Intervention de Amiral Christophe Prazuck

Réunion du mercredi 11 octobre 2017 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Christophe Prazuck, chef d'état-major de la marine :

Merci pour ces questions nombreuses. Je commencerai par celle portant sur les satellites. Il ne m'est pas nécessaire de disposer de systèmes de type Helios pour savoir si un bateau navigue dans la zone économique exclusive. En matière de surveillance maritime, les satellites de renseignement, de très haute définition, ne correspondent pas aux besoins prioritaires du chef d'état-major de la marine. Je cherche avant tout à savoir dans une large zone où il y a des bateaux et, pour ce faire, il me suffit de voir une coque au milieu de la mer afin d'orienter mes bâtiments, patrouilleurs ou frégates. C'est pourquoi un industriel français très connu a mis au point le système Trimaran, qui permet de compiler toutes les images disponibles prises par tous les satellites, de toutes nations, au cours des dernières vingt-quatre heures. Grâce à cet outil, en moins d'une heure il nous est possible de savoir si des bateaux se trouvent près des îles Kerguelen, des îles Eparses ou encore autour de Clipperton. J'ai d'ailleurs recommandé l'utilisation de ce système à mes homologues africains, rencontrés à Dakar à l'occasion du symposium des chefs d'état-major des marines du golfe de Guinée, et qui me faisaient part de leurs difficultés à assurer la sécurité sans hélicoptères ou avions. Ainsi, pour l'exercice de la souveraineté, il n'est pas nécessaire de disposer d'un niveau de détail tel que celui d'Hélios.

S'agissant des frégates de premier rang, certaines naviguent déjà dans les océans Indien et Pacifique. J'ai ainsi mentionné le Jean Bart, qui a été déployé dans le golfe Arabo-Persique, y a mené des opérations de chasse à l'héroïne et a permis de saisir une quantité de stupéfiants équivalente à 457 millions d'euros en quelques mois. Il patrouille dans le nord de l'océan Indien. Concernant en revanche la possibilité de les pré-positionner, le coût du MCO exploserait. Il me faudrait trouver à Dubaï ou Singapour des capacités de MCO et ce n'est pas envisageable à ce jour. Il m'est toutefois possible aujourd'hui de maintenir en permanence une frégate de premier rang dans l'océan Indien ou d'en envoyer une patrouiller dans le Pacifique ou en mer de Chine méridionale, et travailler avec les Australiens, les Singapouriens ou les Malaisiens. Mais s'il est possible d'entretenir une frégate légère avec un système de combat assez simple partout dans le monde, ce n'est pas le cas pour les dernières frégates dont dispose la marine : elles comptent une centaine d'ordinateurs à bord, vingt-cinq millions de lignes de code et il n'est pas envisageable de les faire entretenir par un chantier étranger n'ayant pas participé à la conception.

J'en viens à présent à la question de Mme Dumas. En effet, entre trente et quarante ans, les femmes, comme les hommes d'ailleurs, éprouvent des difficultés à concilier vie professionnelle et vie privée. J'ai donc demandé au conseil de la fonction militaire marine de réfléchir à la question. Je rencontrerai d'ailleurs les membres de ce conseil à l'issue de notre réunion, afin d'une part de recueillir leur avis sur le plan « familles » annoncé par la ministre, et d'autre part d'entendre leurs propositions visant à faciliter la conciliation des vies professionnelles et familiales. Pour l'heure, le dispositif imaginé ne prendrait pas la forme d'une disponibilité mais les choses doivent être précisées ; nous souhaitons dans tous les cas être prêts au moment de l'élaboration de la prochaine loi de programmation militaire, afin d'y inclure ces mesures de fidélisation des marins, du moins ceux ou celles ayant acquis une compétence rare.

Le projet de loi de finances pour 2018 permettra-t-il d'augmenter le nombre de frégates de premier rang ? La réponse est non ; et ce n'est d'ailleurs pas son objet. Ce type de bâtiment coûte plusieurs centaines de millions d'euros, il faut plutôt envisager une telle augmentation à l'horizon 2030. Il serait d'ailleurs vain d'en faire la demande à court terme car tant pour des raisons budgétaires qu'industrielles, elle ne pourrait être satisfaite.

En réponse à la question de M. Le Gac sur la mise en concurrence des opérations de MCO, je dirai simplement que nous ne nous y prêtons pas quand les objets concernés sont complexes. Il en va ainsi des sous-marins nucléaires, des frégates de premier rang dotées d'un système de combat sophistiqué. La seule solution est de recourir aux compétences du concepteur, en l'espèce Naval group. En revanche, l'ouverture à la concurrence est de mise lorsqu'il s'agit de plus petits bâtiments, plus comparables à des bateaux civils, ou pour des parties de bateaux. C'est notamment le cas des frégates de la classe La Fayette : le système de combat est traité par Naval group mais s'agissant du reste du navire, d'autres industriels peuvent intervenir, y compris les plus petits d'entre eux. Cette mise en concurrence nous a permis de contenir le coût du MCO naval, à l'inverse du MCO aéronautique, dont les coûts dérivent qu'il s'agisse d'appareils neufs ou anciens. À titre d'exemple, le coût d'une heure de vol d'une Alouette III était d'environ 5 000 euros en 2010, contre bientôt près de 13 000 euros.

S'agissant des drones, la marine ne compte aucun drone armé. Elle dispose de drones sous-marins et nous travaillons actuellement avec la société ECA sur la conception de drones dédiés à la détection des mines. Alors qu'auparavant un bateau naviguait au milieu des mines en vue de les détecter, prenant ainsi des risques, il sera dorénavant possible de laisser le chasseur de mines en dehors de la zone minée et d'y déployer un drone sous-marin pour parcourir la zone. Nous pourrions envisager l'utilisation d'un drone dit « armé », mais dont la mission ne serait que de détruire la mine repérée. Contrairement à l'armée de l'air, la marine ne compte en revanche pas de drones de type Reaper susceptibles d'être armés ; elle possède néanmoins des petits drones hélicoptères construits par la firme autrichienne Schiebel. Enfin, Naval group et Airbus travaillent à la construction d'un drone hélicoptère de taille plus importante – le Cabri – qui pourrait être embarqué sur les futures frégates de taille intermédiaire (FTI) et les patrouilleurs et permettrait, grâce à un radar et un système optronique, de multiplier par six la surface couverte.

Comment parvenir à garder les Britanniques à nos côtés ? Avant tout, il convient de rappeler que le traité de Lancaster House est bilatéral, et n'est donc pas lié à l'avenir des relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Ensuite, je dirais que nous sommes naturellement liés aux Britanniques d'un point de vue militaire : ils ont la même « corpulence » que nous, les mêmes moyens aussi, dont des porte-avions et des sous-marins nucléaires, ils ont la même culture d'intervention que nous et interviennent sur tous les théâtres où nous sommes déployés. À mon sens, nous continuerons donc à les côtoyer en opérations, et avons donc vocation à approfondir notre coopération bilatérale.

S'agissant du cyber, la prise en compte de la menace est plus récente que l'emploi massif de l'informatique sur nos bateaux. En somme, sur certains d'entre eux, le recours à des outils informatiques est important, alors même qu'il n'existe pas vraiment de barrières cyber. Nous sommes donc en train de mettre en place ces protections, en lien avec l'industriel. Concernant les nouvelles générations de bateaux, et en particulier les FTI, qui entreront en service à compter de 2023, la nécessité de mettre en place une protection cyber est prise en compte dès la conception. Ce sera rapidement une nécessité pour l'interopérabilité des systèmes de combat. En la matière, il y a également un fort enjeu de ressources humaines – comment recruter et conserver les personnels compétents ? Je souhaite également que la marine se lance dans l'exploitation du big data afin de compléter la vision satellitaire dont parlait M. Folliot plus tôt. Il existe aujourd'hui des millions de données sur ce qu'il se passe en mer et nous ne les analysons pas suffisamment. Nous pourrions certainement resserrer nos interventions sur un nombre de bateaux suspects plus limité qu'aujourd'hui.

Enfin, un mot sur les APNM, dont deux représentants font également partie du conseil de la fonction militaire marine ; je les ai d'ailleurs vus hier. Nous avons notamment discuté des pistes de conciliation des vies professionnelle et personnelle pour les marins âgés de 30 à 40 ans et nous échangeons évidemment sur le moral des marins et la charge de travail qui pèse sur leurs épaules. Aujourd'hui, pour peu qu'il n'appareille pas sous trop faible préavis, un marin en mer est un marin heureux ; la situation est plus délicate à quai, probablement car, à mon sens, nous n'avons pas été au bout de la réforme engagée en 2008 autour des bases de défense. Les marins souffrent notamment de ce qu'ils appellent la surcharge administrative, c'est-à-dire la lourdeur des démarches nécessaires pour commander le moindre matériel. La situation est devenue courtelinesque. Tout le monde en est conscient aujourd'hui, il faut achever cette réforme en donnant plus de poids aux autorités de proximité. De plus, le respect du calendrier de renouvellement des bateaux est un point essentiel car lorsque l'un tombe en panne, c'est X qui part à la place de Y. Il nous faut donc raisonner l'emploi de nos bateaux et résoudre, j'y reviens, les tensions entre la vie professionnelle et la vie familiale – le plan « familles » souhaité par la ministre va dans ce sens.

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