Intervention de docteure Cécile Morvant

Réunion du mercredi 9 octobre 2019 à 15h05
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

docteure Cécile Morvant, médecin généraliste :

de formation, je suis également médecin légiste et médecin rééducateur. J'ai plusieurs thématiques à aborder en partant des questions que vous nous aviez adressées. En matière de détection, on constate que les professionnels de santé ne détectent pas assez ces situations de violences conjugales, probablement parce qu'il n'y a pas encore assez de dépistage systématique. Je note toutefois, au cours des formations pour lesquelles j'interviens, qu'il y a de plus en plus de centres où le dépistage est systématique. C'est notamment le cas là où interviennent les sages-femmes ou les gynécologues.

On ne dépiste pas assez parce qu'on n'y pense pas ou parce qu'on ne sait pas quand y penser, souvent par manque de formation. Je constate aussi que les professionnels de santé n'osent pas toujours poser des questions parce qu'ils ne savent pas quoi faire. Et même s'ils posent la question, ils ne savent pas quoi proposer ensuite.

La prise en charge est surtout un accompagnement, c'est-à-dire une écoute, une façon d'être et de dire. Souvent les professionnels de santé ont envie de protocoles et veulent agir alors qu'il faut dans un premier temps bien comprendre tout le processus des violences, voir comment il fonctionne, ce qu'est l'emprise, etc. Ces phases permettent d'aider les victimes à verbaliser et, partant, à faire leur choix. Nous avons bien un rôle d'orientation, d'information et de conseil. Plus le professionnel de santé va être formé et comprendre le processus de violence, plus il sera à même de prendre en charge ces patientes.

Deuxième constant : la formation initiale est clairement insuffisante, si ce n'est absente. Je parle ici de tous les professionnels de santé, pas uniquement des médecins. Sont concernés les infirmiers, les aides-soignants, les kinésithérapeutes, les rééducateurs, les sages-femmes, les psychologues,…

Je crois qu'il faut continuer l'effort engagé depuis 20 ans : il faut former les professionnels d'abord hospitaliers, parce que cela aura un impact sur la prise en charge et la détection, mais que cela aura aussi un impact sur la formation puisque ce sont souvent les professionnels hospitaliers qui vont intervenir dans les facultés et les écoles sur ces thématiques. Dans les services d'urgences à l'hôpital, nous avons des référents théoriques ou pratiques. Je crois qu'il faudrait exiger davantage que ces référents soient formés ou aient une sorte de validation d'acquis d'expérience ou une vraie formation universitaire – il existe maintenant des diplômes universitaires sur ces sujets – pour que ce ne soit pas simplement un nom sur une liste. Parfois on se contente de donner un nom pour dire qu'on a respecté cette obligation. J'en parle en connaissance de cause puisque mon hôpital a fait ainsi : la seule femme médecin des urgences a été nommée référente parce que c'était la femme du service des urgences. On a dit qu'elle allait être la référente, sans qu'elle ne manifeste aucun intérêt particulier et sans qu'elle ait accès à une formation. Ce n'est pas bien.

J'intègre les psychologues aux professionnels de santé. Il faut qu'ils soient formés sur le processus de domination conjugale, sur les stratégies des auteurs et surtout formés pour réaliser un dépistage actif. Quand j'interviens auprès d'infirmières ou d'infirmiers qui travaillent en milieu psychiatrique ou auprès de psychologues, en raison de leur façon de travailler, ils attendent que la personne soit prête à parler ; et on peut parfois longtemps. Quand je suis amenée à faire des certificats médicaux pour des victimes, je leur demande s'ils en ont parlé à leur psychologue. Leur réponse est généralement négative. Il faut changer cela et faire en sorte que ces professionnels de santé soient plus actifs vis-à-vis des victimes. C'est un changement de mentalité et de pratiques pour beaucoup.

J'ai fait une recherche en ligne avec les mots-clés « formation sur les violences conjugales » en cherchant à savoir quelle est l'offre disponible. Parmi les quelques pages proposées, j'ai trouvé des formations dans des universités, des organismes de formation qui s'investissent et beaucoup de formations délivrées par des associations. Mais laquelle choisir ? Ces formations sont-elles toutes à jour ?

Ne pourrait-on pas envisager, pour organiser cette offre, de répertorier et de référencer ces formations via la mission interministérielle de protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) ou via un site gouvernemental ? On pourrait envisager une sorte de label qui attesterait et validerait le contenu des formations et le profil des formateurs ; cela aiderait les gens à choisir.

Il y a beaucoup à faire pour la formation des libéraux et des professionnels en ambulatoire. Ce n'est pas facile parce qu'ils n'ont pas les mêmes disponibilités. Je parle ici des infirmiers à domicile, ceux qui font la prise en charge en ambulatoire. Cela concerne aussi les auxiliaires de vie, les services d'aide à la vie sociale pour les personnes handicapées,… Il faut probablement continuer à les orienter vers des formations faites par les associations ou les réseaux locaux qui, en même temps, vont pouvoir leur proposer d'intégrer leur réseau en tant que partenaire.

La troisième problématique que je voulais aborder est celle des filières de victimologie qui devraient être plus réparties sur le territoire. Dans le questionnaire que vous nous avez adressé, vous évoquez l'exemple de la cellule d'accueil d'urgence des victimes d'agressions (CAUVA) ou celui de la Maison des femmes de Seine-Saint-Denis. Ce sont des initiatives extrêmement intéressantes et il faut bien évidemment les soutenir. Je travaille dans l'Ardèche, zone rurale, où il ne sera pas possible de disposer d'un centre de ce type. Il me semble qu'il faut plus envisager de travailler sur des filières ou des pôles de victimologie qui tiennent compte des moyens locaux et qui s'appuient sur les groupements hospitaliers de territoire (GHT). L'idée serait de constituer une filière organisée pour avoir des ressources en victimologie dans chaque GHT, en lien avec les filières médico-légales. Existent des consultations pour la douleur, des centres d'addictologie, c'est-à-dire des réponses à des thématiques transversales. Pourquoi ne pas déployer pareil dispositif pour les violences conjugales et même pour toutes les violences ?

J'aimerais également insister sur la protection de la mère et de l'enfant qui a déjà été au coeur de vos échanges avec Édouard Durand. Nous avançons de plus en plus sur cette thématique car il faut prendre conscience des situations de violences conjugales et de leur impact sur les enfants. Il faut mesurer les difficultés pour la mère à exercer sa parentalité, et enfin tenir compte du profil des auteurs lors des jugements aux affaires familiales.

Depuis 2010, des mesures d'accompagnement protégé sont possibles mais elles ne sont pas assez utilisées. Il faudrait sûrement aussi s'inspirer de ce qui est par exemple mis en place en Seine-Saint-Denis, toujours très en avance. Dans l'Ardèche, nous nous en sommes inspirés pour organiser et sécuriser l'exercice du droit de visite. Nous savons en effet que la passation des enfants est souvent le moment où le père fait preuve de rage, de violences, de menaces, ou d'actes de dénigrement sur la mère. Ces espaces de rencontres protégés et ces mesures d'accompagnement évitent à la mère victime d'être en contact avec l'auteur. Ainsi nous privilégions l'intérêt et la sécurité de l'enfant qui bénéficierait par ailleurs d'un temps seul avec un professionnel formé, par exemple pendant le transport, quand il se rend sur le lieu du droit de visite. Cela éviterait toutes les manipulations et instrumentalisations de l'enfant. Je pense aussi que c'est un moyen de diminuer le risque de reproduction de la violence, parce que nous savons qu'il y a des possibilités que cela se reproduise au cours des générations.

Enfin, je pense qu'il faut informer chaque citoyen sur le processus des violences. À l'heure actuelle, il y a beaucoup de campagnes et nous avons beaucoup avancé. Nous affirmons que la violence est inacceptable. C'est positif et il faut continuer mais il faut peut-être aussi donner plus de moyens pour comprendre comment cela fonctionne, comprendre ces relations de domination, cette emprise, les stratégies des auteurs… Ce fonctionnement est commun à toutes les violences familiales, aux violences sexuelles, aux violences au travail, aux violences sur les enfants. Cela permettrait à chacun de mieux repérer, en tout cas plus tôt, une situation ou une relation inacceptable, une relation d'emprise. L'objectif est d'avoir plus de moyens pour que les victimes puissent s'en échapper. Si on identifie mieux cette situation, si un proche comprend mieux ces mécanismes, il sera plus à même d'aider la victime. Indirectement nous aiderons aussi les professionnels qui auront plus d'outils. Les films de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) sont très intéressants et c'est un outil que nous utilisons tous. Nous avons également imaginé des mini-films avec des saynètes où on pourrait voir comment fonctionne la stratégie de l'auteur, et comprendre les réactions ou non-réactions des victimes. On y verrait les éléments qui amènent la victime à ne pas oser parler de ce qui vient de lui arriver. Ce serait l'occasion de parler des différentes formes de violences.

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