Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du jeudi 3 octobre 2019 à 17h35
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec Mme de Sarnez au téléphone et de lui souhaiter un bon rétablissement ; je lui renouvelle mes voeux de bonne santé. Elle m'avait demandé de faire un point sur la situation internationale et de parler du budget : je vous propose, si vous en êtes d'accord, de faire un point sur l'Assemblée générale des Nations unies, puis de vous présenter le budget, avant de répondre à vos questions.

L'Assemblée générale des Nations unies s'est réunie à New York la semaine dernière. De nombreux sujets ont été abordés concernant les grands enjeux planétaires que sont le climat, la situation en Amazonie, les crises, la santé mondiale. Sur ces sujets que je ne fais qu'évoquer, la France a tenu son rang et joué son rôle. Mais je voudrais faire un point sur deux sujets en particulier : l'Iran et le multilatéralisme, qui ont été l'un et l'autre au centre des préoccupations et de l'action de la France, du Président de la République et de moi-même, au cours de cette semaine.

Tout d'abord, concernant l'Iran, le Président de la République a estimé qu'il y avait un espace politique pour engager un effort de désescalade dans la région. Il l'a estimé lors du sommet du G7 à Biarritz, après des échanges avec le Président Trump. Mon collègue Mohammad Javad Zarif, ministre des affaires étrangères iranien, est ainsi venu à Biarritz pour des échanges approfondis avec moi-même et un entretien avec le Président de la République, afin de tenter de faire baisser la tension.

Toutefois, la tension est ensuite remontée du fait, d'une part, des attaques par drones et par missiles dirigées contre des implantations pétrolières importantes en Arabie Saoudite, le 14 septembre, et, d'autre part, de l'annonce par l'Iran, en tout début septembre, d'une nouvelle mesure de désengagement de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien, avec le renoncement à la limitation de la recherche et développement dans la production nucléaire. Je répète ici, avec des mots choisis, que la responsabilité de l'Iran dans les attaques qui ont été menées contre l'Arabie Saoudite est extrêmement plausible ; en tout cas, il n'y a pas d'autre explication plausible et nous l'avons dit publiquement à New York avec le Royaume-Uni et l'Allemagne. Mais, pendant que nous étions à New York, le Président de la République a tenté d'amorcer une nouvelle désescalade, en relation étroite et directe avec le Président Trump et le Président Rohani, en essayant d'établir les paramètres qui permettraient d'aboutir à un accord.

Les paramètres seraient les suivants : d'un côté, l'Iran déclarerait ne jamais se doter de l'arme nucléaire, revenant ainsi en conformité avec l'accord de Vienne, et renoncerait aux mesures prises depuis le mois de mai. De plus, l'Iran s'engagerait dans la construction d'un plan régional de sécurité qui permettrait de traiter les crises de la région, y compris la crise iranienne. De l'autre côté, les États-Unis lèveraient les sanctions économiques qui pèsent sur l'Iran et lui permettraient d'utiliser librement ses ressources pétrolières. Nous avons discuté de ces points à très haut niveau. Je n'aurais pas détaillé tout cela si la presse américaine n'en avait pas parlé ce matin et la presse française cet après-midi.

Ces initiatives n'ont pas pu aboutir pour l'instant mais sont toujours sur la table : il appartient désormais à l'Iran et aux États-Unis de s'en saisir, dans un temps relativement contraint puisque l'Iran a annoncé de nouvelles mesures de réduction de ses obligations au titre de l'accord de Vienne en début novembre. Ces mesures-là risquent d'aboutir à une nouvelle période de tension et à une nouvelle escalade : il faut donc profiter de l'espace politique existant pour essayer d'avancer sur ces sujets. Je voulais vous en informer pour vous apporter l'éclairage nécessaire sur ces questions importantes.

Le deuxième point que je voulais mettre en avant concerne le multilatéralisme. J'ai eu l'occasion de souligner l'attachement viscéral de la France au multilatéralisme, face à tous ceux qui le remettent en cause aujourd'hui, soit du fait de leur désengagement, soit du fait d'un usage du multilatéralisme pour les intérêts de telle ou telle puissance, soit du fait du renoncement à des financements ou à des projets. Il y a, depuis quelques mois, voire quelques années, une logique de déstructuration du multilatéralisme tel qu'il résulte des accords conclus après la dernière guerre. Nous avons souhaité prendre des initiatives pour montrer que les États attachés au multilatéralisme sont encore majoritaires. Il fallait donc pour cela activer le levier de la mobilisation politique des États et des acteurs de la société civile les plus engagés. C'est l'initiative que nous avons prise avec mon collègue allemand Heiko Maas et nous avons été heureusement surpris de constater que, à la réunion de constitution de l'Alliance pour le multilatéralisme, plus de soixante-dix pays étaient présents, dont cinquante au niveau ministériel, venus de tous horizons géographiques et politiques. Cette initiative a pour objet de mobiliser les nations mais aussi la société civile sur un certain nombre de grands sujets, au service de projets concrets et innovants, pour lesquels il est possible d'établir des rapports de force et des propositions concrètes.

Six initiatives ont été évoquées au cours de cette première rencontre, dont le Partenariat Information et démocratie, lancé par Reporters sans frontières pour réguler les manipulations de l'information ; l'initiative Priorité à l'égalité dans l'éducation, lancée par l'UNESCO et reprise par l'Alliance pour le multilatéralisme ; la mise en oeuvre de principes sur les systèmes d'armes létales autonomes ; la mise en oeuvre du droit humanitaire dans les environnements de conflit ; la prise en compte de l'Appel de Paris pour la sécurité et la confiance dans le cyberespace. Tous ces projets montrent que l'on peut développer le multilatéralisme par la preuve : en revenant aux fondamentaux de l'action collective, en agrégeant les bonnes volontés, la méthode multilatérale permet d'obtenir des résultats rapides et efficaces au bénéfice de tous.

L'initiative que nous avons prise intervient à un moment important, que l'on appelle la « semaine ministérielle » aux Nations unies. Elle a beaucoup marqué car la présence de soixante-dix pays, représentés par de nombreux ministres, a créé un événement. Il ne s'agit pas pour nous de nous substituer aux Nations unies mais au contraire de mettre ces initiatives nouvelles au service des Nations unies, afin de susciter de nouvelles mobilisations sur les sujets majeurs qui concernent l'ensemble de la planète.

Tels sont les deux points que je voulais mettre en avant, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, sur l'Assemblée générale des Nations unies. Je suis tout à fait disposé à vous en parler plus longuement si vous le souhaitez.

Je voudrais maintenant aborder le budget 2020. Celui s'élève à 5,015 milliards en CP et dépasse donc pour la première fois le seuil des 5 milliards d'euros. Il affiche une hausse de 138,5 millions, soit l'équivalent de 3 %, par rapport à la loi de finances initiale pour 2019. Il se décompose en 2,87 milliards pour la mission Action extérieure de l'État, dont les moyens sont stabilisés et même en hausse de 2,3 millions d'euros, et de 2,14 milliards pour le programme 209 de la mission Aide publique au développement, en nette augmentation de 136,2 millions d'euros.

Je veux tout d'abord évoquer la réforme des réseaux de l'État à l'étranger que nous menons dans le cadre d'Action Publique 2022 pour améliorer encore l'efficacité de notre action. Elle permet de mutualiser nos moyens humains et de renforcer la cohérence de l'action interministérielle de nos ambassadrices et de nos ambassadeurs. Cette réforme consiste en une réorganisation du mode de gestion des réseaux de l'État à l'étranger. Elle place le Quai d'Orsay au centre du jeu : le Premier ministre a en effet conforté mon ministère dans son rôle de pilotage interministériel de l'action extérieure de l'État. La gestion des emplois de soutien et des crédits de fonctionnement de tous les réseaux internationaux de l'État est aujourd'hui unifiée sous la seule responsabilité du ministère des affaires étrangères. Nous mettons par ce biais un terme la gestion en silo des ressources humaines et des crédits de l'État à l'étranger pour atteindre la trajectoire d'économie que le Premier ministre nous a fixée, trajectoire équivalente à 5,7 % de notre masse salariale d'ici 2022. Je le précise car vous vous étiez inquiétés, l'année dernière, de l'objectif d'une économie de 10 % de la masse salariale à l'horizon 2022 : grâce à l'action de tous, et singulièrement à la vôtre, cet objectif a été réduit à 5,7 %.

Ces économies nécessaires concerneront d'abord la masse salariale du ministère : nous sommes déjà engagés dans la suppression de 160 emplois de notre réseau à l'étranger en 2019 et nous réaliserons 81 nouvelles suppressions en 2020. Le plafond d'emplois du ministère se trouvera ramené à 13 524 équivalents temps plein travaillé (ETPT) l'an prochain, ce qui représente près de 15 millions d'euros de réduction sur la masse salariale du ministère.

Hors pensions, les crédits de personnel totaliseront 977 millions d'euros en 2020, soit moins d'un cinquième du budget du ministère des affaires étrangères, avec une hausse modérée de 1,6 %. Vous pouvez trouver étonnant que, alors que les emplois diminuent, la masse salariale augmente, mais ce phénomène n'est pas propre à mon ministère : les emplois de l'État ont diminué de plus de 10 % en dix ans, alors même que sa masse salariale augmentait de 10 %. Cela s'explique en grande partie par les mesures catégorielles ou interministérielles ainsi que par le glissement vieillesse technicité (GVT).

Pour ce ministère, un autre élément doit être pris en compte cette année : nous avons amélioré la sincérité de notre projet de budget en présentant une masse salariale qui anticipe les effets de l'inflation mondiale sur les rémunérations des agents expatriés et les agents de droit local de nos ambassades. En effet, les trois quarts des agents du ministère sont en poste à l'étranger et sont donc exposés aux effets de l'inflation mondiale, nettement supérieure à l'inflation en France. Jusqu'à présent, nous vous demandions de prendre cela en compte a posteriori, lors du vote d'une augmentation de notre masse salariale en loi de finances rectificative : il fallait continuer à renégocier en fin d'exercice. Pour la première fois, dans le projet de loi de finances pour 2020, nous avons pu obtenir que la provision soit intégrée dès le budget initial ; elle est estimée à 15 millions d'euros.

Par ailleurs, j'ai obtenu que le risque d'une perte au change soit couvert par la mobilisation de notre réserve de précaution. C'est une évolution importante puisque les risques de change sont réels, même si nous essayons de les anticiper. Cela assure une plus grande sincérité du budget, mais aussi une plus grande clarté et un plus grand confort dans la gestion de la masse salariale.

J'en viens à nos deux missions budgétaires, hors masse salariale. Dans le cadre de la mission Action extérieure de l'État, les moyens du programme 105 Action de la France en Europe et dans le monde sont maintenus à 1,13 milliard ; le programme 151 Français à l'étranger et affaires consulaires se maintient avec 136 millions d'euros ; enfin, le programme 185 Diplomatie culturelle et diplomatie d'influence augmente de plus de 3 %. J'avais pris devant vous l'engagement non seulement de ne pas diminuer – c'était le cas auparavant – mais même d'augmenter progressivement les financements affectés à la diplomatie culturelle et d'influence. C'est encore le cas cette année, de manière d'ailleurs plus significative que l'année dernière : les moyens de notre réseau politique d'influence sont en hausse et les moyens de notre réseau consulaire sont stabilisés.

Je voudrais, sur la mission Action extérieure de l'État, faire quatre remarques. Première remarque, il nous faut des crédits de fonctionnement adaptés à nos besoins pour nous permettre de travailler. Les crédits des services centraux et des postes sont donc en légère hausse. La réforme des réseaux de l'État, à laquelle je faisais référence en commençant, nous permet en outre de dégager une économie de 3 millions d'euros sur les moyens de fonctionnement du réseau. Ces économies seront permises notamment par la renégociation des contrats de prestations de services, désormais unifiés par nos ambassades ; cela fera par exemple baisser le coût de nos factures de téléphone, puisqu'il y avait des prestations spécifiques pour chacun des services. Autre exemple d'efficacité, cela permet aussi de rationaliser le parc automobile des ambassades.

J'ai veillé également à augmenter les moyens de l'entretien de notre patrimoine à l'étranger. Le budget immobilier passe de 72 à 80 millions d'euros, soit une augmentation de 9 %. Comme je m'y étais engagé devant vous, nous avons stoppé l'hémorragie de nos biens immobiliers à l'étranger, qui constituent des outils de travail majeurs et dont le rôle, en termes d'influence et d'attractivité, est indéniable. Nous mettons l'ensemble des considérations que je viens d'indiquer dans la balance avant d'engager une cession, et pas uniquement les considérations financières. Cela s'accompagne également du renforcement de notre budget immobilier. Ce faisant, je réponds à des demandes qui avaient été exprimées ici l'année dernière : si vous me permettez l'expression, je suis au rendez-vous !

Je vous confirme par ailleurs – c'était un engagement de ma part – que le plan de sécurisation de nos ambassades et des lycées français sera poursuivi en 2020. Je vous rappelle que 100 millions d'euros ont été rendus disponibles à cette fin, en 2019 et 2020, sur les crédits du compte d'affectation spéciale 723. Nous mobilisons des moyens croissants pour faire face aux menaces qui pèsent sur nos implantations à l'étranger, en particulier sur certains sites. Ce programme sera complètement réalisé en 2020.

Ma deuxième remarque concerne les crédits de la diplomatie culturelle et d'influence : en hausse de 3 %, ils atteignent 643 millions d'euros. Cette évolution inverse de celle initialement prévue dans la loi de programmation des finances publiques est donc conforme aux engagements que j'ai pris. Dans un contexte de concurrence d'influence exacerbée au plan international, cela est indispensable pour promouvoir l'enseignement et la diffusion de notre langue, porter notre vision de la culture et défendre nos industries culturelles et créatives. J'ai fait des industries culturelles et créatives l'axe majeur de travail en 2019-2020 tant pour nos postes que pour notre diplomatie économique.

Par ailleurs, les moyens de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) seront augmentés de 24,6 millions d'euros. Notre subvention à cet opérateur atteindra ainsi 408,6 millions. C'était un engagement que j'avais pris : là aussi, je suis au rendez-vous. Notre rôle est de continuer à accompagner le développement maîtrisé du réseau d'établissements d'enseignement français à l'étranger, en particulier là où les communautés françaises se développent rapidement. Ces moyens supplémentaires aideront à atteindre l'objectif fixé par le Président de la République de doubler le nombre d'élèves scolarisés dans le réseau d'ici 2030. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès de moi, viendra dans quelques jours présenter devant votre commission le plan de travail que nous avons préparé en nous appuyant en particulier sur les travaux de Mme Samantha Cazebonne ; ce plan de travail sera public dans peu de temps. Enfin, la participation financière des familles sera ramenée de 9 % à 6 %, conformément aux engagements que j'avais pris devant vous. L'année dernière, vous aviez beaucoup protesté et cette détermination de la commission se traduit par une concrétisation financière très significative.

Troisième remarque, nous consacrerons les deux tiers des crédits du programme 105, soit 721 millions d'euros, aux contributions européennes et internationales. La réduction du coût des opérations de maintien de la paix – 307 millions, en baisse de 19 millions d'euros – permet de compenser la hausse de nos contributions aux organisations internationales – elles s'élèvent à 414 millions d'euros –, qu'elles soient européennes, comme le Conseil de l'Europe, ou internationales, principalement sur les projets de sécurité collective ou sur les opérations d'influence, comme le soutien de nos compatriotes jeunes experts associés dans les organisations internationales. Nous poursuivrons aussi notre investissement dans notre sécurité nationale et les moyens dédiés à la coopération de sécurité et défense sont stables, à hauteur de 32,5 millions d'euros, afin de renforcer les capacités de nos partenaires à lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée.

Enfin, quatrième remarque, nos Français résidant ou de passage à l'étranger constituent un vecteur d'influence et d'attractivité considérable. Nous poursuivons donc la modernisation de notre action consulaire pour leur assurer un meilleur service public grâce à une dématérialisation accrue de leurs démarches administratives. Près de 4,5 millions d'euros seront dédiés en 2020 aux quatre projets emblématiques que nous menons de front : le vote par internet, le site de réponse téléphonique et courriel unique – je salue à cet égard le travail effectué par Mme Genetet –, France-Visas et le registre d'état civil électronique.

À ce propos, l'ordonnance permettant l'expérimentation du registre d'état civil électronique est passée ce matin en conseil des ministres : nous pourrons donc mettre en oeuvre cette expérimentation en 2020. Il s'agit d'une innovation considérable, notamment en ce qui concerne la reconnaissance de la signature de l'officier d'état civil sur les actes électroniques. Cette modernisation de fond permettra de supprimer certains coûts et évitera aux Français d'effectuer parfois plusieurs centaines de kilomètres pour venir chercher tel ou tel acte d'état civil.

Je vous confirme par ailleurs que l'enveloppe des bourses scolaires sera préservée à hauteur de 105 millions d'euros. En cas de besoin supérieur, la soulte accumulée par l'AEFE, liée à la sous-consommation des crédits les années passées, permettra en toute hypothèse de couvrir l'ensemble des besoins.

Je voudrais aussi profiter de cette évocation de notre réseau consulaire pour vous rappeler que le travail des agents de mon ministère apporte aussi des recettes directes au budget de l'État. Ces recettes ont été de 239 millions d'euros l'an passé : 21 millions d'euros pour les droits de chancellerie et 218 millions d'euros pour les droits de visa. Compte tenu de notre politique d'attractivité touristique et du développement touristique que nous constatons, ainsi que de la croissance continue du nombre de Français à l'étranger, je ne doute pas que ces recettes continueront d'augmenter.

J'en viens maintenant à la deuxième mission budgétaire de mon ministère : l'APD. Je voudrais au préalable faire une précision de méthode importante : comme vous le savez, l'APD correspond à l'agrégation de dépenses très diverses dont le recensement obéit à des standards très précis établis par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Nous ne dérogeons pas à ces principes et les comparaisons entre les différents acteurs au niveau international sont faites sur la base de ces standards.

L'aide au développement concerne les dépenses relatives aux réfugiés, les dépenses de recherche dans le domaine du développement, qui sont inscrites dans d'autres programmes budgétaires. S'y ajoutent des flux financiers : les prêts de la France à des institutions multilatérales, les prêts de l'Agence française de développement (AFD) comptabilisables en APD, des dépenses relevant d'autres entités publiques de l'État, la part des financements français transitant par l'Union européenne, les agences de l'eau, etc. Cette agrégation de dépenses aboutit au montant de l'APD, que ce soit en France ou ailleurs. Au sein de cet ensemble hétérogène, la mission budgétaire Aide publique au développement, qui correspond pour l'essentiel aux dépenses pilotables, ne compte que pour un tiers environ du total.

Cette mission budgétaire est elle-même composée de deux programmes : le programme 110 Aide économique et financière au développement, qui est géré par le ministère de l'économie et des finances, avec 4,48 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 1,14 milliard en crédits de paiement (CP) ; et le programme 209 Solidarité à l'égard des pays en développement, qui est sous ma responsabilité.

Le programme 209, hors dépenses de personnel, représente 2,68 milliards d'euros en AE et 1,98 milliard d'euros en CP, soit plus de 50 % de notre budget global. Cette hausse de 128 millions d'euros en comparaison avec 2019 nous permettra de poursuivre une trajectoire ascendante de l'APD, dans la perspective d'y consacrer 0,55 % de notre revenu national brut (RNB) d'ici 2022 conformément à l'engagement du Président de la République, qui l'a encore rappelé fin août, lors de la conférence des ambassadeurs et des ambassadrices.

Nous avons d'ores et déjà redressé largement notre trajectoire d'APD, qui avait atteint son niveau le plus bas en 2016 avec 8,6 milliards d'euros. En 2018, dernière année dont les chiffres sont validés par l'OCDE, nous avons réalisé 10,3 milliards d'euros d'APD, soit 0,43 %. Si nous n'avons pas encore les chiffres pour 2019, ce pourcentage sera évidemment en hausse car le budget 2019 était déjà en progression. Le futur projet de loi de programmation relative à la politique française de développement visera, entre autres, à présenter les ordres de grandeur de l'APD sur la période 2020-2022 avec l'objectif d'atteindre 0,55 %.

Les priorités pour l'APD en 2020 resteront celles fixées par le comité interministériel de la coopération internationale du développement (CICID) du 8 février 2018 : des priorités sectorielles – climat, santé, éducation, traitement des fragilités et prévention des crises, égalité entre les femmes et les hommes – et des priorités géographiques assumées – l'Afrique en général, dont dix-neuf pays prioritaires en particulier, et les pays en crise.

Plus précisément, l'action que nous menons grâce au programme 209 repose sur une logique triple : d'abord, la logique bilatérale. Pour établir les leviers d'action directs de la France sur nos priorités géographiques et sectorielles, nous poursuivons la dynamique entamée l'an passé, qui avait d'ailleurs reçu l'accord unanime de la commission, visant à renforcer la composante bilatérale de notre APD d'ici 2022. Nous maintenons l'objectif d'allouer les deux tiers de la hausse moyenne des AE à des actions bilatérales et un tiers à la coopération multilatérale.

Dans ce contexte, trois vecteurs de notre aide bilatérale seront particulièrement privilégiés en 2020.

Premièrement, les moyens consacrés localement aux projets initiés par les ambassades, les fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI), dont vous avez sans doute entendu parler au cours de vos déplacements ; vous savez l'attachement des postes à cette disponibilité. Les FSPI atteindront 60 millions d'euros, soit plus 36 millions par rapport à la loi de finances initiale de 2019. Ces programmes, qui sont directement à la main des ambassadeurs, sont très efficaces pour financer des projets très concrets dans un temps court, en conformité avec nos engagements de Ouagadougou et en complément de l'action de l'AFD. Je citerai un exemple : à Madagascar, nous contribuons au renforcement de la formation professionnelle en accompagnant, d'une part, la professionnalisation de l'offre de formation via un FSPI spécifique et, d'autre part, en contribuant à la création de la première école d'ingénieurs utilisant l'alternance à Madagascar à travers un financement AFD. Il y a donc une complémentarité entre l'immédiateté de la mobilisation du FSPI et l'action à plus long terme opérée par l'AFD.

Deuxième priorité dans le bilatéral : l'aide humanitaire bénéficiera d'un effort budgétaire supplémentaire de 100 millions, comme l'a souhaité le Président de la République. C'est la première fois que de tels montants sont dédiés aux crises humanitaires. Cela permettra notamment d'augmenter de 50 % les moyens consacrés à la gestion et à la sortie de crise, pour atteindre 155 millions d'euros, conformément à la stratégie humanitaire française de 2018.

Troisième priorité dans le bilatéral : une nouvelle augmentation, à un rythme moins soutenu, des moyens alloués à l'AFD depuis 2018 au titre de l'aide projet, qui reste l'instrument central de l'aide bilatérale. L'aide projet AFD sera dotée de plus d'un milliard d'euros en AE, soit un doublement par rapport à 2018. Même si cela est inférieur à ce que certains espéraient pour 2020, il n'empêche que ce sont les CP qui comptent et non les AE, comme vous me l'aviez rappelé avec raison l'année dernière. Or, 475 millions d'euros en CP seront consacrés à l'aide projet AFD, auxquels s'ajouteront les 186 millions d'euros de crédits extrabudgétaires imputés au Fonds de solidarité pour le développement (FSD), soit une hausse de 44 % – excusez du peu ! Je rappelle d'ailleurs que l'OCDE calcule en CP et non en AE.

Dans cet ensemble, les fonds destinés à soutenir l'action de la société civile augmenteront. Ainsi, en 2020, la subvention Dons aux ONG – organisations non gouvernementales – mise en oeuvre par l'AFD dépassera pour la première fois le seuil de 100 millions d'euros, conformément aux engagements que j'avais pris devant les ONG. Le soutien au dispositif de volontariat sera également en hausse pour s'établir à près de 22 millions d'euros, soit plus 8 % par rapport à l'an dernier.

Par ailleurs, les crédits relatifs à la coopération décentralisée, sujet de préoccupation pour beaucoup d'élus, augmenteront de 24 % pour atteindre 11 millions d'euros avec pour objectif, je m'y étais engagé, leur doublement d'ici 2022. C'est un relais d'influence majeur pour notre image dans le monde mais aussi un canal d'intervention important pour notre aide au développement ainsi que pour la promotion et l'attractivité de nos territoires à travers le monde. Nous comptons beaucoup sur les collectivités, en particulier pour la mobilisation en faveur du développement de la zone Sahel et aussi pour la préparation du sommet Afrique-France, qui aura lieu en 2020 à Bordeaux et dont le thème central sera consacré à la ville durable. Au titre des leviers bilatéraux, je n'oublie pas les autres opérateurs agissant dans le domaine du développement comme Expertise France, l'Institut de recherche pour le développement (IRD) ou le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD).

Notre action en matière de développement répond aussi à une logique multilatérale. La France est déterminée à préserver un multilatéralisme efficace et responsable, ce qui suppose d'apporter un soutien politique et financier conséquent au système de développement et d'aide humanitaire des Nations unies, en lien avec les priorités que nous nous fixons en faveur de la jeunesse et de l'égalité entre les hommes et les femmes. C'est pourquoi notre appui volontaire en faveur des organisations internationales atteindra 292 millions d'euros en CP en 2020, soit 97 millions de plus que l'an dernier. Il soutiendra l'action des agences des Nations unies impliquées dans l'action humanitaire : le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), l'Office international pour les migrations (OIM), l'ONU Femmes, le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP). Nous poursuivrons par ailleurs nos efforts en faveur de l'éducation en augmentant notre contribution à l'UNESCO dédiée à l'employabilité des jeunes, notamment des jeunes filles adolescentes. Enfin, nous accentuerons notre appui financier à la nouvelle académie de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), dont l'ambition est d'accueillir les professionnels mondiaux de la santé sur notre territoire, à Lyon. Nous aurons l'occasion d'en reparler la semaine prochaine car cela fera l'objet d'une communication importante lors de la réactivation du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui se tiendra à Lyon, les 9 et 10 octobre.

Par ailleurs, l'enveloppe consacrée aux autres contributions volontaires hors Nations unies quadruplera presque et atteindra 100 millions d'euros. Ces contributions répondent à des engagements pris dans le cadre du G7 et sont axées sur les priorités définies lors du dernier CICID : les fragilités, dont la facilité de l'Union européenne pour les réfugiés en Turquie ou au fonds Bêkou pour la République centrafricaine ; le Partenariat mondial pour l'éducation ; le climat, avec le financement pour le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), pour les Systèmes d'alerte précoce en cas de risque climatique (CREWS) ou encore l'Initiative pour la forêt d'Afrique centrale (CAFI).

Dans cette même rubrique, l'égalité entre les femmes et les hommes sera aussi abondée de façon très conséquente, en particulier par notre contribution à la conférence « Pékin+25 », à l'initiative pour favoriser l'accès des femmes au financement en Afrique (AFAWA) de la Banque africaine de développement, et enfin sur la santé, ou encore au Fonds Mukwege, destiné à lutter contre les violences sexuelles faites aux femmes. N'oublions pas non plus le facteur important d'influence que constitue la francophonie, avec une contribution statutaire et volontaire versée aux opérateurs de la francophonie et, en particulier, à l'Organisation internationale de la francophonie, dont le montant demeure à un niveau élevé – 47,9 millions –, permettant à la France de consolider son rôle dans ce domaine.

En outre, plusieurs de nos contributions multilatérales dans le domaine de la santé, de l'éducation et du climat resteront, comme les autres années, financées partiellement ou totalement par le FSD, alimenté par deux taxes affectées : la taxe sur les transactions financières et la taxe de solidarité sur les billets d'avion. Ce sera le cas pour le Fonds vert pour le climat, dont la prochaine conférence de reconstitution se tiendra à Paris fin octobre, avec un doublement de la contribution française. Ce sera le cas également du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, du fonds UNITAID ainsi que du Partenariat mondial pour l'éducation.

Enfin, notre politique de développement se déploie aussi selon une logique européenne. La moitié des crédits du programme est destinée à alimenter, à hauteur de 842 millions d'euros, le Fonds européen de développement, dont les objectifs sont d'éradiquer la pauvreté, de promouvoir le développement durable et d'intégrer dans l'économie mondiale les pays signataires de la convention de Lomé et de l'accord de Cotonou. Il s'agit, de loin, du plus gros poste budgétaire du ministère, qui permet à la France d'assurer son rang de deuxième contributeur au Fonds européen de développement. Nous veillerons dans ce cadre à ce que nos priorités soient bien prises en compte dans le futur cadre financier pluriannuel européen, le CFP 2021-2027, qui est déjà en discussion. Nous insisterons pour que la priorité soit donnée à l'Afrique, aux pays les moins avancés ou encore à la lutte contre le changement climatique. La forte adéquation entre ces priorités européennes et les priorités françaises participe de la cohérence de notre politique de développement et de solidarité internationale.

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