Intervention de Serge Letchimy

Réunion du jeudi 17 octobre 2019 à 9h30
Commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de guadeloupe et de martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d'une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy, président :

Monsieur le ministre, je pense que nous touchons à un enjeu fondamental, et de mon point de vue, Justine Benin pose sur la table un enjeu extrêmement important et juste : la question de la réparation.

Lorsque le Président de la République – je le répète devant l'opinion publique, c'est le premier et seul Président de la République qui a eu le courage de parler de responsabilité et de réparation – a employé le terme « responsabilité collective », je ne suis pas totalement d'accord car je considère que les victimes ne peuvent pas être responsables d'une chose avec laquelle elles n'ont rien à voir. Ce ne sont pas les petits éleveurs qui ont mis le chlordécone. Ils le reçoivent dans la vache qu'ils élèvent. Sa carcasse qui est transportée dans l'abattoir est une carcasse victime du chlordécone. Qui indemnise-t-on ? Celui qui vient découper sa vache pour la vendre n'a plus de vache parce qu'elle est chlordéconée, tandis que celui qui a introduit le chlordécone est au contraire parfaitement accompagné pour ce qu'on souhaite tous, la banane durable, dans le cadre du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI). Le petit agriculteur qui a une vache qu'il a élevée avec des petits moyens n'a absolument rien. Par conséquent, la question de la réparation ne se conçoit-elle pas aussi dans le cadre d'un processus d'indemnisation ?

Je le dis publiquement : je ne suis pas du tout favorable à une indemnisation individuelle. Décider de donner à chaque Martiniquais et Guadeloupéen 1 000, 2 000 ou 3 000 euros et s'arrêter là serait à mon avis grave et aurait même des conséquences irréparables. Je pense plutôt à un processus d'indemnisation. Mme Benin prend un excellent exemple en demandant ce que l'on fait pour celui qui amène sa vache sans savoir qu'elle est chlordéconée et qui est victime de cela.

Deuxièmement, il faut l'accompagner, vous avez raison, pour que sa vache ou ses boeufs soient transportés sur des terres non chlordéconées ou que les herbes données à la vache ne soient pas chlordéconées, ce qui signifie qu'il faut les mettre en hauteur. C'est un accompagnement, mais la question de l'indemnisation se pose. De la même manière, on demande au petit pêcheur qui pêche le long de la côte d'acheter un bateau dix fois plus grand pour faire de la pêche pélagique. Avec quels moyens ? Quels matelots ? Quelle assurance ? Quel accompagnement ? Il y a à la fois l'accompagnement financier à faire pour changer la flotte, mais aussi des processus d'indemnisation. Je pourrais prendre plusieurs exemples.

On peut trouver un accord en matière de santé publique sur des personnes fragilisées et qui peuvent être atteintes par les conséquences du chlordécone, comme celles qui ont un certain âge et qui peuvent avoir un cancer de la prostate devraient être sous surveillance sanitaire. Le test devrait logiquement être gratuit pour ceux qui souhaitent en faire un. On a de très fortes suspicions sur les accouchements prématurés : là aussi, cette surveillance sanitaire doit être gratuite. Voilà le genre de chose qu'on pourrait imaginer comme processus d'indemnisation lié à la réparation mais qui soit extrêmement actif. Les personnes dont les terres sont polluées ne peuvent pas du tout les cultiver car le ruissellement part d'une terre vers une autre. C'est la plus grande injustice que j'ai constatée dans ce dossier : les victimes paient deux fois ; nous sommes victimes du chlordécone et victimes d'une absence totale de réparation. Je suis d'accord et très content que le Président Macron ait employé ce terme. Cependant, en l'absence d'action derrière un terme, celui-ci a peu de sens.

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