Intervention de Ernestine Ronai

Réunion du mardi 1er octobre 2019 à 19h15
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Ernestine Ronai, responsable de l'Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes, co-présidente de la commission Violences de genre du HCEfh :

Dans le droit fil de ce qui vient d'être dit, je vais repartir de la société et dire que nous vivons un moment un peu particulier dans notre société aujourd'hui. Notre société commence à mieux prendre conscience de la dangerosité des hommes violents. En même temps, si nous reprenons l'histoire – je vais la reprendre à ma façon, beaucoup plus sommairement et peut-être un peu caricaturalement – je dirais que mieux nous comprenons les violences, plus la loi bouge et change. Nous avons eu par exemple d'abord une période où nous étions plutôt dans la sanction, puis nous avons commencé à penser la sanction des violences, puis nous avons commencé à penser qu'il fallait assurer la protection et la sécurité de la personne victime lorsqu'existe un lien intime. Ce sont les circonstances aggravantes. Nous avons eu un autre temps où nous avons pensé que c'était plutôt à l'homme de partir qu'à l'épouse. Cela, nous le devons au professeur Henrion, qui a fait un rapport très important et qui a dit qu'il serait logique que ce soit plutôt l'auteur qui parte que la victime. Cela a abouti à toutes les lois sur l'éviction du mari violent. Nous avons continué à réfléchir et nous nous sommes dit qu'il fallait protéger les femmes avant qu'il n'y ait de nouvelles violences. C'était révolutionnaire dans notre droit. C'est de là qu'est née l'ordonnance de protection et qu'est né le téléphone grave danger. Nous avons progressé dans notre compréhension et ainsi nous avons aussi fait progresser les lois.

Aujourd'hui, nous en sommes à un moment où ces lois doivent être mieux appliquées, plus largement appliquées, et – je reviens à ce que disait Édouard Durand à l'instant – en accompagnement de la présomption d'innocence, il faut que nous ayons une présomption de crédibilité pour les victimes. Cela me paraît très important. Ce que disent toutes les victimes, c'est qu'elles ont besoin d'être crues pour pouvoir révéler l'ampleur des violences. Elles ne disent en effet pas l'ampleur des violences. Il faut qu'elles puissent être crues pour dire toutes les violences qu'elles ont subies quand elles sont auditionnées, que ce soit par les forces de sécurité, les magistrats ou les travailleurs sociaux. Les croire, c'est fondamental si nous voulons qu'elles puissent révéler toutes les violences qu'elles vivent. Elles le disent très bien ; elles nous l'ont bien dit cet après-midi..

Nous avons besoin d'appliquer un principe de précaution et donc de protéger les femmes victimes de violences. Nous n'y sommes pas, alors que la loi nous le permet. L'ordonnance de protection, le téléphone grave danger, c'est exactement cela qu'ils pourraient faire, mais nous n'y sommes pas. L'éviction du mari violent est possible, soit grâce à l'ordonnance de protection avant la plainte, soit par le contrôle judiciaire au moment de la plainte ou suite à une incarcération. Les dispositifs existent mais sont très insuffisamment appliqués, mais ce n'est pas la seule limite. Nous ne savons pas aujourd'hui combien il y a d'évictions de maris violents en France. Nous avons un manque de connaissances sur ce qui se passe du point de vue de la justice, du point de vue de la police également. Il nous manque un grand nombre d'indicateurs, d'éléments et il faut que nous y travaillions. Au sein du HCEfh nous allons travailler à cela.

Les victimes nous disent quatre choses très clairement. Elles veulent être crues quand elles s'adressent aux forces de sécurité. Quand elles s'adressent aux forces de sécurité, elles vont déposer une main courante ou une plainte, ou même simplement signaler qu'elles sont victimes. Elles ne souhaitent en effet pas toujours porter plainte. À ce moment-là, il faudrait qu'il y ait une réponse sociale qui dise : « nous allons les protéger ». Nous avons besoin de protéger les victimes et c'est bien ce qu'elles demandent.

Tout à l'heure, une victime nous disait que ce qui lui a fait beaucoup de bien, c'est qu'un médecin légiste lui dise : « je vous crois ». Elle avait été victime gravement d'un viol avec pénétration digitale, anale, donc très douloureux, et le fait que le médecin lui ait dit qu'il la croyait lui a fait beaucoup de bien ; cela reste quelque chose de très important. La deuxième chose qu'elles disent, c'est qu'elles souhaitent être protégées par la sanction, le fait qu'il y ait des poursuites. Ici encore, nous avons une marge de progrès très importante. La troisième chose qu'elles disent, c'est qu'elles ont besoin de soins et de soins gratuits. Une des choses que nous disons maintenant depuis plusieurs d'années, c'est qu'il faut que les victimes soient remboursées à 100 % de tous leurs soins, pour elles et pour leurs enfants. Que la règle soit simple et claire. La quatrième chose que disent les victimes, c'est ce que vient de dire Édouard Durand magnifiquement et je n'y reviendrai pas, c'est tout le problème des enfants et de comment, suite à des violences, l'ex-partenaire violent continue son emprise sur sa femme à travers ses enfants. Toutes les victimes le disent. Ce que vient de dire Édouard Durand sur la protection des femmes avec les enfants reste quelque chose de très important.

Les victimes nous parlent toutes de la stratégie de l'agresseur. Nous avons été marqués cet après-midi par le fait que toutes racontent la même histoire. Ce ne sont pas du tout les mêmes histoires globales, mais à l'arrivée, dans le cadre des violences dans le couple, elles disent toutes la même chose. Il les a dévalorisées. Il les a humiliées ; il a d'ailleurs commencé par cela. Ensuite, il les a isolées de leurs amis, de leur travail. « Pourquoi tu travailles ? Tu devrais arrêter ! ». Il les a isolées de leur famille. Quand on est isolé, il est plus difficile de réagir, de trouver de l'aide. Puis il les a empêchées d'aller révéler les violences.

Nous sommes face à un phénomène assez clair que nous connaissons bien maintenant ; il est enseigné en formation, plus ou moins, et lorsque ce n'est pas le cas, il pourrait l'être car, même si nous avons cette connaissance, il faut que les mentalités changent dans la société bien sûr, mais aussi auprès des professionnels. Il y a un vrai problème de formation, mais aussi de mentalité ; la formation ne suffit pas. Face à cette stratégie de l'agresseur, nous pensons qu'il faut une stratégie de protection : protection des professionnels que ces femmes rencontrent et protection de la société plus généralement parce qu'elles ont besoin de cette protection. Nous ne les infantilisons pas en disant cela. Quand nous rencontrons les victimes, nous sommes impressionnés par leur courage. Le « parcours du combattant », c'est une phrase toute faite, mais quand vous les entendez raconter leur parcours, vous vous dites qu'il faut beaucoup de courage pour aller au bout, pour ne pas renoncer. Et elles ne renoncent pas. Nous sommes très admiratifs de ces femmes et de leur courage. Face à ce courage, nous, société, et vous, législateurs, nous avons vraiment besoin de nous améliorer parce que nous sommes assez loin du compte ; si les lois existent, leur application laisse quand même beaucoup à désirer.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.