Intervention de Ernestine Ronai

Réunion du mardi 1er octobre 2019 à 19h15
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Ernestine Ronai, responsable de l'Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes, co-présidente de la commission Violences de genre du HCEfh :

Sur la question de l'ordonnance de protection, nous avons deux améliorations possibles. Il y a la question du délai qui est posée dans la proposition de loi de M. Pradié. Entre le moment où la victime dépose sa requête et le moment de l'audition, il faut que un délai raisonnable. Le guide publié par la Chancellerie propose deux semaines, 14 jours. Je pense que c'est plutôt bien parce que cela donne le temps du contradictoire. Mais il doit s'agir d'un délai maximum et non minimum. Or, aujourd'hui le délai moyen est de 41 jours. La marge de progrès est réelle. Il me semble qu'on peut envisager ce délai comme un maximum si on admet que l'assignation de l'agresseur se fasse par huissier.

Il faut cependant rester attentifs aux frais que cela engendre. Lorsqu'on dispose de très petits revenus, on bénéficie de l'aide juridictionnelle. Toutefois, les personnes qui dépassent même légèrement le barème vont devoir prendre en charge les frais d'avocat et d'huissier au moment de l'assignation et, une fois l'ordonnance obtenue, payer de nouveau des frais d'huissier puisque c'est ainsi qu'elle doit être notifiée. Cela représente des frais importants. L'association des femmes huissiers a toutefois fait savoir qu'elle était en mesure de réaliser gratuitement 5 000 actes. Je pense qu'il y a ici matière à travailler avec les chambres des huissiers et leur association nationale pour que les actes d'huissier liés à l'ordonnance de protection soient gratuits. Il me semble que cela pourrait être un acte citoyen, surtout que les huissiers gagnent déjà beaucoup d'argent sur les saisies. Cette gratuité permettrait par ailleurs de faciliter les assignations et le recours aux ordonnances. En effet, aujourd'hui les assignations se font par lettre recommandée mais il suffit que l'auteur ne vienne pas chercher le recommandé pour que la procédure prenne du temps.

Dans la pratique, cela aboutit à des retards. Le coordinateur des juges aux affaires familiales de mon département m'indiquait à la fin du mois de septembre dernier avoir statué sur des ordonnances de protection qui avaient été demandées en juillet. Cela n'a pas de sens. Pour tenir le délai de 14 jours, nous pourrions donc imaginer de nous inspirer du modèle existant pour les ordonnances requêtes afin de nous assurer de l'effectivité de l'ordonnance de protection. Ainsi le délai serait beaucoup plus court et le dispositif serait donc plus efficace.

Le deuxième axe de progrès pour les ordonnances de protection concerne leur renouvellement. Je ne pensais même pas que c'était possible, mais la cour d'appel de Paris a récemment refusé la prolongation des mesures d'une ordonnance de protection accordée par le juge de première instance. Le code civil prévoit en effet que ces mesures « peuvent » être prolongées si, une requête en divorce ou en séparation de corps a été déposée ou si le juge aux affaires familiales a été saisi d'une requête relative à l'exercice de l'autorité parentale.

Il me semble qu'il faudrait remplacer ce « peuvent » par « sont » de façon à assurer le renouvellement de façon automatique. La différence entre ces deux termes tient à la latitude accordée au magistrat. Dans l'exemple que j'évoquais, l'agresseur a été condamné à 12 mois de prison et pourtant la femme s'est retrouvée sans mesure de protection alors qu'elle bénéficiait auparavant du téléphone grave danger.

Pour le téléphone de grave danger, comme d'ailleurs pour le bracelet anti-rapprochement, je dirais que ces dispositifs sont des outils technologiques qui n'ont d'intérêt que s'il y a, en même temps, des comités de pilotage qui se réunissent régulièrement et qui étudient chaque situation. Cela devrait être obligatoire parce qu'un outil technologique n'a de sens que s'il est associé à des mesures pérennes pour les femmes bénéficiaires. Il faut que ce comité rassemble un représentant du siège, un représentant du parquet, le conseil départemental – c'est notamment important si la victime veut déménager pour vérifier si on peut l'accompagner –, des travailleurs sociaux, des associations présentes, la police,… Il faut que tout le monde se réunisse et travaille sur une situation. On vérifie si la femme a bien sécurisé toutes ses mesures judiciaires, que ce soit au civil ou au pénal, si elle a bien tous ses droits, si elle a bien accès à son travail, etc. Il faut que l'on soit dans un travail minutieux car sinon cela ne sert à rien. La victime pourra garder le téléphone six mois, un an, voire toute sa vie d'ailleurs, seul, il n'aura pas permis de sécuriser la situation de manière pérenne.

Pour le bracelet anti-rapprochement, c'est exactement la même chose. Actuellement, nous ne savons pas comment ce système va se mettre en place. Si la loi l'autorise, en cas d'alerte, qui préviendra la victime et qui préviendra l'agresseur ? À quel moment se fera l'alerte ? Et quel sera l'espace entre l'agresseur et la victime pour que se déclenche l'alerte ?

Et comme le nom l'indique, anti-rapprochement veut dire que l'homme et la femme sont en lien constant ! Je crois que cela peut être un souci, surtout dans le cadre de la procédure civile. La femme engage la procédure et bénéficie de ce dispositif destiné à la sécuriser. Mais, en réalité, il va la maintenir sous l'emprise de son agresseur car elle va constamment se demander où il est et ce qu'il fait. L'agresseur se posera lui aussi les mêmes questions. Les deux personnes restent liés ! On l'a évoqué précédemment pour les enfants, mais il y a un besoin de « délier » les personnes ; or ce dispositif maintient le lien. Le dispositif peut être une bonne mesure, à supposer qu'on en précise les modalités et il pourra aussi être pertinent notamment pour les « grands dangereux ». En effet, face à un multirécidiviste, il faut protéger la victime qui est trop effrayée parce qu'elle sait que l'auteur va recommencer.

C'est la différence avec le téléphone grave danger où c'est la femme qui appuie ; c'est elle qui prend sa sécurité en main ; c'est elle qui est actrice de sa protection. On ne la victimise pas et ainsi on l'aide à se défaire de l'emprise dont elle est victime.

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