Intervention de Dominique Kimmerlin

Réunion du mercredi 25 septembre 2019 à 9h40
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Dominique Kimmerlin :

Je vais essayer de répondre sur les chiffres qui ont été demandés par plusieurs parlementaires. Je rappelle qu'il y a globalement 86,6 % de taux de recours contre les décisions de l'OFPRA, 18,6 % d'annulations de décisions et presque 82 % de rejets des recours présentés devant la Cour. Le taux de pourvois en cassation contre les décisions rendues par la Cour est de moins de 3 %. Cela représente à peu près 800 pourvois par an sur les quelque 50 000 affaires rendues. À l'issue de l'examen de ces pourvois, une quarantaine de décisions sont rendues. Sur les 800 affaires, 750 ne passent pas le filtre de l'admission du pourvoi en cassation et de la procédure d'admission.

Sur les motifs de fin de protection, ce sont des affaires qui commencent à se développer, depuis deux ou trois ans, parce que l'OFPRA lui-même fait un travail de réexamen de ces dossiers qui ont fait l'objet d'une protection préalable. Sur les quelque 58 000 entrées, cela représente une quarantaine d'affaires. Pour l'instant, il s'agit d'une activité assez limitée en termes de volume. En revanche, ces dossiers s'avèrent particulièrement sensibles. Ils sont en quelque sorte signalés et aiguillés dès l'entrée par la Cour pour qu'elle puisse statuer rapidement afin de confirmer ou non la décision de fin de protection prise par le directeur général de l'OFPRA. Les motifs sont généralement liés à des questions de sûreté de l'État ou de risque d'atteinte à l'ordre public, soit pour des raisons de criminalité de droit commun, soit pour des questions de financement du terrorisme. Cette activité, qui porte encore sur peu de dossiers, mais qui est extrêmement sensible, est suivie de manière particulière à la Cour pour éviter que les délais ne s'allongent.

Un parlementaire a évoqué l'allongement des délais. Je voudrais être très claire à ce sujet. En 10 ans, nous avons divisé par deux le délai moyen constaté. Il était de 6 mois et 15 jours à la fin 2018. À l'heure actuelle, il est de 6 mois et 22 jours. Effectivement, il y a une petite augmentation qui doit être corrélée à une forte augmentation de l'activité puisque nous allons rendre un nombre accru d'affaires à la fin de l'année : autour de 67 000 affaires, contre 48 000 l'année dernière. La Cour a bénéficié de renforts accordés par la représentation nationale. Elle se mobilise pour utiliser la totalité des moyens mis à sa disposition.

Il est vrai que, dans la gestion d'une juridiction, l'ancienneté des dossiers en stock des affaires pendantes est importante à contrôler. Cet indicateur d'activité, qui figure dans le projet annuel de performance, est contrôlé et surveillé par le Parlement. Il est important car il permet de maintenir un stock qui ne vieillit pas. Il est suivi de très près par la juridiction. La priorité qui est donnée à l'heure actuelle au traitement et au jugement des affaires les plus anciennes – de plus d'un an – contribue évidemment à dégrader de manière faciale et temporaire le délai moyen constaté. Cependant, j'ai bon espoir que ce travail débouche sur une amélioration du stock et de sa structure en termes de millésime et d'ancienneté, afin que ce dernier n'obère pas plus longtemps le délai moyen constaté à la Cour.

Cette politique est absolument incontournable car il n'est pas possible de laisser vieillir un stock d'affaires. Or, cela peut se produire, et très vite. En quelques mois, les structures de stocks peuvent devenir difficiles à gérer et compliquer le travail de tout le monde. Ensuite, il faut des années pour rattraper la situation. C'est la raison pour laquelle, sur ce sujet, nous sommes mobilisés et y veillons comme le lait sur le feu. Malgré la légère dégradation, je vous rappelle que sur les dix dernières années, la tendance est nette : nous avons divisé par deux le délai moyen constaté.

Sur la question du droit au recours et du droit à déposer une demande d'asile, je resterai dans ma fonction qui est de présider une juridiction. Je n'ai pas d'opinion sur cette appréciation. Je dirai simplement que le travail que fait un juge est un travail qu'il fait à partir d'un dossier. Il se prononce à partir des éléments qui lui sont fournis par les parties. Ce sont toutes les limites de son office. Il juge au regard des éléments de l'instruction et de la procédure écrite dont il dispose, mais aussi des éléments oraux qui peuvent être présentés à l'audience. C'est à la fois sa force et sa limite qui peuvent parfois expliquer des décisions qui, ex post, peuvent être considérées comme non justifiées.

Les affaires auxquelles il a été fait référence ne concernent pas la Cour. Je ne veux pas me défausser mais nous n'avons pas eu connaissance de ces dossiers puisque ce n'était pas la Cour qui a octroyé la protection à ces personnes. J'ai d'ailleurs fait publier un droit de réponse lorsque la Cour a été mise en cause, de manière assez insultante pour les agents et les juges qui y travaillent quotidiennement, par un organe de presse. Un journaliste nous a accusés d'avoir protégé une personne ayant commis un crime, celle dont il a été question tout à l'heure. J'ai demandé un droit de réponse qui a été publié puisque la Cour n'était pas concernée. L'information était erronée sur ce point, la Cour n'ayant pas accordé de protection à cette personne.

Les droits et les recours existent. Nous veillons évidemment à ce que l'instruction tienne compte de toutes les pièces du dossier. Nous avons des possibilités pour répondre à une partie de la demande, celle dont on peut penser qu'elle n'est pas forcément très sérieuse, notamment lorsqu'elles émanent de ressortissants venant de pays d'origine sûre. Je rappelle que la Cour traite un certain nombre d'affaires de manière rapide, avec la même qualité d'instruction – mais sans audience – ce qui donne lieu à des ordonnances nouvelles. En réalité, elles ne le sont plus puisqu'elles peuvent être prises depuis un certain nombre d'années et portent sur 30 % de nos entrées. 30 % des affaires enregistrées sont donc jugées par un rapporteur à l'ordonnance, et par un président permanent qui va prendre une ordonnance sur la demande. Elles ne donnent pas lieu à l'examen de l'affaire dans le cadre d'une audience. On y retrouve essentiellement des demandes présentées par des ressortissants de pays d'origine sûre.

S'agissant des taux d'annulation, il est clair que le chiffre de 18,6 % est un taux global. Il va être plus élevé sur certaines nationalités devant la Cour et beaucoup moins pour d'autres. Pour les ressortissants des pays d'origine sûre, comme l'Arménie, l'Albanie et la Géorgie, les taux de protection sont extrêmement résiduels, pour ne pas dire proches de zéro.

Concernant la question des déboutés, le rôle de la juridiction s'arrête au rendu de la décision qui est exécutoire. Nous n'interférons pas avec la problématique de l'exécution et de l'éloignement éventuelle.

Sur la question du recours suspensif et de leur caractère dilatoire, depuis la loi de 2018, un certain nombre d'entre eux sont désormais dépourvus de caractère suspensif devant la Cour. Par ailleurs, la loi a permis au demandeur de contester le caractère non suspensif du recours devant le juge administratif. Pour un certain nombre de recours, y compris ceux émanant de ressortissants en provenance de pays d'origine sûre, il y a quatre hypothèses mais ces recours devant la Cour ne sont plus suspensifs, sauf contestation devant le juge administratif.

Sur les aspects relatifs aux ressources humaines, nous sommes passés d'environ 300 agents il y a deux ans à plus de 650 à l'heure actuelle. Nous allons encore accueillir de nouveaux agents grâce au projet de loi de finances pour 2020, si les projections se réalisent et les autorisations nous sont données. C'est une croissance exponentielle que la Cour est obligée d'assumer avec le soutien du Conseil d'État, son autorité gestionnaire. Cela implique un important travail de recrutement, de formation, d'intégration, d'assimilation et d'harmonisation, qui occupe et mobilise le secrétariat général. Il faut trouver la place nécessaire pour installer ces personnes, même s'il ne s'agit pas forcément de la fonction essentielle et première d'une juridiction. Il se trouve que nous le faisons parce que nous devons mettre en oeuvre les moyens qui nous sont accordés. C'est une importante exigence de la Cour qui nous mobilise au quotidien.

Ces politiques permettent l'intégration d'agents selon plusieurs modalités. Pour faire face à une augmentation rapide des demandes, le législateur a accordé à la Cour des moyens supplémentaires – surtout sous la forme de postes de contractuels – pour lui laisser une capacité de manoeuvre dans l'hypothèse où les flux devraient s'inverser. Nous avons tout de même le souci de stabiliser l'emploi à la Cour, de le pérenniser et d'offrir aux agents qui sont recrutés des perspectives de carrière. Depuis un peu moins d'un an, nous avons entrepris une politique de stabilisation de l'emploi pour essayer de ramener le ratio contractuelstitulaires dans des proportions acceptables pour tout le monde qui permettent de mettre en oeuvre de manière plus durable des politiques sociales intéressantes et utiles pour les agents.

De mon point de vue, le taux de renouvellement n'est pas si élevé. Il est de l'ordre de 14 % sur l'ensemble des agents, ce qui représente un taux assez classique dans les administrations, sauf erreur de ma part. Il peut s'expliquer surtout par le recrutement important de rapporteurs à l'audience. Ce sont les agents qui préparent le travail des formations de jugement et des juges. Nous recrutons essentiellement de jeunes diplômés en maîtrise de droit qui viennent souvent à la Cour acquérir une première expérience. Il est bien naturel que lorsque nous les recrutons sous forme de contrat, une fois leur première expérience acquise, ceux-ci veuillent la faire fructifier à l'extérieur. Ce phénomène reste extrêmement mesuré puisque les taux de remplacements ou de départs sont, à ma connaissance, assez conformes à ce qui existe dans les autres administrations. Je ne les connais pas pour les autres juridictions.

Le centre de recherche de la Cour est unique pour une juridiction administrative. La Cour est la seule à avoir développé une capacité de cette nature, avec une quinzaine de chargés d'études et de chargés juridiques permanents au centre. Ces derniers sont en relation directe avec le ministère des Affaires étrangères, l'EASO et les associations de juges internationaux. Ils travaillent en commun avec toutes ces instances sur la ressource documentaire et sur le partage d'informations, notamment à travers la rédaction de guides de procédures et de guides d'information sur les pays d'origine. Le rôle de la Cour est très actif. Cette ressource n'est pas partagée avec l'OFPRA qui a lui-même développé son propre centre de documentation.

En revanche, l'OFPRA et la Cour organisent des missions conjointes de recherche documentaire et de mise à jour de l'information sur les pays. La semaine dernière, le directeur général de l'OFPRA m'a proposé deux missions conjointes : l'une en Asie centrale et l'autre en Côte d'Ivoire. Lors de ces missions sur le terrain, l'OFPRA envoie un officier de protection, et la Cour un rapporteur. L'objectif est de mettre à jour et de compléter l'information sur le pays qui sera ensuite partagée avec l'OFPRA.

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