Intervention de Olivier Véran

Réunion du mercredi 16 octobre 2019 à 15h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Véran, rapporteur général :

Dans le cadre de cette expérimentation, l'ANSM sera chargée de se procurer les quantités nécessaires de produit selon les dosages prévus. La distribution initiale se fera dans le cadre des pharmacies intra-hospitalières, sur ordonnance sécurisée et individualisée, issue de la prescription hospitalière d'un médecin spécialisé. Autrement dit, c'est ceinture et bretelles... Il n'y a pas d'association entre cette expérimentation et l'incitation à développer une filière de production de cannabis, fût-elle locale : on gérera un cannabis considéré comme un médicament dans les pays desquels il sera issu. Au total, 3 000 malades sont concernés : nous sommes loin d'un réseau de patients qui s'échangeraient des sacs de cannabis dans le cadre d'un marché clandestin qui n'a pas besoin de cela pour se porter fort bien. En aucun cas l'incitation à la production ne constitue l'objet de cette expérimentation.

Concernant l'appellation, j'utilisais à l'origine celle de « cannabis thérapeutique ». L'Académie de pharmacie désapprouve cette appellation, davantage pour éviter l'usage du cannabis que pour des préoccupations de terminologie. Je propose donc de parler d'usage médical du cannabis. Si nous changeons à nouveau de formulation, autant cesser de parler des opiacés, de la codéine, de la morphine et de tous les produits de la pharmacopée française dont les effets indésirables sont beaucoup plus forts que ceux du cannabis. Souvenons-nous que la morphine a été développée pendant la guerre entre la France et la Prusse : auparavant, c'était de l'héroïne que l'on injectait aux soldats pour les soulager. Ses effets indésirables étant beaucoup trop forts, on l'a modifié chimiquement pour en faire de la morphine. De l'opium, on tire aussi la codéine, ce qui ne semble pas poser problème, alors même que nous sommes le pays champion de sa prescription... Sans parler des somnifères, hypnotiques et autres benzodiazépines, qui sont très répandus en France alors que les effets indésirables de ces molécules sont intenses.

Il faut appeler un chat un chat : les enfants, les mineurs et les adolescents n'ont pas attendu que nous évoquions l'usage médical du cannabis pour s'intéresser, hélas ! à cette plante. Encore une fois, en tant que neurologue, je sais que les troubles du développement cérébral chez les consommateurs mineurs sont une autre paire de manches : soyez donc assurés de ma forte sensibilité à ce sujet.

La mission d'information parlementaire ira par ailleurs bien au-delà de l'usage médical du cannabis : elle traitera notamment de son usage récréatif et de la notion de bien-être. Je salue à cet égard, même s'ils ne sont pas tous commissaires aux affaires sociales, plusieurs de nos collègues qui travaillent sur ces questions : Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Michèle Peyron, qui est présente, Caroline Janvier, Jean-Baptiste Moreau et Ludovic Mendes. Leur démarche est cependant distincte du sujet dont nous débattons.

Il ne faut pas, au motif de l'existence de cette mission d'information, retarder l'expérimentation en question. Vous n'imaginez pas le nombre de personnes, de malades et de patients qui depuis que nous l'avons envisagée, et même auparavant, attendent de trouver enfin une solution à la prise en charge de leur douleur. Certains n'ont pas franchi le pas de l'automédication, faute de savoir quel type de molécule leur conviendrait, en l'absence totale tant de conseils que d'orientation ; d'autres vivent une situation insupportable de clandestinité qu'ils jugent injuste, alors que partout ailleurs, hors de nos frontières, ils seraient accompagnés médicalement.

Monsieur Grelier, vous avez abordé la question de l'information. Celle-ci, même si vous n'en disposez pas, existe : j'ai évoqué tout à l'heure le groupe d'experts mis en place le 28 juin dernier par la HAS. Des conclusions ont par ailleurs été rendues par l'ANSM. J'ai d'ailleurs été moi-même auditionné par ce groupe d'experts, composé de professeurs de médecine, de spécialistes de la douleur, de neurologues, d'oncologues et de cancérologues. Tous ont été unanimes à souhaiter que cette expérimentation puisse démarrer dans les meilleurs délais. Il faudra seulement prendre le temps de régler précisément la question de l'approvisionnement et de la formation, car chaque médecin qui prescrira du cannabis médical devra auparavant avoir reçu une formation continue spécifique : cette expérimentation pourra donc, je l'espère, débuter d'ici à la fin du premier semestre 2020. Je vous en conjure : pensez aux milliers de gens qui attendent, et soyez certains qu'il ne s'agit pas d'une voie d'entrée vers une autre forme de consommation de cannabis.

Monsieur Vallaud, j'ai refusé de rencontrer dans le cadre parlementaire les nombreux lobbies ainsi que les différents acteurs de ce secteur qui ont voulu saisir cette opportunité de se faire entendre, ce qui peut se comprendre.

Une étude de suivi en vie réelle sera en outre menée.

En définitive, la seule raison pour laquelle l'usage médical du cannabis n'est pas reconnu dans notre pays est qu'il est dans le domaine public et qu'aucun laboratoire pharmaceutique important n'avait donc intérêt à développer une recherche avant étude de mise sur le marché, hormis dans le cas de maladies de niche comme les épilepsies rares et réfractaires.

Rappelons enfin que le cannabis médical ne constitue pas la panacée ni une martingale, et que son usage ne marquera pas la fin des douleurs. Il ne soulagera pas tout le monde sans conditions et pour toutes les maladies, mais seulement dans le cadre d'indications et de dosages précis, avec des risques d'échec, mais aussi des possibilités de succès, en espérant que les succès seront les plus nombreux possibles et que l'on pourra enfin apporter une réponse aux malades qui attendent de nous que nous leur apportions une solution.

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