Intervention de docteure Charlotte Gorgiard

Réunion du mercredi 9 octobre 2019 à 15h05
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

docteure Charlotte Gorgiard, Unité médico-judiciaire (UMJ) de l'Hôtel-Dieu :

Médecin légiste, je travaille à l'unité médico-judiciaire de l'Hôtel-Dieu à Paris. Après avoir présenté mon unité, j'aborderai la problématique des violences conjugales selon un spectre assez spécifique puisque le service où je travaille examine uniquement des personnes qui ont déposé plainte. Les victimes que nous recevons ont déjà fait la démarche d'aller au commissariat pour rapporter des faits de violence.

L'UMJ de l'Hôtel-Dieu est la première unité médico-judiciaire de France ; recevant environ 15 000 victimes par an. Nous ne disposons pas de statistiques très précises, mais nous estimons que 15 à 20 % de ces 15 000 victimes sont victimes de violences conjugales. La grande majorité sont des femmes ; il ne faut pas oublier que parfois certains hommes sont victimes, les hommes déposant probablement moins plainte que les femmes.

Je vais concentrer mon propos sur la situation des femmes victimes de violences conjugales. Dans ces situations, seulement 14 % des femmes déposent plainte. Comme nous ne recevons que les femmes qui ont porté plainte, nous ne prenons en charge que des victimes qui ont déjà condamné moralement les violences ou qui sont t déjà dans une démarche d'évolution, de changement, avec la volonté de s'éloigner de l'auteur des violences.

Plusieurs profils peuvent être mis en évidence. Les victimes de violences physiques viennent déposer plainte principalement pour des gifles, des coups, etc. L'examen clinique est en général assez rapide puisque nous retrouvons, malheureusement, peu de lésions traumatiques. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu de violences - je rejoins ce que disait ma consoeur -, cela veut dire que la détection des violences est difficile puisqu'il y a peu de blessures physiques, or les cas exceptionnels des violences graves par arme à feu ou par arme blanche. En l'absence de blessures physiques, le médecin généraliste aura, lui aussi, du mal à détecter les violences.

La consultation en UMJ vise, d'une part, à établir un constat des blessures et, d'autre part, à évaluer l'incapacité totale de travail (ITT). Cette ITT aide le magistrat à classifier l'infraction, sachant que dans le cas des violences conjugales, nous sommes dans une situation délictuelle puisqu'il s'agit du conjoint ou de l'ex-conjoint. Le rôle de la consultation est également de questionner tous les autres types de violence. Dans notre pratique, nous nous rendons bien compte que si le motif de consultation ou de dépôt de plainte initial est le plus souvent les violences physiques, elles s'accompagnent très souvent de violences psychologiques et également de violences sexuelles. Nous nous rendons de plus en plus compte que les violences sexuelles conjugales sont extrêmement importantes. Nous estimons qu'environ deux tiers des victimes que nous voyons ont allégué des violences physiques, mais elles n'ont pas forcément parlé des violences sexuelles. Quand nous posons la question de façon systématique en consultation, elles nous parlent pourtant des violences sexuelles au sein du couple.

C'est le premier message que je voudrais faire passer aujourd'hui : si le dépôt de plainte concerne d'abord les violences physiques, la consultation doit être l'occasion d'un dépistage systématique des violences psychologiques, des violences sexuelles et également des violences sur les enfants.

Dans le déroulement de la consultation, nous réalisons ensuite l'examen clinique et nous terminons l'entretien par une orientation des victimes vers les associations. Nous avons la chance à l'Hôtel-Dieu de travailler avec des associations solides et très formées sur les situations de violences conjugales. Nous sommes le plus souvent confrontés au problème du logement. Les personnes qui sont examinées pour des situations de violences conjugales ont, la plupart du temps, décidé de quitter leur conjoint quand elles ont déposé plainte mais sont dans l'incapacité de quitter le logement parce qu'elles ont peur qu'on leur enlève leurs enfants si elles quittent le domicile. Elles ont aussi peur de perdre leurs biens et leur foyer. Elles nous disent se sentir dans la difficulté, vouloir partir mais ne pas vouloir laisser leurs enfants ou leur domicile. C'est une inquiétude très fréquente et finalement ces femmes finissent par rester avec leur conjoint faute d'une solution alternative.

En ce qui concerne la formation, il y a bien un manque mais nous progressons. Dans notre pratique, nous nous rendons compte que les policiers sont de mieux en mieux formés à l'entretien et à l'audition des personnes victimes de violences ; ils abordent aussi de façon systématique les violences psychologiques, les violences financières, les violences sexuelles et les violences sur les enfants. Ces violences sont désormais intégrées systématiquement aux questions posées lors des auditions. La formation des professionnels de santé s'améliore aussi. À la faculté de médecine Paris Descartes, il y a des modules spécifiques pour les étudiants hospitaliers qui commencent leurs études de médecine. On les forme de plus en plus à la question des violences conjugales, mais ce n'est pas encore parfait. Les sages-femmes sont également de mieux en mieux formées. Il faudrait que ce mouvement s'élargisse, que dans les facultés de médecine on augmente le temps de formation dédié aux violences de tout ordre. On parle aujourd'hui des violences conjugales, mais il faut aussi parler des autres types de violence.

Nous parlons des violences faites aux femmes au sein du couple. Il ne faut pas oublier non plus les couples homosexuels. Très probablement – je n'ai pas d'estimation précise à vous donner –, ces personnes déposent encore moins plainte que les femmes des couples hétérosexuels, par peur aussi de l'image qu'elles pourraient renvoyer. Il y a un travail à faire sur la condamnation de ces violences et sur leur dépistage systématique. Il faut que les violences ne soient plus un tabou, que les médecins soient capables, lors d'un entretien classique avec un patient, de poser des questions systématiquement, de demander s'il existe des violences au sein de la famille de la même manière qu'il pose des questions sur les antécédents médicaux et chirurgicaux ou sur les allergies.

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