Intervention de Éric Woerth

Séance en hémicycle du lundi 21 octobre 2019 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2020 — Article 36 et débat sur le prélèvement européen

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

L'année 2020 sera la dernière du cadre financier pluriannuel européen 2014-2020. Nous débattons aujourd'hui du prélèvement de 21,3 milliards d'euros que nous présente le Gouvernement. Le Conseil européen de la semaine dernière a marqué le coup d'envoi des négociations du prochain cadre financier pluriannuel, 2021-2027, ce qui donne un relief particulier à notre débat d'aujourd'hui. Les discussions, qui s'annoncent difficiles, seront particulièrement importantes.

Les enjeux sont, en effet, cruciaux car l'Europe est à la croisée des chemins. L'actualité place le Brexit au coeur de notre débat. L'OCDE estime que cette tragédie politique se traduira par une perte de croissance de 3 points de PIB sur trois ans pour le Royaume-Uni et de 0,5 point environ pour le reste de l'Europe. Cette sortie va aussi laisser un trou de 10 à 15 milliards d'euros nets dans le budget de l'Union. Cela rebat les cartes d'une négociation rendue déjà fort difficile par nos divergences économiques – je vais y revenir.

Dans ce contexte, on ne peut être favorable à un quelconque élargissement de l'Union européenne. Les relations entre États du continent européen n'ont pas vocation à se réduire à une alternative binaire : dedans ou dehors. C'est une Europe multipolaire, faite de cercles concentriques et interpénétrés, plus intégrée ici et plus lâche là, qu'il nous faut collectivement réinventer.

C'est aussi un moment crucial car il est l'occasion de débattre des grandes priorités que nous voulons voir assumées par l'Union européenne. Je rappelle que le PSR au profit de l'Union européenne est le quatrième budget de l'État, après ceux de la défense, de l'enseignement scolaire ainsi que de la recherche et de l'enseignement supérieur.

La question de la souveraineté de l'Union me semble être le bon fil conducteur du débat. Mais nos divergences économiques sont en train de nous rattraper et deviennent de terribles faiblesses.

La taille du prochain budget européen pluriannuel est le premier objet de débat. La Commission européenne propose un budget égal à 1,11 % du PIB des vingt-sept États membres, soit 1 279 milliards d'euros entre 2021 et 2027. Le Parlement européen souhaiterait 1,3 %, soit 220 milliards d'euros de plus, tandis que les Allemands, soutenus par d'autres pays du Nord, ne veulent pas dépasser 1 % du PIB de l'Union, soit 125 milliards d'euros de moins.

Sur cette question difficile, je ne suis pas sûr que le manque d'ambition soit, dans le contexte géopolitique actuel, une bonne réponse. D'autres interrogations me semblent plus pertinentes : que fait-on de cet argent ? Quelles sont nos priorités ? L'argent est-il bien dépensé ?

Il est une réalité macroéconomique, dont je dénonce le caractère délétère depuis maintenant plusieurs mois, qui sous-tend cet épineux débat : les politiques budgétaires allemande et française sont divergentes. Entre les excédents allemands et les déficits français, sur la durée d'un quinquennat, s'accumulent 400 milliards d'euros d'écart. Nos trajectoires de croissance divergent aussi : 1,3 % à 1,4 % pour la France dans les années à venir, un chiffre faible dont nous pouvons cependant nous réjouir, contre 0,5 % et 0,6 % pour l'Allemagne – si les guerres commerciales, qui touchent plus fortement nos voisins que nous, ne s'aggravent pas d'ici là, et sans parler des différences de nature de nos tissus industriels et de notre démographie. Cette tension s'exprime au sein de la Banque centrale européenne, où décider collectivement de notre politique monétaire unique devient de plus en plus difficile. Et ce ne sont pas que des débats d'experts !

Notre capacité à peser sur le débat atteint rapidement ses limites, dès lors que notre crédibilité est entamée par nos résultats budgétaires décevants. Je peux comprendre que les Allemands soient parfois agacés lorsqu'ils entendent le ministre français de l'économie et des finances, dans la situation de finances publiques qui est la nôtre, leur demander de dépenser plus pour soutenir la croissance. Alors, il faut sans doute rappeler aux Allemands qu'ils profitent plus que les autres de leur appartenance au marché unique. Si l'on en croit les résultats d'une étude citée par la Commission européenne, l'économie allemande bénéficie de l'intégration européenne à hauteur de 120 milliards d'euros par an environ, contre 60 milliards pour la France. Mais nous devons surtout rétablir nos comptes publics pour que notre voix pèse de tout son poids dans les négociations.

L'idée d'un accroissement des ressources propres, proposée par la Commission européenne, me laisse sceptique. L'expression « ressources propres » est sympathique, mais c'est une façon de désigner des taxes : taxe sur le plastique non recyclable – qui pourrait rapporter 7 milliards d'euros – , taxe carbone aux frontières de l'Union, etc. Pourquoi pas, à condition de veiller à ne pas augmenter la pression fiscale sur les ménages et les entreprises ! À l'instar de ce qui se passe dans les intercommunalités, toute création de taxe européenne doit être accompagnée d'une diminution équivalente de la pression fiscale nationale.

Les retards de paiement constatés au début de l'exercice pluriannuel 2014-2020 pourraient nécessiter d'engager des fonds plus importants que prévu. La prévision du Gouvernement est inférieure de 100 millions d'euros à celle de l'année passée ; pouvez-vous nous assurer, madame la secrétaire d'État, que le montant réellement exécuté ne dépassera pas significativement les 21,3 milliards d'euros prévus ?

Je signale d'ailleurs que, sur cette somme, environ 3,2 milliards d'euros proviennent d'une ponction sur nos recettes de TVA. Cet élément, du reste assez peu connu, participe encore au mitage de cette ressource, lequel sera aggravé par le mécanisme de compensation de la taxe d'habitation à destination des départements et des EPCI, établissements publics de coopération intercommunale, adopté la semaine dernière. À terme, cela risque d'être problématique : les besoins de l'État sont inchangés, voire augmentent, mais les impôts d'État baissent, et personne n'explique comment cette équation pour le moins compliquée pourra être résolue.

Mais la question la plus importante reste évidemment celle de l'emploi des fonds attribués à l'Union. La défense de la souveraineté européenne me semble être un bon fil conducteur pour tenter de parvenir plus souvent au consensus au niveau européen.

Il faut certainement se réjouir que, dans la future programmation, 25 % du budget européen soit consacré à des politiques à impact positif sur le climat. Notre responsabilité générationnelle est engagée. Ce choix me semble largement consensuel. Mais une bonne politique écologique, c'est aussi une bonne politique agricole – les deux sont indissociables. Le sujet le plus important de ce budget, du point de vue de la France, doit être la préservation de la PAC. Le projet de cadre financier pluriannuel 2021-2027 fait passer la part du budget européen consacrée à la PAC sous la barre des 30 % – dans le dernier cadre, 2014-2020, elle avait déjà été ramenée sous la barre des 40 %. Cette baisse n'est pas acceptable. Nous devons préserver les moyens de défendre l'agriculture européenne et le modèle français face au monde. Il s'agit d'une question de souveraineté alimentaire, sanitaire, écologique, et de libre choix pour nos concitoyens, qui sont de plus en plus exigeants en la matière – et ils ont raison. La PAC est aussi la politique la plus ancienne et la plus intégrée de l'Union. Il faut la préserver, pas seulement pour maintenir les crédits, mais parce que la qualité de la PAC fait la qualité de notre politique écologique.

L'Union européenne doit également se donner les moyens de peser efficacement sur le commerce international, à l'heure où nos producteurs de fromage et de vin, pour ne citer qu'eux, ont été visés par des droits de douane additionnels.

De même, pour protéger sa souveraineté financière aussi bien qu'économique, l'Union européenne devra apporter des ajustements, lors de sa transposition, à l'accord de Bâle III conclu en 2017.

En matière de sécurité, il faut se réjouir de la proposition de la Commission européenne de multiplier par plus de 2,5 la part du budget consacrée à la maîtrise des flux migratoires aux frontières de l'Union, qui serait portée de 13 à 35 milliards d'euros pour la période 2021-2027. C'est un progrès, mais nous devons aller encore plus loin puisque nous partons de très bas. Consacrer 5 % du budget européen à la défense de nos frontières n'est pas déraisonnable : cela reviendrait à un doublement des crédits. S'ils n'atteignent pas le paroxysme de 2015, les problèmes en matière d'immigration restent criants et particulièrement préoccupants.

En matière de défense, nous devons certainement être plus ambitieux que nous ne le sommes aujourd'hui. Il y a quelque temps, j'avais proposé de financer un porte-avions européen. Annegret Kramp-Karrenbauer, la présidente de la CDU, avait eu la même idée. Peut-être pourrions-nous la relancer.

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