui ont pu conduire à une telle situation. Comme tout le monde, je me réjouis des marques d'amitié, de fraternité, de solidarité et d'affection, mais je ne partage pas l'idée selon laquelle il existerait un « couple » franco-allemand. Je ne vois pas ce que la libido vient faire dans ce type de relation ! Les Allemands se contentent de parler de « moteur » franco-allemand, ce qui correspond mieux à leur vision, eu égard à l'industrie principale de leur pays.

Il y a effectivement un moteur. Toutefois, dans l'Europe à vingt-huit, l'Allemagne n'est plus la frontière orientale de l'Europe. Depuis l'élargissement à dix nouveaux pays, elle en est devenue le centre géographique, et notre relation n'est plus la même. Vous vous sentez tenus de maintenir un lien spécifique avec elle, pour coordonner nos positions. Je ne fais pas mienne cette obligation.

L'Italie et l'Espagne sont respectivement la troisième et la quatrième économie de l'Europe, la France étant la seconde. Il n'y a aucune raison pour que ceux qui nous qualifient de « Club Med », souvent avec beaucoup d'arrogance, constituent un allié privilégié.

Depuis la signature de ce traité, de nombreux signaux auraient dû alerter les stratèges français. Le premier fut le discours de Mme Annegret Kramp-Karrenbauer, présidente de la CDU – Union chrétienne-démocrate – , parti le plus puissant d'Allemagne, actuellement au pouvoir. Elle a en effet manifesté de la façon la plus nette, sans la moindre ambiguïté, son opposition absolue à la position constante des Français sur la question de l'harmonisation sociale : « Le centralisme européen, l'étatisme européen, la communautarisation des dettes, l'européanisation des systèmes de protection sociale et du salaire minimum, seraient la mauvaise voie. » Nous pensons le contraire !

De même entend-elle agir contre le protectionnisme solidaire, l'Europe devant selon elle avoir « les moyens d'agir de façon compétitive dans le monde – voeu pieux que tout le monde peut partager – , tandis que d'autres faussent la concurrence au moyen de mesures protectionnistes ou de monopoles d'État ». Là encore, c'est le contraire de la position française.

En outre, elle a estimé que « l'Union européenne devrait à l'avenir être représentée par un siège permanent commun au Conseil de sécurité des Nations unies », position qui est également celle de la nouvelle présidente de la Commission européenne. Sur ce point, madame la secrétaire d'État, vous vous êtes sentie obligée de nous apporter des éclaircissements, dont je vous remercie.

En tout cas, il ne saurait être question d'une telle représentation ! Car cela impliquerait nécessairement la perte du siège français. Je ne suis pas d'accord pour que la France renonce à son siège, de quelque manière que ce soit. Là aussi, c'est l'histoire qui a déterminé la représentation de l'Europe au sein du Conseil de sécurité.

Si l'on revient sur la composition du Conseil de sécurité – les Insoumis et moi-même le souhaitons – , cela doit être non pas pour y supprimer le siège français ou y ajouter un siège allemand, mais pour revoir son articulation avec l'Assemblée générale et y faire entrer des nations telles que l'Inde et le Brésil, et telle ou telle nation africaine, afin qu'elles trouvent enfin leur place au sein de l'instance où les décisions se prennent. Il s'agirait que l'Organisation des Nations unies reflète ce qu'est le monde d'aujourd'hui. Il n'y a aucune raison d'accorder une préférence particulière à l'Allemagne.

Je sais que beaucoup d'entre vous transforment aussitôt toute critique en une marque de germanophobie ou d'hostilité de principe à l'Allemagne. Or ce n'est pas du tout ma position politique ni celle des Insoumis. Chacun choisit ses amis – les miens sont plutôt Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg – , mais il ne peut pas y avoir d'hostilité de principe aux Allemands ; il est nécessaire d'adopter une attitude raisonnée, maîtrisée et claire, à l'opposé de toute illusion et toute forme de romantisme dans les relations entre Français et Allemands.

Tenons-nous en à ce qu'en disait le général de Gaulle, que plusieurs d'entre vous ont éprouvé le besoin de citer : la relation franco-allemande n'a de sens que dans une stricte égalité. Or le gouvernement allemand viole régulièrement – régulièrement ! – cette égalité ou fait prévaloir des exigences qui ne sont pas conformes à l'esprit européen. Pourquoi le gouvernement allemand ne donne-t-il pas la priorité au programme Ariane quand il lance des satellites ? Il lui arrive en effet de s'adresser à des pays tiers, alors qu'Ariane est un projet commun. Faute de temps, je ne prendrai que cet exemple, mais je pourrais en citer bien d'autres.

Il en a été de même lorsque nous avons installé notre propre système de positionnement par satellite. Après avoir traîné les pieds au-delà du raisonnable, l'Allemagne, continuellement – continuellement ! – alignée sur les États-Unis, thuriféraire sans nuance de l'OTAN, a accepté d'y embarquer les États-Unis, lesquels se sont donné le droit de regarder ce que nous regardons et ont obtenu que nos satellites ne soient pas placés sur les mêmes orbites que celles du GPS américain, afin qu'ils puissent, le cas échéant, interrompre nos communications sans que nous interrompions les leurs.

D'habitude, ces éléments ne sont pas débattus sur la place publique, où on n'entend que les violons de l'amour fou. Pour ma part, je ne suis pas d'accord : dans chacune de ces circonstances où les Français ont manqué à exiger une stricte égalité des relations, les choses se sont mal passées.

Le 3 octobre n'est pas pour moi un jour de réjouissance, car la réunification de l'Allemagne s'est faite sans tenir aucun compte des dispositions de la constitution allemande elle-même, tant et si bien que certains ont pu parler d'une annexion pure et simple de l'Allemagne de l'Est, qui y a perdu sa monnaie, ses institutions politiques et son régime de la propriété, choses considérables. J'ai le droit de ne pas m'en réjouir, sans que cela soit ressenti comme un discours agressif à l'égard de l'Allemagne ; je pense que les choses auraient pu se passer tout autrement.

Je fais remarquer aux Français que cette affaire, qui s'est conclue sur le principe « un mark de l'Est vaut un mark de l'Ouest », nous a coûté 100 milliards ! En effet, les Français ont dû s'aligner sur les taux d'intérêt allemands, que la Bundesbank a augmentés pour empêcher une explosion de l'inflation. Et personne n'a rien à dire sur le sujet, personne ne rappelle ces faits ni ne formule la moindre exigence !

Cette assemblée sait que je ne suis pas favorable à l'exportation des armes, mais, jusqu'à présent, aucun des deux partenaires ne pouvait interdire à l'autre d'exporter des armes. Or, parce que nous développons des programmes communs – chars, avions, missiles – , pour des raisons que je ne comprends pas et que je n'approuve pas, voici que nous nous préparons un traité aux termes duquel le gouvernement allemand aurait la possibilité d'interdire l'exportation de tout matériel français dès lors qu'il comporterait au moins 20 % de composants allemands. Je ne vais pas me prononcer en faveur des exportations d'armes ; j'observe simplement que ce sont toujours les mêmes qui font les pas de côté.

Nous vous demandons d'être vigilants – telle est notre position. Quand l'AFD – Alternative für Deutschland – remonte la pente et qu'on revoit des néonazis en Allemagne, nous avons le droit de poser l'exigence d'une stricte égalité et d'un contrôle mutuel de ce que nous entreprenons ensemble.

Je le dis avec la passion du minoritaire, car je sais très bien que vous allez adopter le traité d'Aix-la-Chapelle sans autre forme de procès, sans tenir compte du fait qu'il contient des dispositions qui ne sont pas dans l'intérêt des Français.

Il n'est pas l'intérêt des Français d'organiser un condominium franco-allemand sur l'Europe. Tel est pourtant l'objet de l'article 2, qui vise à des « positions communes » et des « prises de parole coordonnées dans les institutions européennes ».

L'article 24 institue une participation que je ne qualifierai pas, parce que j'ai l'habitude qu'on me fasse la guerre pour un mot extrait d'une de mes phrases… Mais enfin, qu'on y réfléchisse : à intervalle régulier, un ministre allemand assistera au conseil des ministres français. J'ignore quel est l'intérêt d'une telle invention, quelle est sa signification politique et quelle est sa conséquence pratique. Le conseil des ministres serait-il une vitrine de Noël du gouvernement français ? Non, c'est le gouvernement de la France, et c'est pourquoi on y trouve des Français ! S'il devait en être autrement, cela signifierait que ce ministre serait responsable devant le Parlement français, comme vous l'êtes, madame la secrétaire d'État, et comme le sont tous les ministres français. De cela, il n'est pas question.

De la même manière, on invente des dispositions permettant aux régions frontalières de déroger au droit national dans les domaines – excusez du peu – économique, social, environnemental, sanitaire et des transports. Que reste-t-il alors ?

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