Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du jeudi 3 octobre 2019 à 9h10
Délégation aux outre-mer

Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes :

En écoutant votre intervention sur Papeete, nouveau centre de gravité mondiale, je me disais que vous devriez proposer d'accrocher ici un planisphère dont le méridien central serait celui qui passe en Polynésie, ou du moins dans le Pacifique. Je pense que cela changerait notre regard sur ces territoires très éloignés : il serait intéressant de voir le monde depuis cet océan Pacifique.

Plus sérieusement, nous voyons que le développement économique de cette zone indo-pacifique est très fort et que les territoires dont vous parlez sont au coeur de cette zone. La question est de savoir comment ces territoires, loin d'être un trou noir du développement environnant, peuvent au contraire en bénéficier.

Je vois deux enjeux. D'abord, un enjeu financier, car il faut disposer des outils pour se raccrocher pleinement à ce développement, non seulement pour y être associé, mais aussi, potentiellement, pour en être le moteur. Je me rendrai au mois de décembre à Copenhague, où j'aurai une discussion précise sur les intentions du Danemark vis-à-vis du Groenland, dans le cadre de cette discussion de répartition de l'enveloppe européenne des PTOM. Je suis ce sujet de très près. Je vais aussi avoir, sur le sujet des RUP, une discussion avec la Commission, avec mes homologues espagnol et portugais en charge de ces questions. Là aussi, nous essayons de mener un dialogue rapproché et de parler d'une même voix. Voilà pour l'enjeu du développement économique permis par l'enveloppe européenne.

Le second enjeu – enjeu-clé – est de savoir comment se raccrocher au développement de la région et, surtout, au développement que l'Union européenne permet elle-même dans la région. Cela pose la question-clé de la coordination entre les outils post-Cotonou ACP et les programmes mis en oeuvre. Cela n'aurait guère de sens de vous demander de signer un accord avec des États membres tels que la Belgique et la Finlande, alors que vous êtes au milieu du Pacifique. En revanche, on voit bien l'intérêt d'activer des programmes européens sectoriels liés à des politiques menées dans les régions de pays géographiquement voisins de votre territoire, pays où l'Union européenne elle-même agit. Qu'il s'agisse du trafic maritime, de la pêche, des énergies renouvelables ou d'innovation, il y a énormément de choses à faire dans ces bassins géographiques. Or les outils européens, même s'ils sont intéressants, ne sont pas adaptés. Il faut donc poursuivre la discussion.

Je crois que la nouvelle commissaire finlandaise a l'avantage de connaître ce que sont des territoires géographiquement non centraux, car la Finlande compte aussi des territoires éloignés, qui présentent leurs particularités, même si elles ne sont pas du tout les vôtres. En tout cas, politiquement, elle voit l'intérêt de ces régions éloignées, ou faiblement développées, ou décentrées. Annick Girardin ira la rencontrer très rapidement et j'irai la rencontrer très rapidement, pour qu'on définisse une doctrine politique, sans cantonner les sujets ultramarins dans une discussion technique ou dans une discussion d'outils. D'après les échanges que j'ai eus, le dossier qui lui a été préparé est d'une complexité technique incroyable ; on y parle uniquement d'outils, de territoires qui bénéficient de telle ou telle mesure, d'enveloppes, de plafonds, de cofinancements… C'est hyper technique.

Pour ma part, je pense qu'il faut qu'on ait aussi un discours politique. Il faut que tous ces outils servent une stratégie. Il faut que l'Union européenne ait une stratégie claire, affirmée, comprise. Bien sûr, cela ne concerne que peu d'habitants, mais, du point de vue géographique, il y va de notre rayonnement international et de notre présence dans le monde, à nous Français, mais aussi à nous Européens. Je crois donc qu'il faut qu'on reconstruise une doctrine claire, qui soit partagéee avec les territoires, pour que tous ces outils entrent finalement en cohérence. Sinon, même si cela représente beaucoup d'argent sur la table, on peine à activer les crédits. La coordination de ces divers outils n'est d'abord pas très simple à comprendre, pour qui n'est pas spécialiste. Ensuite, je ne suis pas sûre qu'il y ait grand monde qui soit spécialiste de tous les outils, chacun ne voyant plutôt qu'un fragment de l'ensemble. Or il est toujours difficile de faire avancer une politique sans en comprendre la cohérence d'ensemble. Puisons de la confiance dans une cohérence reconstruite, puis, dans cette confiance, de l'énergie pour la mise en oeuvre.

Il faut aussi qu'on puisse travailler avec les pays partenaires. Car ce que je vous dis aujourd'hui, mon homologue portugais peut le dire au parlement portugais et mon homologue espagnol au parlement espagnol. C'est pourquoi nous aimerions tenir en novembre, avec l'Espagne et le Portugal, cette réunion sur le CFP avec la Commission, en présence d'Annick Girardin. Car nous ne devons pas être les seuls à dire qu'il faut définir une stratégie pour l'ensemble des territoires concernés.

Je ne saurais trop vous encourager, Monsieur le président, à organiser une petite visite de votre délégation à la Commission, pour y rencontrer la commissaire finlandaise et mieux lui présenter tant les enjeux stratégiques que les évolutions que vous aimeriez porter. Peut-être que les députés, qui pourraient a minima rencontrer ses équipes et ses services, pourraient aussi avoir un entretien avec elle. Qu'elle vous connaisse ! Vous savez qu'on fait avancer une politique quand elle est incarnée. Lire ces dossiers est une chose, c'en est une autre d'en parler avec vous, c'en est encore une troisième que de vous voir, et c'en est une quatrième de nouer un échange de confiance.

Certes, je peux porter votre voix, mais il est aussi intéressant qu'elle vous rencontre. Peut-être pouvez-vous l'inviter pour une audition ; il faut qu'on réfléchisse à ce qui est adapté.

Enfin, je pense que la mobilisation est aussi interministérielle. J'ai la chance d'être en charge d'un sujet qui n'est pas le mien, mais qui est celui de tout le monde. Quand je vous parle d'Europe et d'environnement, quand je vous parle d'Europe et d'agriculture ou quand je vous parle d'Europe et de pêche, il s'agit d'un travail que j'anime en coordination avec d'autres administrations, avec d'autres ministères et avec d'autres ministres. Tout comme il faut que la Commission ait un réflexe outre-mer, il faudrait que les ministres qui parlent d'outre-mer aient un réflexe européen ! Eh oui, je sais que cela fait beaucoup de réflexes à développer… Mais je pense que c'est dans cet esprit qu'on peut travailler.

Pour ma part, je suis tout à fait prête à continuer d'échanger techniquement, mais la clef est d'avoir une stratégie cohérente. On peut discuter à foison d'outils, de curseurs, de tours de tournevis… Mais je pense qu'il faut que ceux qui nous regardent, loin de la capitale, puissent s'y retrouver. Il faut aussi que les collectivités territoriales puissent se saisir de ces outils et comprendre que ce n'est pas seulement une question budgétaire, mais bien une question politique, citoyenne et démocratique.

Je vous remercie pour l'échange que nous avons eu. Je reviendrai volontiers devant vous. Je vous tiendrai aussi au courant, par des voies peut-être plus administratives, de ce qui se passe. Je crois que la réunion de novembre sera une réunion-clé pour engager le dialogue. Je tenais beaucoup à ce qu'on puisse s'y rendre de concert avec des représentants de l'Espagne et du Portugal, notamment pour montrer que le sujet de l'outre-mer n'est pas seulement un sujet français, même si, de fait, nous présentons la particularité de compter beaucoup de territoires de ce type – ce qui est, je crois, une vraie chance pour nous tous.

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