Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du mercredi 9 octobre 2019 à 14h35
Commission des affaires étrangères

Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes :

Merci, madame la présidente, pour votre invitation à m'exprimer devant votre commission en amont du prochain Conseil européen qui se tiendra les 17 et 18 octobre prochains. L'Europe n'est pas l'étranger puisque l'Europe, c'est nous tous mais de nombreux sujets nécessitent que nous puissions échanger tout de même.

La semaine qui vient est une semaine très importante pour l'Europe et pour la France en Europe. Il s'y déroulera un Conseil Affaires étrangères, un Conseil Agriculture, un Conseil Affaires générales, un conseil des ministres franco-allemand à Toulouse le 16 octobre, puis le Conseil européen, les 17 et 18 octobre.

Ce Conseil européen se déroule dans un contexte particulier : celui des auditions des commissaires désignés par le Parlement européen qui sont, comme vous le savez, toujours en cours. Ce processus vise à la fois à s'assurer des compétences et de l'intégrité des candidats, ainsi que de leur engagement européen afin de permettre une entrée en fonction de la Commission le 1er novembre. La prochaine étape est celle du vote d'investiture du collège des commissaires, prévu le 23 octobre, pendant la session plénière du Parlement européen à Strasbourg.

Ce Conseil européen sera également marqué par le contexte du retrait du Royaume-Uni qui devrait intervenir le 31 octobre.

Les nouvelles propositions sur l'Irlande et l'Irlande du Nord présentées par le Premier ministre britannique le 2 octobre permettent de clarifier la position de son gouvernement et sont, en ce sens, bienvenues. Toutefois, elles soulèvent d'importantes difficultés au regard des principes définis par l'Union depuis le début de la négociation, à savoir la protection de l'intégrité du marché unique, l'absence de frontière physique en Irlande par le respect absolu des accords du Vendredi saint et la loyauté dans les relations commerciales futures. Elles sont par conséquent, en l'état, insuffisantes.

Le dispositif envisagé pour les contrôles douaniers repose sur des arrangements qui ne sont pas détaillés et ne seront pas opérationnels au jour du retrait, ce qui ne permet pas de s'assurer que les produits qui entreront dans l'Union européenne respecteront bien les normes européennes dès lors que les petites et moyennes entreprises (PME), en particulier, seraient exemptées de nombreuses procédures de contrôle. Le risque de contrebande n'est pas levé. Par ailleurs, le gouvernement britannique propose d'introduire un mécanisme qui rend les arrangements caducs dans le cas où l'Irlande du Nord ne donnerait pas son consentement et ce, tous les quatre ans. Cela remet en question les garanties ouvertes par l'actuel accord de retrait : il n'y aurait plus de « filet de sécurité » garantissant automatiquement l'absence de frontière physique et la protection du marché unique en toutes circonstances.

Dans ces conditions, la Commission et les vingt-sept États membres ont constaté que les nouvelles propositions ne constituaient pas une base suffisante pour conclure un accord et qu'il fallait continuer à négocier. L'enjeu est très important. Au-delà de ce que certains considèrent comme un jeu, il y a des millions de citoyens, d'emplois et d'entreprises. Il y a 300 000 Français au Royaume-Uni et 150 000 Britanniques en France qui attendent des perspectives, au-delà des ordonnances que nous avons déjà prises sur le sujet. Nous avons comme priorité leurs intérêts. Nous avons aussi des impératifs de sécurité collective qui nécessitent la plus étroite collaboration.

Je pourrai y revenir plus tard plus en détail à l'occasion des questions et notamment sur un éventuel report de la date de sortie. Cela dépendra d'une éventuelle nouvelle configuration politique britannique liée à des élections législatives ou à un nouveau référendum. En effet, je ne suis pas sûre de l'utilité d'un nouveau report de quelques mois dans la même configuration politique.

Au-delà du Brexit, ce Conseil européen sera l'occasion pour les chefs d'État et de gouvernement de revenir sur les dossiers structurants pour l'avenir de l'Union.

Une discussion aura lieu sur la mise en oeuvre de notre agenda stratégique pour les cinq prochaines années. Parmi les chantiers prioritaires que la nouvelle Commission entend mettre en oeuvre, un grand nombre de propositions font écho aux priorités que nous portons, concernant par exemple la lutte contre le changement climatique – avec le « pacte vert européen » –, la création d'un bouclier social – avec l'annonce d'une proposition sur un salaire minimum juste pour tous les travailleurs de l'Union – ou encore la protection, des frontières extérieures, l'innovation, la souveraineté numérique ou le programme d'intelligence artificielle.

Il revient désormais au Conseil européen d'examiner précisément la manière dont les priorités définies dans le programme stratégique adopté en juin seront reprises dans le programme de travail de la Commission. La réunion des chefs d'État ou de gouvernement des 17 et 18 octobre, à laquelle participera Ursula von der Leyen, permettra ainsi d'évoquer les initiatives à porter sur le plan politique dès l'entrée en fonction de la nouvelle Commission.

À la demande de la France, qui a été suivie par un grand nombre d'États membres, le Conseil européen aura un débat sur les enjeux climatiques. Cette discussion nous semble indispensable pour parvenir rapidement à un consensus sur l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 et sur les moyens d'atteindre les ambitions proposées par la Commission pour 2030.

Enfin, les chefs d'État et de gouvernement auront une première discussion politique sur le cadre financier pluriannuel (2021-2027) sur la base des travaux conduits jusqu'à présent. Ce sera l'occasion pour le Président de la République de rappeler les priorités françaises, sur l'agriculture et son accompagnement dans sa transition écologique, sur la convergence sociale, sur la jeunesse, sur la protection des frontières et de plaider pour la création de nouvelles ressources propres. Je veux faire ici remarquer que nous avons un vrai problème de sous-consommation des crédits européens. Il y a là un problème de crédibilité. On ne peut pas demander une augmentation des enveloppes budgétaires, alors que celles existantes ne sont pas consommées en totalité. Il y a des barrières bureaucratiques qui expliquent ces difficultés. Il nous faut une mobilisation nationale pour les lever et arriver à déployer la politique européenne. C'est ce que j'appelle l'Europe du concret. Je l'accompagne et je compte également sur votre vigilance auprès des autorités de gestion que sont les régions.

Pour les ressources de l'Union, il y a un consensus sur la contribution plastique. Sur le marché des quotas à polluer, ce n'est pas acquis, mais nous progressons. Sur la taxe carbone aux frontières, nous menons un travail franco-allemand en vue d'une proposition commune. Pour les autres ressources propres, le combat doit être poursuivi.

Enfin, l'un des plus importants sujets d'actualité européenne que je souhaitais évoquer avec vous est celui de l'élargissement. Le CAG du 15 octobre doit se prononcer sur la question de l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Macédoine du Nord et l'Albanie. Notre position est encore à affiner.

Nous reconnaissons l'aspiration européenne des pays candidats. En même temps, nous considérons que le processus d'élargissement doit d'abord tenir compte de la priorité pour l'Union d'être approfondie et de voir son fonctionnement amélioré. Dans ce contexte nous nous déterminerons à l'aune de deux critères principaux.

D'abord, les pays candidats doivent respecter la totalité des critères fixés, en particulier concernant l'État de droit et la bonne gouvernance économique. Le processus d'élargissement est fondé sur des critères exigeants et les mérites propres des candidats, sans calendrier préétabli. Il suppose des efforts considérables en matière d'État de droit et de bonne gouvernance économique. En Macédoine du Nord, l'accord historique de Prespa avec la Grèce doit être salué. Nous avons néanmoins encore des questions sur l'indépendance de la justice et du statut du parquet. L'Albanie a fait un effort tangible sur ce point mais des progrès restent encore à faire sur le nombre et la formation des magistrats. En définitive, des améliorations sont encore à attendre sur la réforme de la justice, la lutte contre la corruption et la criminalité organisée, les droits fondamentaux et la réforme de l'administration.

Ensuite, nous considérons que la procédure de négociations entre l'Union et les pays candidats à l'adhésion doit être revue. Il est extrêmement lent et irréversible. Surtout, il accélère le « brain drain » qui continue à des rythmes élevés. Il faut pourtant que les pays concernés gardent une vivacité culturelle, intellectuelle, sociale, économique et politique. Ils ont besoin de leur classe moyenne et de la jeunesse la mieux formée pour être de futurs partenaires.

Cette nouvelle approche, plus incitative, plus graduelle mais aussi réversible, doit permettre d'avoir des résultats tangibles que les citoyens souhaitent voir. La France n'est pas là pour donner une apparence de fermeté, elle recherche simplement à assurer que les critères soient respectés et à insister sur la révision du processus de négociation.

Sur l'asile, nous soutenons la réforme telle qu'elle est portée par la présidente de la Commission Ursula von der Leyen. Il est nécessaire de créer une agence européenne de l'asile mais aussi de réformer l'accord de Schengen. Tout cela doit être conduit dans un même élan. Nous avons avancé sur ce point au Conseil JAI, au moins pour considérer que tout ne va pas très bien dans ce domaine.

En ce qui concerne Airbus et le différend à l'OMC, nous sommes en négociation, mais l'intégralité des mesures de rétorsions éventuelles qu'il faudra mettre en oeuvre si nous ne pouvons pas trouver d'accord sont prêtes. La présence de la chancelière Angela Merkel à Toulouse mercredi prochain est par ailleurs un signal politique fort.

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