Intervention de Vincent Thiébaut

Séance en hémicycle du vendredi 4 octobre 2019 à 21h30
Bioéthique — Après l'article 19

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVincent Thiébaut :

Je souhaitais faire une intervention un peu personnelle, qui sera peut-être difficile pour moi. Je suis père de jumeaux, sourds profonds du fait d'une maladie génétique. Ils sont nés par FIV. Je l'avoue en toute honnêteté, je m'interrogeais jusqu'à récemment sur la pertinence du DPI.

Madame de Vaucouleurs, les parents ayant recours à une FIV bénéficient d'un véritable accompagnement : ils ont accès à des équipes médicales fantastiques. Mais il leur faut bien, ensuite, affronter la problématique de l'acceptation personnelle, la question de savoir s'ils vont jouer contre-nature, et la culpabilité. Ce sentiment de culpabilité est bien présent. Je le porterai toute ma vie.

La question n'est pas, aujourd'hui, de savoir si je suis pour ou contre la naissance de mes enfants. Ils sont absolument extraordinaires et, justement parce qu'ils sont différents, m'ont ouvert les yeux, à travers leur handicap, sur des choses que je n'aurais jamais pu imaginer.

Je repense – nous en avons parlé récemment avec Mme la ministre – à ce généticien fabuleux, Albert Jacquard, qui faisait l'éloge de la différence. Je crois en effet que, si ces maladies génétiques sont, à titre individuel, très lourdes à porter, elles sont aussi une véritable chance pour notre société.

Je comprends bien que cet amendement porte sur la surchromosomie, mais je rejoins Mme la ministre sur la nécessité de faire attention à ce que nous décidons et au but que nous poursuivons : là se pose la question – réellement philosophique – de la société humaine dont nous voulons demain. C'est le vrai sujet. À titre personnel, j'avoue m'être longtemps posé cette question, mais, pour tout parent qui fait le choix de la FIV, la principale problématique est celle de l'accompagnement : c'est sur ce point que nous devons travailler, y compris après la naissance – c'est tout le thème de la société inclusive. Mais, par pitié, ne décidons pas ce soir d'ouvrir une boîte de Pandore dont nous ne savons pas quelles dérives pourraient s'en échapper. Je le dis en toute sincérité.

Malgré ma culpabilité personnelle, je repense également – alors que notre ami Patrick Hetzel a évoqué tout à l'heure le film Bienvenue à Gattaca – au livre Le Meilleur des mondes. J'en ai relu hier soir le chapitre 17 – que je vous invite à lire également – , qui réunit John le « sauvage » et l'administrateur Mustapha Menier, qui rêve d'une société où tout serait bonheur et perfection. John le sauvage lui explique que son humanité passe aussi par l'acceptation de la souffrance. C'est, je crois, ce sur quoi nous devons travailler : ne jouons pas aux apprentis sorciers. La souffrance, la douleur, la culpabilité font partie de notre humanité. Elles sont même sans doute ce qui a transcendé notre humanité, et ce qui fait de nous ce que nous sommes aujourd'hui.

N'ouvrons donc pas la boîte de Pandore au nom d'une volonté d'harmonisation ou de standardisation. Même si, récemment encore, je pouvais être favorable à l'idée avancée par le biais de cet amendement, j'ai beaucoup réfléchi, et je crois que c'est la différence de mon expérience, et de mes enfants, qui font ce que je suis aujourd'hui.

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