Intervention de Henri Poupart-Lafarge

Réunion du mercredi 9 octobre 2019 à 17h05
Commission des affaires européennes

Henri Poupart-Lafarge, PDG d'Alstom :

Alstom est une entreprise globale qui est présente sur tous les continents. Ce que nous attendons du droit de la concurrence, ce sont des règles du jeu identiques pour tous et absolument pas qu'Alstom soit protégé de ses concurrents.

S'agissant de la vente de la branche énergie d'Alstom en 2014, je pense que la Commission européenne devrait faire son introspection des concessions demandées à l'époque. General Electric a fait beaucoup de concessions, notamment sur les turbines à gaz de grande puissance. Cette activité a été vendue à une entreprise certes européenne, Ansaldo Energia, mais détenue en partie par une entreprise chinoise, Shanghai Electric, qui, de ce fait, a accédé à une technologie qu'elle ne maîtrisait pas.

Je ne crois pas que les fusions soient l'alpha et l'oméga de toute stratégie industrielle. Peut-être que des alliances ad hoc sont parfois pertinentes, même si elles peuvent aussi présenter des problèmes vis-à-vis du droit de la concurrence.

Alstom continue de gagner des contrats à l'export, comme à Barcelone. Nous sommes très présents en Espagne, où nous employons 2 000 personnes ; le métro de Barcelone sera produit dans notre usine à Barcelone.

Je ne stigmatise pas CRRC ou la Chine. Finalement, il faut plutôt surveiller le japonais Hitachi qui bénéficie d'un marché protégé et est très présent en Europe. CRRC a pris pendant quelques années des parts de marché très importantes aux États-Unis, mais c'est plus difficile aujourd'hui compte tenu de la nouvelle politique américaine. Les acteurs chinois ont une volonté d'accroître leurs parts de marché de manière très significative sur tous les continents. Ils exercent par exemple une forte pression dans des pays comme le Maroc ou la Colombie. Ce sont les concurrents qu'Alstom, une des entreprises les plus globales de son secteur, rencontre le plus hors du territoire européen.

J'entends dire qu'Alstom devrait perdre le contrat des trains Intercités, ce que nous regretterions très amèrement si la décision était confirmée. Ce serait une mauvaise décision. Je ne suis pas en mesure de juger l'offre de nos concurrents, que je ne connais pas, mais je regrette que cette décision, qui a fait l'objet de fuites au mois d'août, soit pré-annoncée dans la presse. Je ne suis pas contre la concurrence, mais je pense que cette décision a été prise pour faire pénétrer un nouvel acteur sur le marché français, avec le préjugé selon lequel Alstom dominerait le marché français, alors que, sur les dix dernières années, la SNCF a acheté plus de trains à Bombardier qu'à Alstom.

CAF n'a jamais fait de trains roulant à 200 kilomètres par heure et n'a aucun ingénieur en France. Ce sera compliqué pour eux de développer un train pour le réseau français. Ils ont été choisis pour faire entrer un nouvel acteur au forceps. Ce que je regrette le plus dans cette affaire, c'est la désinformation qui a entouré la décision pour faire passer la pilule.

Je reviens sur le sujet de la concurrence. Y a-t-il des préjugés anti-français ? Oui, je l'ai expliqué précédemment, mais j'insisterais davantage sur le biais anti champions européens et peut-être anti franco-allemand. On a toujours présenté Alstom et Siemens comme les deux mastodontes du marché européen, ce qui est faux. Stadler est plus important que nous en Europe sur le matériel roulant et CAF a également une part de marché importante. La fusion entre Alstom et Siemens est apparue comme poussée par des États se livrant à un mécano industriel franco-allemand pour dominer l'industrie européenne, alors que l'initiative venait des entreprises. Il y a clairement un biais anti-colbertiste, qui peut concerner la France ou ce type d'opérations.

Au sujet du biais institutionnel, la Commission, comme tout organe, essaie de maximiser son pouvoir par le recours à l'arbitraire. Je plaide pour des contre-pouvoirs. Un recours politique fait sens, mais il ne faut pas qu'il devienne la norme. Les opérations de fusion sont extrêmement lourdes et anxiogènes pour les salariés, il faut que les règles soient suffisamment claires pour que le résultat soit prédictible. Il ne faut pas réintroduire un jeu purement politique qui nuirait à la prédictibilité des décisions.

Nous avons beaucoup hésité à aller en justice, ce qui aurait peut-être permis une nouvelle analyse plus objective des données techniques du dossier. Le niveau élevé des frais d'avocats a pesé dans la décision…

Je suis étonné par ce que vous avez entendu de la part des autorités françaises et allemandes sur notre cas. Je pense qu'elles n'ont pas vraiment étudié le dossier. Il a avant tout été traité par la Commission européenne. L'idée générale selon laquelle Alstom et Siemens créeraient un mastodonte européen a percolé au sein des autorités nationales, qui sont intervenues très tard dans le dispositif. En forçant le trait, je dirais qu'elles ont été « actionnées » par la Commission.

Quand la Commission refuse un dossier, elle ne fait pas les choses à moitié, elle lui trouve tous les défauts possibles. Il faut se méfier de la communication qui entoure les refus de dossier.

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