Intervention de Valérie Boyer

Séance en hémicycle du jeudi 10 octobre 2019 à 21h30
Violences au sein des couples et incidences sur les enfants — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Boyer, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Merci beaucoup, monsieur le président, de ce geste.

Je me réjouis de la continuité de notre travail. J'ai eu la chance de me trouver dans cet hémicycle lorsque la loi Geoffroy a été votée et je suis heureuse de constater qu'elle a pu trouver une évolution, un bilan et un aboutissement dans cette niche du groupe Les Républicains.

La proposition de loi que j'ai souhaité présenter devant vous se veut novatrice, puisqu'elle aborde la question des violences dans leur dimension intrafamiliale. Je sais que des familles attendent beaucoup de nous sur le sujet.

Permettez-moi de reprendre le témoignage d'une mère de famille : « Malgré une condamnation au pénal et au civil pour violences conjugales, mon ex a conservé l'autorité parentale. Il a utilisé notre enfant pour s'acharner sur moi. Il ne respectait pas l'ordonnance de protection et il venait tout le temps en bas de chez nous pour me harceler, me demander de voir son fils, m'insulter. La justice n'a jamais cru qu'il était en danger avec son père. Au contraire, j'ai été accusée de vouloir séparer le père de l'enfant. »

Ce sont 119 femmes qui ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en France, depuis le début de l'année. Au moins 59 d'entre elles étaient mères ; 3 étaient enceintes, respectivement de trois, six et huit mois, et 2 ont été tuées avec leur fille. Elles laissent derrière elles au moins 121 orphelins ; 14 enfants ont été témoins des meurtres et 5 ont découvert le corps. Environ 143 000 enfants vivent dans un foyer où une femme a déclaré des formes de violences physiques etou sexuelles. En 2018, 21 enfants ont trouvé la mort dans ce contexte ; 82 sont restés orphelins et des milliers d'autres ont été témoins de scènes de violences qui les marqueront à vie.

Derrière ces chiffres il y a une réalité : une souffrance insupportable et inacceptable. Le temps est enfin venu de prendre en compte l'incidence de ces violences sur l'enfant. Trop longtemps, son statut de victime ou de covictime a été ignoré. Je vous propose de le replacer au centre de nos préoccupations, après avoir débattu, avec la proposition de loi précédente, des moyens de protéger le parent violenté.

En ce moment solennel, permettez-moi d'avoir une pensée pour Julie Douib, vraisemblablement assassinée cet été, en Corse, par son ex-conjoint, Bruno Garcia, ainsi que pour ses enfants et parents. Du fond de sa cellule, cet individu s'oppose à ce que la résidence de ses enfants soit fixée auprès de leurs grands-parents ; il s'oppose aussi à ce que ses propres enfants soient suivis sur le plan psychologique ou psychiatrique.

Tous les jours ou presque, des conjoints violents se servent ainsi des enfants. Tous les jours, ou presque, ces derniers sont réduits à l'état d'objets transactionnels permettant de maintenir l'emprise perverse du parent violent.

Si je veux saluer la décision du Président de la République de déclarer l'égalité entre les hommes et les femmes grande cause du quinquennat ainsi que le lancement par le Gouvernement, le 3 septembre dernier, du Grenelle des violences conjugales, auquel j'ai eu l'honneur de participer, je souhaite mettre en garde un certain nombre de mes collègues : il importe que nous soyons unis sur cette question, que nous approuvions sans réserve les mesures qui permettront de protéger ces enfants et que nous disions que la violence est l'arme du faible, le refuge de l'incompétent. Au courage des victimes qui dénoncent leur bourreau, à ces enfants qui vivent dans la souffrance physique et psychologique, nous ne pouvons pas répondre par la lâcheté, le silence, la division ni l'inaction. Nous ne pouvons pas répondre que nous verrons plus tard. Nous devons unanimement aujourd'hui le dire à ces victimes, à ces jeunes victimes : vous n'êtes pas seuls. Le combat contre les violences conjugales et pour la protection des enfants, nous commande d'agir partout où la dignité, la morale et la loi l'exigent. Nous devons agir sans attendre de nouvelles annonces, le temps presse. Nous connaissons tous ici une grande partie des mesures qu'il faut prendre pour lutter contre ce fléau. N'en doutez pas, il y a urgence.

Nous n'avons pas le temps d'attendre, pas plus que pour les bracelets électroniques ou l'ordonnance de protection. Il y a urgence pour les familles et les enfants détruits par ces violences. Je ne comprendrai pas que l'on puisse voter l'amélioration de la protection du parent et ne pas voter celle de la protection des enfants : l'une ne peut aller sans l'autre. Nous ne pouvons pas laisser plus longtemps associations, forces de l'ordre, avocats et magistrats pallier, seuls, les carences de notre législation dans ce domaine. Le travail et le dévouement de ces hommes et de ces femmes forcent l'admiration et le respect. Pourtant, ils se sentent souvent livrés à eux-mêmes, par manque de moyens, de temps ou de formation. Notre rôle de législateur doit être de les soutenir, et vite, avant qu'ils ne se retrouvent totalement dépassés.

Les propositions que j'aurais voulu formuler devant vous sont le fruit d'une importante réflexion menée depuis mes mandats précédents. J'ai souhaité faire évoluer le contenu de ma proposition initiale, par pragmatisme et grâce aux échanges très riches que j'ai eus avec les nombreuses personnes que j'ai auditionnées au cours des dernières semaines. Je tiens à remercier l'Assemblée nationale et ses administrateurs ainsi que mes collègues pour l'aide qu'ils m'ont apportée.

Je voudrais également saluer : des avocats, comme Me Nathalie Tomasini, très engagée sur ce sujet ; la chancellerie, qui m'a reçue à de nombreuses reprises, me disant que c'était beau parce que c'était inutile – j'espère que cela apparaîtra utile ce soir – ; des magistrats, comme le juge des enfants Édouard Durand, que je veux saluer, Luc Frémiot ou encore François Molins ; des personnalités, comme Françoise Laborde, auteure d'un excellent livre sur la souffrance des enfants, Éva Darlan, déjà citée ce matin, qui a énormément travaillé sur la question ; des associations, comme Women Safe ou la Fédération nationale solidarité femmes ; le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes ; le Centre Hubertine Auclert, qui a réalisé un travail exceptionnel ; des policiers ; de nombreux parlementaires de tous bords politiques, que je tiens à remercier de leur soutien constant.

Les modifications que je vais vous proposer tiennent compte des recommandations de la chancellerie, évidemment, ainsi que de celles de toutes les personnes auditionnées ces dernières semaines.

Les deux premiers articles du texte ont pour but de définir les formes que peuvent revêtir les violences intrafamiliales, quelle que soit leur nature – physiques, psychologiques, sexuelles ou économiques. Cette proposition a pu être qualifiée par certains d'inutile ou de superflue, mais elle ne l'est pas. Je vous rappelle qu'il s'agit en premier lieu d'une demande insistante des associations. Elle ne fait d'ailleurs que traduire dans notre droit interne la définition retenue par la convention d'Istanbul, ratifiée par la France en 2014.

Comment se fait-il, par exemple, que la notion de violence économique ne soit pas retenue par le code pénal alors que des personnes se voient empêchées de travailler ou se retrouvent spoliées ou isolées par leur conjoint ? Pourquoi la définition de ces violences n'est-elle toujours pas étendue à celles commises sur internet ou par tout autre moyen de communication électronique, lesquels ont pourtant fait l'objet d'une loi adoptée par nos soins ? Je crois profondément que, pour combattre résolument ces violences, il faut, avant toute chose, être capable de les nommer, comme Guy Geoffroy avait été capable de nommer les violences psychologiques dans sa proposition de loi de 2010.

Je ne m'attarderai pas sur l'article 4, qui avait pour but de faire face au caractère souvent réitéré des faits commis dans le cercle conjugal ou intrafamilial. J'admets volontiers que l'extension du fichier des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes n'était probablement pas le vecteur le plus adapté.

Les auditions que j'ai menées ont surtout mis en lumière l'insuffisance de la prise en considération, par la police et la gendarmerie, des mains courantes et des plaintes déposées par les victimes de ces violences – nous avons eu ce débat, mais il a été trop court. C'est pourquoi le statut de la main courante doit évoluer ; j'espère que le Grenelle en sera l'occasion. Je formule le voeu qu'une existence juridique soit donnée au registre des mains courantes pour les violences intrafamiliales et qu'un fichier central des mains courantes soit créé. À défaut, il faudra faire en sorte que la main courante soit abandonnée au profit exclusif des plaintes en cas de violences intrafamiliales.

J'insisterai enfin sur l'article 3 et sur les amendements que je défendrai – un jour peut-être –

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