Intervention de Jean-François Eliaou

Séance en hémicycle du lundi 7 octobre 2019 à 22h15
Bioéthique — Après l'article 19

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-François Eliaou, rapporteur de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique :

Sur la forme, ces amendements visent à proposer une expérimentation de trois ans, sur le modèle des programmes hospitaliers de recherche clinique, à deux établissements choisis par l'État parmi ceux auxquels l'Agence de la biomédecine aura donné une autorisation, sans que ce choix ait été soumis au processus habituel de sélection scientifique des centres investigateurs par des pairs. Ces modalités me choquent quelque peu, car elles ne correspondent aucunement à ce qui est pratiqué actuellement.

Par ailleurs, l'appel à projets national, tel qu'il est préconisé dans ces amendements, est peu cohérent avec le choix préliminaire des établissements. S'il s'agit bien de projets hospitaliers de recherche clinique, ils ne doivent pas être limités à deux établissements, mais être ouverts aux établissements qui en ont la pratique, afin d'atteindre un haut niveau de sélection et d'excellence scientifique. Le choix ne doit donc pas revenir à l'État.

Enfin, l'article 14 du projet de loi, que nous avons voté, offre déjà la possibilité de mener des projets de recherche clinique.

Si l'on s'en tient à la forme, ces amendements sont donc inutiles, car ils sont déjà satisfaits. Rien dans le texte que nous avons adopté n'empêche de faire de la recherche sur l'embryon en préimplantatoire.

Dans les exposés sommaires de ces amendements, il est proposé d'élargir le DPI, pour la recherche de mutations autorisées par l'article L. 2131-4 du code de la santé publique, à la numération des autosomes, c'est-à-dire des chromosomes non sexuels. Les professionnels de tous bords, qu'ils soient ou non favorables à l'ouverture et à la facilitation du DPI-A, s'accordent à dire que les anomalies chromosomiques augmentent avec l'âge des patientes. Or dans leur pratique quotidienne, les professionnels voient des femmes jeunes qui sollicitent un diagnostic préimplantatoire pour une raison génétique, par exemple la mucoviscidose. En raison de leur jeune âge, ces femmes ont une faible probabilité de présenter des anomalies chromosomiques – M. Berta l'a d'ailleurs bien démontré.

L'objectif poursuivi par ces amendements n'est donc guère pertinent médicalement – et j'insiste sur ce point : le législateur doit veiller à ce que les dispositions qu'il inscrit dans la loi soient pertinentes sur le plan médical et fonctionnelles, afin qu'elles apportent une aide aux professionnels de santé.

Il est important de bien distinguer les différentes situations cliniques, malgré la grande confusion qui prévaut aujourd'hui. Les seuls cas où la recherche préimplantatoire d'anomalies chromosomiques – c'est-à-dire d'aneuploïdies – est licite sont les fausses couches à répétition après fécondation in vitro et les pertes foetales. Telles seraient donc les seules indications. Gardons-nous d'amalgames avec le DPI visant la recherche de mutations génétiques et le risque de fausses couches. L'argument selon lequel l'extension du DPI diminuerait le nombre d'interruptions médicales de grossesse peut valoir dans des cas extrêmement spécifiques. En l'espèce toutefois, les situations qui nous occupent n'occasionnent pas d'interruptions médicales de grossesse mais des pertes foetales, c'est-à-dire des fausses couches. Votre proposition n'entraînera donc pas de diminution des interruptions médicales de grossesse.

Enfin, aucune indication de par le monde n'est validée cliniquement, et aucune conférence de consensus ne s'est prononcée sur les procédures à respecter, l'âge des patientes à examiner, la population de patients pouvant être soumis à la recherche d'aneuploïdies, etc. En conséquence, même si nous décidions d'adopter les présents amendements, la Haute Autorité de santé ne validerait pas cette pratique. Celle-ci ne serait donc pas couverte par l'assurance maladie.

Il risque d'y avoir des cliniques ou des laboratoires qui feront cela contre paiement. Je pense qu'il faut faire très attention à ce type de dérive, car cela irait à l'encontre de l'objectif visé.

En outre, si vous consultez le site américain ClinicalTrials. gov, vous verrez qu'il y a actuellement 150 études cliniques en cours de par le monde, et cela parce que les indications du DPI ne sont pas validées.

Enfin, et sans vouloir me lancer dans un discours scientifique, il convient de souligner qu'il existe, premièrement, un risque de mosaïque, c'est-à-dire que toutes les cellules ne sont pas forcément atteintes – certaines sont saines, d'autres non – , deuxièmement, un risque de faux positifs et de faux négatifs. C'est pourquoi de nouvelles techniques sont expérimentées, dont certaines à visée globale, afin de déterminer si l'ensemble de l'embryon est atteint par des anomalies chromosomiques, et non cinq à dix cellules sur cent – puisqu'à J5, il y a à peu près cent cellules.

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