Intervention de Paul Christophe

Séance en hémicycle du mardi 22 octobre 2019 à 15h00
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Christophe :

L'examen du budget de la sécurité sociale est toujours un moment fort de notre calendrier parlementaire. Il traduit en effet les efforts particuliers consentis par la nation pour protéger nos concitoyens face aux aléas de la vie.

Le PLFSS que nous examinons cette année présente des comptes sensiblement dégradés, à hauteur de 5,4 milliards d'euros pour l'année 2019 et avec une projection négative de près de 5,1 milliards pour l'année prochaine. Bien évidemment, nous le regrettons.

Nous le regrettons d'autant plus que nous avions salué, l'an dernier, les perspectives d'un retour annoncé à l'équilibre, une première qui était à mettre au crédit du Gouvernement après dix-huit ans de déficit. Certes, ce retour à l'équilibre des comptes sociaux était dû, pour une bonne part, à la cure de rigueur imposée à l'hôpital et à la chaîne du médicament, avec le risque de voir se dégrader notre capacité d'innovation en santé.

Le nouveau déficit tient autant à une conjoncture moins favorable que prévu qu'à la non-compensation des mesures adoptées pour répondre à la colère sociale exprimée dans la rue l'an dernier, mais également qu'à la non-compensation du forfait social supprimé par la loi PACTE – relative à la croissance et la transformation des entreprises.

Il est vrai, et nous l'assumons absolument, que nous avons soutenu les mesures de correction apportées par le Gouvernement fin décembre dernier. Il n'est d'ailleurs pas déshonorant de reconnaître que des choix politiques ne conviennent pas parce qu'ils sont mal pensés ou qu'ils font peser une charge excessive sur certains de nos concitoyens. Ces mesures d'urgence concrétisaient des choix forts en direction des retraités et du pouvoir d'achat des salariés ; nous les avons soutenues, nous les soutiendrons encore.

Il reste que la situation dans laquelle nous nous trouvons désormais soulève plusieurs interrogations.

Elle interroge d'abord sur la sincérité du budget que la représentation nationale est appelée à voter tous les ans. La prévision de croissance du PIB, commune au PLF et au PLFSS, avait été fixée à 1,7 % pour 2019, celle de la masse salariale à 3,5 % et celle de l'inflation à 1,3 %, des objectifs sans doute trop ambitieux, ensuite revus à la baisse. C'était pourtant en fonction de cette trajectoire que nous avions validé les projections pour 2019.

Elle démontre aussi l'intérêt du principe qui prévalait depuis la loi Veil, selon lequel toute mesure de réduction de contribution et d'exonération de cotisations « donne lieu à compensation intégrale aux régimes concernés par le budget de l'État pendant toute la durée de son application ».

La lecture de l'excellent rapport de notre rapporteur général soulève d'ailleurs de nombreuses questions quant aux choix futurs dans ce domaine. Il consacre en effet un long développement à la nouvelle doctrine qui prévaut en matière de compensation. Concernant la non-compensation du forfait social, soit – 600 millions d'euros supplémentaires qui creusent le déficit de la sécurité sociale – , il note le manque de clarté du PLFSS pour 2019, qui ne l'indique pas explicitement, regrettant un oubli dû à une application variable de la loi Veil. De manière pas si anecdotique, il indique d'autre part que la non-compensation de l'exonération de cotisations sociales sur les indemnités de rupture conventionnelles des fonctionnaires prévue à l'article 17 semble « résulter d'une lecture particulièrement extensive du rapport relatif aux relations entre l'État et la sécurité sociale ». Cette non-compensation d'un allégement ciblé – dont la charge ne représente certes que 12 millions d'euros – constitue, selon le rapport, « un précédent » regrettable « qui pourrait ouvrir la voie à la déresponsabilisation de nombreux ministères », lesquels y verraient une manière de se défausser sur la sécurité sociale.

De manière générale, cette doctrine nouvelle interroge. Que doit payer la solidarité nationale, c'est-à-dire l'impôt, par rapport à la sécurité sociale, encore majoritairement assise sur les cotisations des travailleurs ? Si l'État ne compense plus, cela revient à dire que la sécurité sociale compense les mesures de solidarité décidées par l'État. En réalité, nous assistons progressivement au basculement d'un modèle assurantiel, financé par les cotisations sociales, vers un modèle solidariste, dans lequel la protection sociale reposera majoritairement sur l'impôt. Ce sujet mérite un vrai débat à lui seul.

Cette évolution porte une logique profonde : l'amélioration de la compétitivité de nos entreprises. Nous serions, en conséquence, bien en peine de vous reprocher des politiques d'allégement du coût du travail que nous appelons de nos voeux depuis des années. Nous vous alertons néanmoins sur la nécessité de préserver le cadre de gouvernance existant et le principe de la gestion de la sécurité sociale par les partenaires sociaux. C'était en effet le coeur du contrat de la loi Veil : en contrepartie d'une compensation fiscale, il rendait les partenaires sociaux comptables de la gestion des recettes et des dépenses en garantissant que l'État ne pouvait demander des mesures d'économies à la sécurité sociale.

Nous craignons que le retour sur ce contrat ne conduise à d'autres demandes d'économies pour le budget de l'État. Je pense en particulier au financement des pensions de la fonction publique, que l'État pourrait faire basculer vers la sécurité sociale lors de futures réformes des retraites.

Compte tenu de ce postulat de départ, sur le fond, le PLFSS nous paraît pour le moins timoré. Mais comment pourrait-il en être autrement avec 5 milliards d'euros en moins dans l'équation de départ ?

Cependant, comme d'autres, nous saluons certaines mesures qui vont dans le bon sens.

C'est le cas de la pérennisation de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat, même si elle sera désormais conditionnée à un accord d'intéressement. Nous appelons votre attention sur le fait que, en l'état, cette mesure écarte les entreprises de moins de onze salariés, pour lesquelles la mise en place d'un tel accord se heurte à de nombreux obstacles d'ordre technique et financier. C'est une évidence qu'il est facile de comprendre et de vérifier. Nous vous proposerons d'y remédier, par un amendement qui a déjà recueilli un avis favorable de la commission des affaires sociales.

Nous nous félicitons aussi de la création d'une indemnisation du congé de proche aidant, mesure à laquelle vous connaissez mon attachement puisque je défendais ici même, en décembre dernier, une proposition de loi portant sur ce sujet. Nous comprenons qu'il s'agit d'une première brique, mais restons quelque peu déçus par la durée d'indemnisation proposée, convaincus qu'il faudra aller bien au-delà de trois mois pour couvrir l'ensemble des situations.

Nous reviendrons également par amendement sur le sujet des jeunes aidants, autre angle mort de nos politiques sociales alors que cette situation a des répercussions multiples dans leur vie quotidienne d'adolescents et de jeunes adultes. Il nous faut avancer sur ce sujet auquel je vous sais également très sensible.

Parmi les motifs de satisfaction, nous saluons la création d'un fonds d'indemnisation pour les travailleurs de la terre victimes de pesticides. Si elle va dans le bon sens, dans le respect de l'engagement que vous avez pris devant nous il y a quelques mois, nous pensons qu'elle devrait faire aussi l'objet d'un financement partiel par l'État, dans un souci de responsabilité commune, à l'instar du FIVA – le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante.

Au titre de la réponse à la crise des urgences, dont la solution ne repose pas uniquement sur les crédits du PLFSS, nous saluons votre proposition, mais aussi celle de notre collègue Thomas Mesnier, adoptée en commission. Il est heureux que son amendement, source de progrès, n'ait pas eu à subir les foudres de l'article 40 comme bon nombre des nôtres.

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