Intervention de Valérie Boyer

Réunion du mercredi 2 octobre 2019 à 14h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Boyer, rapporteure :

Madame la présidente, mes chers collègues, depuis quelques semaines, nos concitoyens sont interpellés par une importante campagne militante d'affichage dans les rues de la capitale, où l'on peut lire des phrases telles que : « Aux femmes assassinées, la patrie indifférente », ou : « Féminicides, on ne veut plus compter nos mortes ». Cette campagne fait enfin sortir de l'invisibilité les meurtres de personnes, le plus souvent des femmes, tuées par leur conjoint violent. J'avoue avoir un peu de mal avec le terme « féminicide » – je lui préfère celui de « conjuguicide » qui était autrefois employé et qui décrit mieux la violence très particulière qui s'exerce au sein du foyer.

La prise de conscience qui est en train de s'opérer sur cette question est salutaire. Trop longtemps, notre société a tu la réalité des violences intra-familiales. Leur persistance est une meurtrissure qui ne peut plus être ignorée et nous enjoint d'agir.

C'est pourquoi je me félicite que le groupe Les Républicains ait fait le choix, de manière inédite, de consacrer à ce sujet la totalité de l'ordre du jour de la journée qui lui est réservée le 10 octobre prochain. Avec mon collègue Aurélien Pradié, nous avançons, de manière complémentaire, des propositions attendues et responsables qui, je l'espère, seront étudiées dans un esprit d'ouverture, et permettront de disposer sans plus attendre de solutions visant à protéger les plus faibles d'entre nous.

La question de la lutte contre les violences intra-familiales n'est cependant pas nouvelle pour notre groupe politique. En 2010 déjà, la loi rapportée par notre collègue Guy Geoffroy avait permis la mise en place d'un parcours d'orientation pour les femmes victimes de violences, lancé l'expérimentation d'un dispositif de surveillance électronique des conjoints violents et créé l'ordonnance de protection. Aujourd'hui, je me réjouis que nous ayons pu avancer ensemble sur l'amélioration de ce dispositif.

Près de dix ans après l'adoption de cette loi fondatrice, je souscris à la décision du Président de la République de déclarer l'égalité entre les femmes et les hommes grande cause du quinquennat. Cette égalité ne sera cependant pas réelle tant que le fléau des violences intra-familiales subsistera dans notre pays. C'est dans ce sens que le Gouvernement a lancé, le 3 septembre dernier, un Grenelle des violences conjugales auquel j'ai eu l'honneur de participer, ce qui m'a donné l'occasion de m'exprimer sur ces violences spécifiques.

Je salue également cette initiative, mais j'estime qu'il convient d'agir sans attendre que de nouvelles annonces soient faites, car nous connaissons d'ores et déjà une partie des remèdes qu'il faut apporter à ces maux de notre société, afin de mieux protéger les personnes qui en sont victimes, notamment les enfants, et de mieux réprimer leurs auteurs.

Aujourd'hui, ce sont les associations, les forces de l'ordre, les avocats et les magistrats qui sont en première ligne pour pallier les carences constatées sur le terrain. Leur travail et leur dévouement forcent l'admiration et le respect, bien qu'ils se sentent souvent livrés à eux-mêmes par manque de moyens, de temps ou de formation pour traiter ce phénomène de masse. Notre rôle de législateur doit être de les soutenir en améliorant l'efficacité des outils existants et en apportant des réponses concrètes aux nouvelles difficultés qui se posent.

La proposition de loi que j'ai souhaité porter devant vous se veut novatrice en abordant la question des violences, souvent qualifiées de conjugales, sous leur angle intra-familial. Cela signifie qu'elle vise notamment à prendre en compte l'incidence de ces violences sur l'enfant – car on oublie trop souvent qu'il est, lui aussi, une victime directe dans ce type d'affaires. Sur ce sujet, je crois profondément que la question de l'enfant doit enfin devenir centrale. Cela passe, bien sûr, par une meilleure protection de celui-ci, mais aussi par l'accompagnement des mères, notamment les plus fragiles, dans l'exercice souvent difficile de leur parentalité.

Les articles 1er et 2 de cette proposition entendent définir les différentes formes que peuvent revêtir les violences intra-familiales, qui peuvent être physiques, psychologiques, sexuelles ou économiques.

Cette proposition pourrait être qualifiée de superflue. Elle ne l'est pas : il s'agit d'une demande insistante des associations. Ainsi, la notion de violence économique n'est pas qualifiée par le code pénal, alors qu'elle est bien réelle pour les victimes, comme le soulignent les associations et les avocats. Cette proposition ne fait d'ailleurs que traduire, dans notre droit interne, la définition retenue par la convention d'Istanbul, ratifiée par la France le 4 juillet 2014.

Aujourd'hui, les violences intra-familiales ne sont pas qualifiées dans notre code pénal : elles ne constituent qu'une circonstance aggravante des différents crimes ou délits. Cette situation ne favorise pas la lisibilité des peines encourues, donc leur effet dissuasif, et accroît la complexité du contentieux qui en résulte.

Je crois également que, pour combattre résolument ces violences, il faut, avant toute chose, être capable de les nommer pour pouvoir ensuite les qualifier et les sanctionner pénalement. Je proposerai un amendement qui étendra la qualification de ces violences à celles commises sur internet ou par tout moyen de communication électronique.

L'article 3 et les amendements que je défendrai sur le sujet de l'autorité parentale constituent le coeur de ma proposition de loi. Sur ce point, il est impératif que l'intérêt de l'enfant entraîne une mise à l'abri et une protection immédiates vis-à-vis du parent violent. Il est urgent de tordre le cou à cette idée trop souvent répandue qu'un conjoint violent peut néanmoins être un bon parent. Nous savons que dans les processus d'emprise que développent ces personnes, l'enfant, quand il n'est pas victime lui-même directement, constitue un objet d'instrumentalisation et de pression sur l'autre parent – on dit souvent qu'il est otage du conflit entre les parents.

Les conséquences – notamment psychologiques – de ces agissements sont catastrophiques sur le long terme pour les enfants concernés.

Je présenterai donc des propositions qui s'inscrivent dans les pistes de réflexion esquissées par le Premier ministre, le 3 septembre 2019, en ouverture du Grenelle contre les violences conjugales. Il reprend, presque mot pour mot, les expressions que j'avais employées dans ma proposition de loi de 2015 puisqu'il estime qu'il faut « protéger aussi bien les enfants que leur mère en réformant notre législation en matière d'autorité parentale », en cessant d'opérer « une scission artificielle entre le conjoint et le père, quand il s'agit du même homme ».

Comme lui, comme vous, je l'espère, je considère que tout violent conjugal est un parent dangereux et qu'il n'y a pas de protection possible contre les violences de ce type sans un traitement adapté de la parentalité. Je vous proposerai notamment de faire du retrait de l'autorité parentale par le juge civil en cas de condamnation pénale du parent le principe et de son maintien, l'exception, tout en laissant de la latitude au juge.

Au-delà des différents amendements relatifs à l'autorité parentale, un amendement essentiel consistera à consacrer un véritable statut de victime aux enfants lorsque des violences sont commises dans le cercle familial.

Pour finir, l'article 4 renforce le suivi des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes commises au sein du couple ou de la famille. Il s'agit de faire face au caractère souvent réitéré des faits commis par ces personnes et au nombre élevé de récidivistes observés.

Dans sa rédaction initiale, cet article visait à ajouter les violences intra-familiales à la liste des infractions pour lesquelles les personnes condamnées ou mises en examen peuvent être inscrites au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV). Toutefois, les auditions ont surtout mis en lumière l'insuffisante prise en considération, par la police et la gendarmerie, des mains courantes et plaintes déposées par les victimes de ces violences. Nous en avons déjà débattu, mais le statut de la main courante doit évoluer.

C'est pourquoi je préconise plutôt de clarifier les pratiques observées en matière de recueil des mains courantes et des plaintes relatives aux violences intra-familiales, afin que des suites systématiques soient données aux signalements, sans attendre la survenue d'un drame, et qu'un suivi rigoureux soit opéré.

Mes propositions sont le fruit d'une importante réflexion. La première proposition de loi que j'ai déposée sur ce sujet remonte à la précédente législature. Mes différents amendements ont été élaborés à la suite des échanges très riches tenus avec les nombreuses personnes que j'ai pu auditionner au cours de la semaine dernière.

Les dispositions que je propose se veulent avant tout pragmatiques et raisonnables. Je ne doute pas qu'elles emporteront votre conviction. Pour Aurélie, Céline, Sarah, Euphémie, Catherine, Maryline, Chantal ou Séverine… et leurs enfants, ainsi que toutes les autres femmes dont tout laisse à penser qu'elles ont été tuées par leur compagnon ou leur ancien compagnon depuis le 1er janvier 2019, nous devons garder la tête haute et ne plus fermer les yeux. Mais nous devons surtout unir nos efforts pour qu'un jour, la peur et la honte changent de camp et que toutes soient protégées, ainsi que leur famille.

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