Intervention de Agnès Buzyn

Séance en hémicycle du vendredi 4 octobre 2019 à 21h30
Bioéthique — Après l'article 19

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Cet amendement ne peut qu'émouvoir fortement les équipes qui réalisent des diagnostics préimplantatoires. Lorsqu'on propose à des couples une fécondation in vitro en raison d'une anomalie génétique décelée chez un premier enfant, c'est afin de pouvoir détecter cette même anomalie génétique dans l'embryon : dans ces conditions, il ne sera pas réimplanté, pour éviter qu'un deuxième enfant ne soit atteint de la même maladie. La question que pose l'amendement est de savoir si, chez ces couples, il faut étendre la recherche du gène malade à celle d'anomalies chromosomiques qu'il serait possible de détecter dans l'embryon.

Cette recherche d'anomalies chromosomiques poursuit deux objectifs : d'une part, les équipes pensent que certaines anomalies chromosomiques induisent rapidement des fausses couches et diminuent l'efficacité de l'implantation et de la technique d'AMP ; d'autre part, les anomalies chromosomiques permettent d'identifier la trisomie 21, la trisomie 18 et la trisomie 13, que le rapporteur vient d'évoquer.

À l'échelon individuel, on peut tout à fait comprendre l'intention de l'amendement. Il s'agit de ne pas infliger à des familles qui ont déjà un enfant atteint d'une maladie génétique sévère et qui s'engagent dans le diagnostic préimplantatoire – le DPI – une « double peine », c'est-à-dire la réimplantation d'un embryon qui ne présentera certes pas la maladie génétique initialement recherchée – celle du premier enfant malade – , mais qui pourrait présenter d'autres anomalies, non pas génétiques – car ce n'est pas une analyse du génome qui est demandée – , mais chromosomiques, comme le sont la trisomie 21, la trisomie 13 et la trisomie 18.

Voici la question qui nous est posée : à partir du moment où les femmes auxquelles on va réimplanter des embryons présentant potentiellement une anomalie, une trisomie, feront l'objet d'un dépistage prénatal de trisomie, pourquoi attendre qu'elles soient enceintes et ne pas leur proposer ce diagnostic au stade préimplantatoire, afin de leur éviter une grossesse, voire un avortement ?

Tout d'abord, il faut savoir que ce sont des cas très rares. En France, le diagnostic préimplantatoire concerne 250 familles par an. Pour les familles ayant un enfant atteint d'une maladie génétique et qui s'engagent dans le DPI, le risque de découvrir une trisomie après une fécondation in vitro – une FIV – reste très rare. L'idée est donc de ne pas faire subir à ces familles un deuxième traumatisme, celui d'une interruption médicale de grossesse liée à la découverte d'une trisomie. On ne peut que comprendre les demandes des obstétriciens qui prennent en charge ces familles : ces histoires individuelles touchent chacun d'entre nous, personne n'y est insensible.

Cependant, c'est une possibilité qui a déjà été débattue dans les précédentes lois de bioéthique. La question qui nous est posée est la suivante : ouvrons-nous le DPI à d'autres anomalies que les maladies génétiques connues dans la famille ? Allons-nous vers une détection plus large d'anomalies chromosomiques, comme la trisomie 21 ? Si nous acceptons cet élargissement du DPI à la recherche d'anomalies chromosomiques – dont la trisomie 21, la trisomie 18 et la trisomie 13 – , peut-être le pas suivant consistera-t-il en la recherche d'autres anomalies génétiques rares et très sévères. Après tout, pourquoi la trisomie 21 et pas d'autres maladies génétiques très rares que, déjà, de nombreuses équipes voudraient détecter – et qui sont parfois déjà recherchées dans d'autres pays ? Aujourd'hui, cela est rendu techniquement possible par l'analyse du génome d'un embryon issu d'une FIV – nous en avons parlé cet après-midi au sujet du dépistage néonatal, mené sur un ensemble de gènes, et qu'il est très facile de réaliser à partir d'une goutte de sang ou d'une cellule de l'embryon.

Devons-nous franchir ce pas ? Des histoires individuelles absolument dramatiques doivent-elles nous pousser à accepter, aujourd'hui, d'ouvrir la porte à un diagnostic réalisé préalablement à l'implantation d'un embryon ? Celui-ci pourrait ensuite, potentiellement, être proposé à tous les couples en AMP ayant recours à une FIV – et pas seulement à ceux qui ont déjà un enfant malade – , puis à tous les couples en processus d'AMP, puis à tous les couples attachés au mythe de l'enfant sain... Si l'on adopte cet amendement, on pourra détecter les trois trisomies, mais rien ne nous dit que l'enfant n'aura pas une maladie génétique autre. On réduirait un risque, tout en en laissant des milliers d'autres ouverts.

C'est une discussion qui nous a beaucoup animés en commission spéciale, je souhaitais donc vous livrer mon analyse. En tant que médecin, si j'avais à prendre en charge ces patients, c'est un dispositif que je demanderais également – à l'évidence, lorsque l'on est confronté à un tel cas, on n'a qu'une envie : éviter aux familles ce parcours, même si celui-ci reste exceptionnel. Mais, dans le cadre de l'écriture d'une loi de bioéthique, ouvre-t-on la porte à un diagnostic allant au-delà de celui d'une maladie génétique connue dans la famille, pour rechercher d'autres anomalies comme la trisomie 21 ? Voilà en tout cas ce qui est proposé par l'amendement.

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