Intervention de Ernestine Ronai

Réunion du mardi 1er octobre 2019 à 19h15
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Ernestine Ronai, responsable de l'Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes, co-présidente de la commission Violences de genre du HCEfh :

Dans les questions que vous nous avez fait parvenir en amont, vous nous demandiez « comment protéger les enfants notamment au moment du droit de visite du père ou d'hébergement ». Vous faisiez référence à la mesure d'accompagnement protégé et à l'espace de rencontre protégé qui existe en Seine-Saint-Denis et à Paris, seulement dans deux départements de France, mais qui pourrait être élargi. Je ne sais pas s'il faut le mettre dans la loi, puisque la loi de 2010 permet déjà qu'une personne morale qualifiée accompagne les enfants du lieu de résidence de la mère vers le lieu du droit de visite du père. Ces mesures présentent plusieurs avantages : bien sûr, elles protègent la mère au moment du droit de visite, puisque nous savons grâce à l'étude que nous avions faite sur 24 féminicides de 2005 à 2008 que dans la moitié des cas, quand il y avait de jeunes enfants, l'homme tuait sa conjointe à l'occasion du droit de visite et d'hébergement. C'est un moment de danger extrêmement grave. Cette protège l'ex-épouse mais cette mesure protège aussi l'enfant. Dans le film Jusqu'à la garde, l'enfant ne veut pas aller voir son père ; il a mal au ventre et le père dit à son ex-femme « si l'enfant ne vient pas, je dépose plainte » pour non-représentation d'enfant. Nous savons que, dans notre pays, les femmes qui veulent protéger les enfants lorsque l'enfant ne veut pas y aller chez l'ex-conjoint peuvent être poursuivies pour non-représentation d'enfants, et c'est même assez gravement réprimé. C'est quelque chose de très sérieux. On protège l'enfant mais on ne prend pas en compte sa parole ; le système que j'évoque permet de répondre à ce problème.

Troisièmement, ce dispositif protège l'ex-époux également, d'abord du retour à la case prison puisque cela l'empêche d'agresser son ex-conjointe, mais aussi, il permet un droit de visite plus régulier. C'est vraiment intéressant et protecteur pour tout le monde. Ce que disent les juges aux affaires familiales, c'est que cela les aide aussi à la prise de décision puisqu'à la fin, il y a un bilan qui est rendu et qui permet de savoir comment s'est passée la visite, si l'homme a été violent ou pas, s'il était présent - parce que souvent, l'homme demande un droit de visite et d'hébergement pour empêcher son ex-conjointe de « faire sa vie » avec les enfants tranquillement. Souvent, il ne sera pas là au moment du droit de visite, ce sera sa nouvelle compagne, ou sa mère, etc. Nous nous sommes rendu compte avec cette mesure d'accompagnement protégée que dans un certain nombre de cas, l'homme instrumentalisait les enfants pour savoir si la femme avait un nouveau compagnon, où ils habitaient lorsque l'adresse avait été cachée...

Nous avons donc créé l'espace de rencontre protégé sur le modèle de ce qui se passe pour les enfants maltraités. Pour les grands violents, le dispositif est très contrôlé. Souvent, les auteurs renoncent à leur droit de visite parce que, finalement, ce qu'ils voulaient, c'était vraiment « pourrir la vie » de leur ex-conjointe, si vous me permettez cette expression triviale.

Ce qui n'existe pas encore, mais que vous pourriez faire entrer dans notre droit, c'est ce que nous avons appelé en Seine-Saint-Denis le « protocole féminicide ». Il est bien sûr valable aussi quand ce sont des homicides, c'est-à-dire si une femme tue son conjoint. Ce dispositif a trait à la protection des enfants. Il permet l'hospitalisation des enfants, c'est-à-dire des soins. Nous savons maintenant, au vu de l'expérience en matière de victimes du terrorisme, qu'il est très important qu'il y ait des soins immédiats qui soient donnés lorsqu'on est très traumatisé. Quand les enfants ont assisté au fait au meurtre de leur mère ou, le fait d'être orphelin parce que leur père a tué leur mère nécessite des soins immédiats et donc une hospitalisation qui permet leur prise en charge. Cette hospitalisation prend la forme d'une ordonnance de placement provisoire prise par le procureur de la République : huit jours qui donnent à la fois le temps du soin, mais aussi le temps de savoir auprès de qui les enfants vont être placés. Il peut s'agit des grands-parents paternels, des grands-parents maternels, de la famille biologique, ou d'une famille d'accueil. Parfois, la famille biologique n'est pas en capacité d'accueillir les enfants pour un grand nombre de raisons, entre autres parce qu'eux-mêmes sont très traumatisés. Comme les enfants sont aussi très traumatisés, parfois, cela rend les choses complexes.

Alors que vous cherchez à identifier des pistes d'amélioration, ce dispositif me semble pouvoir servir d'exemple. Cette mesure pourrait être mise en place auprès d'hôpitaux avec des soins adaptés, comprenant une hospitalisation en pédiatrie avec des soins psychotrauma et un accompagnement par des personnes qui sont là 24 heures sur 24, parce que malheureusement dans les hôpitaux, il n'y a pas toujours assez d'aides-soignantes. Il faut des personnels en plus qui soient là jour et nuit, parce que quand un enfant est traumatisé, il a besoin d'être accompagné avec beaucoup de bienveillance et d'attention.

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