Intervention de Olivier Véran

Réunion du mercredi 16 octobre 2019 à 15h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Véran, rapporteur général :

Cet amendement vise à ouvrir une expérimentation de prise en charge de l'usage médical du cannabis. Dix-sept pays de l'Union européenne ont déjà autorisé cet usage sous différentes formes ; un certain nombre de pays, en dehors de l'Union européenne, l'ont déjà autorisé depuis longtemps. En 2014, la France a modifié le droit, de manière à permettre de commercialiser et d'accorder une autorisation de mise sur le marché (AMM) sous condition aux médicaments contenant des dérivés du cannabis. Outre les deux principaux dérivés, le cannabidiol (CBD) et le tétrahydrocannabinol (THC), d'autres dérivés peuvent également être intéressants du point de vue médical.

La possibilité de mener cette expérimentation découle directement des travaux d'une commission ad hoc de l'ANSM, qui s'est prononcée sans réserve en sa faveur. Cette expérimentation aurait une durée de deux ans ; si les résultats intermédiaires étaient excellents, il n'y aurait pas lieu de la poursuivre et elle pourrait alors être généralisée. L'expérimentation porterait sur 3 000 patients et, pour en assurer le cadrage, sur des indications particulières : les douleurs neuropathiques et les douleurs en lien avec les cancers ou certaines maladies neurologiques, comme la spasticité dans la sclérose en plaques. Cette expérimentation serait menée dans plusieurs centres hospitaliers, en particulier des centres de référence pour les pathologies concernées. Une prescription initiale hospitalière serait effectuée par un médecin spécialiste des disciplines concernées – neurologues et médecins de la douleur notamment –, ce qui permettrait de suivre en vie réelle l'effet positif et les éventuels effets indésirables de ces traitements sur les malades concernés.

L'ANSM s'est prononcée en faveur de modalités d'administration assez larges ; le cannabis pourrait ainsi prendre la forme de fleurs séchées, d'huiles et éventuellement de tisanes. Les différentes posologies pourront intégrer des rapports entre CBD et THC très variables : le CBD est considéré comme ayant des vertus myorelaxantes, alors que le THC a des effets psychoactifs permettant de mieux supporter des états de douleur.

Je quitte quelques instants l'écharpe tricolore pour endosser ma blouse de praticien : en tant que neurologue au centre hospitalier universitaire (CHU) de Grenoble, je reçois en consultation des patients souffrant de douleurs neuropathiques. J'ai réalisé qu'ils ne tenaient le coup que grâce à la consommation clandestine de dérivés du cannabis, CBD ou THC. Cette consommation s'ajoute aux traitements que j'ai prescrits, quand ils ne les remplacent pas. Ces traitements, à base de produits morphiniques, d'antidépresseurs tricycliques, d'antiépileptiques et autres joyeusetés, permettent à peine aux patients de supporter leurs douleurs et leur coupent généralement l'appétit ; et leurs effets indésirables n'ont rien à envier à ceux, potentiels, du cannabis.

Face à des patients qui vous déclarent que la consommation de dérivés de cannabis leur permet d'aller bien, on se sent très dépourvu lorsqu'on doit leur répondre que le cadre légal ne permet pas de leur en fournir. Plus précisément, la loi m'autorise à en prescrire ; mais les médicaments correspondant sont introuvables en France, ce qui contraint les patients à se rendre aux Pays-Bas, par exemple, avec leur ordonnance pour en acheter, au risque d'être arrêtés à la frontière. Heureusement, ils sont peu ou pas condamnés, en vertu d'une certaine tolérance. Toutefois, une telle situation est inadmissible et nous ne pouvons continuer à nous voiler la face. Ainsi, une femme de 67 ans souffrant d'un cancer métastasé avait témoigné à l'Assemblée nationale : elle cultivait un pied de marijuana sur sa terrasse, tremblant de peur à l'idée que la police intervienne... Bref, il y a encore beaucoup d'hypocrisie. Nous devons nous appuyer sur l'expertise des patients, dont certains sont consommateurs de cannabis depuis plusieurs années. C'est ce que nous ferons dans le cadre de cette expérimentation, que je vous propose d'adopter par le biais de cet amendement.

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